L'ice a tué son fils : le témoignage bouleversant d'un père de famille

Heimoana Lintz a perdu son fils il y a deux mois.
Le fils de Heimoana Lintz s'est donné la mort le 8 août dernier alors qu'il n'avait que 28 ans. Son addiction à l'ice l'a plongé tout droit en enfer. Aujourd'hui, ce père endeuillé milite pour la mise en place d'une structure d’accueil dédié aux toxicomanes. Témoignage dans cet article.

"Depuis qu'il est devenu accro à l'ice, j'ai vu le changement de comportement, de langage, l'anxiété, la peur... Il a chuté" témoigne Heimoana Lintz. Son fils a mis fin à ses jours en août dernier. Il avait pourtant tout pour être heureux : six frères et sœurs et un père aimant. Mais le pouvoir de l'ice n'est pas un mythe. Il détruit les foyers dans lesquels il pénètre.

Paranoïa

En six mois seulement, le gentil jeune homme est devenu méconnaissable. "Il a maigri, il piquait des crises. Il criait 'je vais tous vous tuer'. Il avait peur... Peur de quoi, je ne sais pas. Il avait une arme sur lui. Cela fait partie du changement de comportement qu'il avait. Il avait toujours un couteau avec lui... Je lui disais 'qu'est-ce que tu fais avec ton couteau', il me disait 'c'est pour me défendre', 'mais qui t'attaque', 'bin eux' sans vraiment dire qui. Le soir il ne dormait plus. Il faisait le tour de la maison. Il surveillait. Je lui disais 'il n'y a personne', 'c'est dans ta tête'" raconte Heimoana. 

Il a maigri, il piquait des crises. Il criait 'je vais tous vous tuer'. Il avait peur... Peur de quoi, je ne sais pas.

Heimoana Lintz - Père endeuillé

Avant de tomber dans l'ice, son fils était déjà addict au cannabis et avait été diagnostiqué schizophrène alors qu'il était au lycée. Il suivait un traitement depuis douze ans et avait déjà fait un séjour à Tokani, l'unité la plus stricte de l'hôpital psychiatrique. "Ça allait. Il ne guérissait pas parce-qu'il fumait mais on vivait avec, on était habitué" précise Heimoana. 

Oisiveté et mauvaises fréquentations

Élu Mister Toahotu à 16 ans, son fils a commencé à beaucoup s'absenter de l'école en terminale. Mais alors qu'il était à deux doigts de terminer l'école, il ne s'est pas présenté à l’examen du baccalauréat. À 28 ans, il n’a jamais travaillé de sa vie sauf sur quelques chantiers avec son père. Sa vulnérabilité l'a entraîné aux côtés des mauvaises personnes. Puis il a goûté l'ice et la drogue s'est emparée de lui. "Il a commencé à voler de l'argent. Mais l'argent, ce n'est pas ce qui comptait le plus. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Il a commencé à voler les bijoux de ses frères et sœurs. Petit à petit, la famille lui tournait le dos" relate Heimoana.

Envahi par l'émotion, le papa poursuit : "Moi ça m'a vraiment fait du mal de devoir fermer la maison à mon fils. Depuis petit, il vit avec moi et on était presque obligés de lui interdire d'entrer dans la maison quand il n'y a personne parce qu’on avait plus confiance en lui. Il s'est senti rejeté. Il avait maigri, on savait qu'il ne mangeait pas de la journée. Il se sentait rejeté et il se rejetait jusqu'à ce qu'il parte. Pour toute la famille, cela a été une douleur intense parce-qu'il est parti après que tout le monde lui ait tourné le dos. C'est à cette période qu'il a mis fin à ses jours. Être rejeté par la seule aide qu'ils peuvent avoir, pour eux c'est la fin."

On était presque obligés de lui interdire d'entrer dans la maison quand il n'y a personne parce qu’on avait plus confiance en lui. Il s'est senti rejeté.

Heimoana Lintz - Père endeuillé

Une histoire parmi tant d'autres

Même les larmes aux yeux, Heimoana fait face à la situation avec beaucoup de force. Le regard ferme, il tient à raconter son histoire jusqu'au bout, celle de son fils, pour sensibiliser. Une histoire similaire à beaucoup d'autres. Comme lui, de nombreux parents se retrouvent démunis face à l'addiction de leur enfant et ce cercle vicieux. "Je connais des parents qui sont dans le même cas. Les toxicomanes deviennent violents quand ils tombent dans l'ice. J'ai le témoignage d'une maman qui a été réveillée par son fils en pleine nuit tellement il était en manque : il a traîné sa maman jusqu'au distributeur pour retirer des sous pour qu'il aille s'acheter sa dose. Les familles se ruinent."

Heimoana est envahi par l'émotion devant les photos de son fils... Il se souvient à quel point ils étaient proches avant que tout ne bascule.

Heimoana était très proche de son fils. "Il était tout le temps avec moi, pour aller au magasin ou aller faahee". Mais l'année dernière, le père de famille a dû prendre une patente et travailler davantage pour subvenir aux besoins de tous ses enfants grâce à son seul revenu.

J'ai le témoignage d'une maman qui a été réveillée par son fils en pleine nuit tellement il était en manque : il a traîné sa maman jusqu'au distributeur pour retirer des sous pour qu'il aille s'acheter sa dose.

Heimoana Lintz - Père endeuillé

À quand un centre en addictologie ?

Après avoir énormément culpabilisé, Heimoana veut que la mort de son fils serve de prise de conscience à tous, une énième fois : l’ice tue. Il insiste également sur le manque de structures adaptées pour la prise en charge des toxicomanes. Depuis des années, les familles alertent à ce sujet. Le nouveau pôle de santé mentale doit voir le jour en 2025, et devrait proposer douze lits en addictologie... Mais ce dispositif sera-t-il suffisant ? Pour Heimoana, les médecins à Tahiti n'adoptent pas forcément les bonnes méthodes pour soigner les toxicomanes et encore moins pour accompagner les familles. Et ce, malgré une promesse de stratégie de soins "hors les murs".

Un centre dédié pleinement aux addictions serait plus adapté. "Pour voir le psychiatre de mon fils, ça a été le parcours du combattant parce-qu'il était majeur... Il fallait son autorisation. J'ai eu beau expliquer que j'étais le papa, qu'il vivait chez moi... Avec le recul je regrette de l'avoir emmené à Tokani. On aurait pu faire autrement. C'est un message aux médecins : quand les parents viennent alarmer, qu'ils les écoutent. C'est le système qui permet aux toxicomanes de sombrer. Cela fait deux mois que je parcours le web et certains s'en sortent sans médicaments. Il y a une fille qui s'en est sortie en se focalisant sur une nouvelle activité qui est devenue son métier. Plusieurs fois mon fils m'a dit : 'papa, c'est nul ma vie'. J'en ai parlé aux parents qui sont dans le même cas et ils disent tous, 'il n'y a pas de structures d'accueil.' Pour les handicapés, il y a des structures avec des bus qui les ramassent tous les matins, pour qu'ils soient dans le centre et qu'on les occupe et les encadre. Ces jeunes s'ennuient, ils se cherchent, et ils fument puis expérimentent d'autres drogues..." estime le père de famille, qui regrette que son fils ait eu à en arriver là, malgré l'endroit magnifique dans lequel il vivait.

J'en ai parlé aux parents qui sont dans le même cas et ils disent tous, 'il n'y a pas de structures d'accueil.'

Heimoana Lintz - Père endeuillé

Heimoana a désormais intégré les associations "stop à l’ice" et "SOS suicide" et il se rend bien compte qu'il n'est pas seul. Les histoires se suivent et se ressemblent, comme celle de Teremu en avril 2024 et bien d'autres. 

Samedi 28 septembre, une marche est organisée par le collectif de Terainui Hamblin-Ellacott au départ de l'école To'ata pour dire stop à l’ice, à la violence et au harcèlement scolaire.