Le transfert des morceaux d'épaves de navires échoués sur le récif de Arutua aux Tuamotu est terminé. Le travail fini, la barge Koole qui les a transportés doit bientôt quitter la Polynésie.
Avant cela, le président du Pays, son vice-président, le ministre de l'Environnement et des représentants de la commune d’Arutua sont allés la visiter ce jeudi matin.
Pour rappel, le 21 mars 2020, le navire de pêche battant pavillon chinois Shen Gang Shun 1 s’est échoué sur le platier récifal ouest de l’atoll d’Arutua : navire de 700 tonnes de jauge brute, de 55 mètres de long, avec à bord 250 tonnes de carburant de bord, 15 tonnes de poissons et 62 tonnes d’appâts.
Dans le courant du second semestre 2020, le propriétaire du navire a mis en oeuvre un plan d’action, présenté en mai 2020 au gouvernement, avec un remorqueur de la place (TMP): la tentative de retrait du navire du récif s’est soldée par un échec, mais l’intervention, mal dimensionnée, a toutefois permis de soustraire du navire plus de la moitié de ses carburants de bord.
Cependant tout n’avait pas pu être évacué, il restait également quelques équipements encore à bord, ainsi que les big bags contenant la cargaison de poissons que les grues, dépêchées sur place par les remorqueurs, n’avaient pas pu lever.
En août 2021, une forte houle de sud à sud-est a affecté l’ensemble des archipels de la Polynésie française avec des vagues de 3 à 4 mètres dans l’archipel des Tuamotu. Lors de cet épisode de forte houle, le navire échoué sur le bord du récif de Arutua, a changé de position. En effet, la mer l’a porté 50 à 60 mètres plus à l’intérieur sur le platier récifal, couché sur le côté bâbord.
Le renversement du thonier l’avait malgré tout positionné de manière stable, ce qui a évité fort probablement que sa coque ne se déchire davantage. La Direction de l’environnement (DIREN) et la DPAM ont alors sollicité la collaboration de la commune de Arutua et de l’association « A Paruru anae i te arutaimareva no Arutua ». Ces dernières ont ainsi mené une action de ramassage des déchets flottants et une surveillance sur site, dans l’attente de l’opération de démantèlement afin de prévenir les atteintes portées au site.
Le Pays à la place du propriétaire
Le propriétaire avait alors sollicité une société de salvage (sauvetage) maritime des Pays-Bas et devait proposer un nouveau plan avec des moyens plus complexes qui n’existent pas en Polynésie française. Il a finalement rejeté cette option, depuis ce dernier a cessé tout contact malgré les condamnations dont il fait encore l’objet à ce jour. Cette situation a donné lieu à une procédure en contentieux et à l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du 30 avril 2020 condamnant solidairement les sociétés Shenzen Shengang Overseas Industrial Co. Ltd et Lung Soon Ocean Group, à verser une astreinte provisoire respective de 147 et 142 millions de francs.
Dans le même temps, le Pays a engagé une procédure pour lui permettre de se substituer au propriétaire et d’engager les actions nécessaires au démantèlement du thonier. Ainsi, en juin 2021, en prenant en compte la situation et les risques d’une inaction constante du propriétaire, le gouvernement a fait le choix de lancer une procédure d’appel d’offres ouvert. Elle s’est poursuivie, à la suite d’une déclaration d’infructuosité du marché initial le 23 août 2021, en marché négocié qui a abouti le 20 octobre 2021 à la décision d’attribution du marché à la société K.M.S. B.V. installée aux Pays-Bas, pour un montant de 363 723 150 cfp (HT). Cette dernière est une filiale à 100 % de la holding Koole Holding B.V., une des deux plus importantes entreprises de démantèlement de navire, de renflouage et de travaux sous-marins.
Respect de l'environnement
Le remorqueur du prestataire et sa barge K9127 équipée d’une importante grue avaient quitté les Pays-Bas en février 2022, et la traversée en elle-même a pris beaucoup de temps. Les opérations sur l’atoll de Arutua qui concernent le Shen Gang Shun 1, ont commencé le 9 juin dernier, et se sont terminées en fin du mois d'août 2022.
Pour rappel l’opération d’enlèvement du navire Shen Gang Shun 1 s'est fait en respectant les exigences suivantes :
- réduction au minimum de l’impact des travaux sur le récif corallien ;
- aucune pollution marine ou terrestre par les polluants se trouvant actuellement dans le navire ou aux alentours (par exemple carburant, huiles, gaz des bonbonnes et chambres frigorifiques, peintures, piles, poissons et appâts putréfiés, sacs plastiques et fils nylon, affaires diverses, …) ;
- remise en état du site d’échouement avec notamment nettoyage du site et des traces éventuelles d’hydrocarbures ;
- pas d’immersion de l’épave dans les eaux territoriales ou la zone économique exclusive de la Polynésie française ;
- démantèlement de l’épave dans un lieu approprié avec remise des déchets à un organisme spécialisé de stockage et de traitement des déchets.
Dépollution puis découpage
L’opération s'est donc faite en deux temps : tout d’abord, dépollution totale du navire par pompage des hydrocarbures restant dans les soutes du navire et retrait de la cargaison de poissons et d’appâts à l’aide de la grue.
La société a également été sollicitée pour débarrasser deux autres épaves : celle des restes de l’épave du Maina-nui (remorqueur polynésien ayant fait naufrage le 2 juillet 1987), et celle du Lorraine D (navire de 20 mètres de long, battant pavillon israélien, échoué depuis le 12 mars 2022). Les dernières opérations de découpe et d’enlèvement des sections du navire israélien ont eu lieu entre le 20 et 24 septembre derniers.
La société de démantèlement a ensuite procédé au découpage de la carcasse des épaves de navire en plusieurs tronçons, afin de transporter ces tronçons sur la barge du prestataire, vers l'Amérique du Sud. Malgré le retard dû à des fortes houles, les opérations de démantèlement des épaves à Arutua se sont bien déroulées comme prévu.
Pas un cimetière d'épaves
Après deux ans d’attente, grâce à l’action du gouvernement et des services de la Polynésie française, face à l’inaction des propriétaires en cause, les habitants peuvent à nouveau profiter d’un récif exempt de pollution. Afin d’obtenir le remboursement des sommes engagées le Pays a activé la procédure d’exéquatur qui permet par la voie judiciaire et diplomatique de faire poursuivre les responsables par les juridictions de leur propre pays, en l’occurrence la Chine. En montrant sa fermeté le Pays entend rappeler à tous ceux qui exploitent des navires ou qui sont de passage dans les eaux polynésiennes, que la Polynésie n’entend pas laisser son territoire être un cimetière d’épaves et qu’elle ne restera pas sans réagir, prête à actionner tous les leviers à sa disposition, y compris la saisie conservatoire des navires comme elle l’a fait récemment à l’encontre d’un navire appartenant au propriétaire du thonier échoué à Anuanurunga qui n’avait pu récupérer son navire moyennant une caution de 150 millions cfp.