« Tu sais, moi, je suis timide ». La voix douce, parfois inaudible, Moea* n’est pas du genre bavarde. Les mots ne sont pas faciles à trouver, encore moins à exprimer surtout face à une étrangère. Elle a d’ailleurs préparé un petit texte la veille de notre rencontre mais elle n’en fera part que lors de la fin de l’entretien. « C’est difficile pour moi », admet cette belle trentenaire aux long cheveux noir, tressés par ses soins. Assise au bout d’une des table de la salle d’activités de la prison pour femmes, elle sort son petit bout de papier de la poche de son pantalon. La tête plongée dans ses mots, elle lit. L’émotion est palpable. Arrivée en mars 2021, elle se rappelle de sa première nuit à Nuutania où elle a pleuré toutes les larmes de son corps, partagée entre la colère et la tristesse d’avoir laissé derrière elle sa famille et ses trois enfants. Au fil des jours, soutenue par les autres détenues, elle prend son courage à deux mains et participe aux formations et activités proposées par l’établissement pénitentiaire. Entre art thérapie, randonnées, sorties à Moorea ou art plastique, elle jette son dévolu sur la peinture. Un exutoire mais aussi un moyen de s’envoler ailleurs car ce qu’elle aime c’est peindre des oiseaux, symboles de liberté. Depuis juillet dernier, une nouvelle expérience s’ouvre à elle. Tous les jours de la semaine, elle travaille à la cuisine centrale de Faa’a. « J’apprends plein de choses, je ne pensais pas que j’en étais capable, avant je ne croyais pas en moi, mais j’ai finalement réussi », confie cette mère de famille fière de son parcours en prison malgré les moments difficiles.
J'ai tout gagné ici en deux ans. Mon parcours en détention a fait de moi une nouvelle personne.
Si les journée sont bien remplies, il y a parfois des coups durs qui pèsent sur le moral. « Tous les mois, je vais voir le psychologue, ça fait du bien de parler. J’ai appris à accepter ce qui est arrivé et à prendre sur moi… ». Moea a été condamnée à trois ans de prison ferme, une punition pour des actes commis qu’il faut, dit-elle, assumer. Elle a réfléchi sur la question et en est sortie grandie. Pour y arriver, elle a dû faire preuve de force, de courage et de persévérance. Elle a dû aussi accepter l’incarcération et apprendre de sa détention. « Ici on grandit chaque jour, j’ai appris à avoir confiance en moi, à atteindre mes objectifs, à vaincre mes peurs et de ne jamais baisser les bras. J'ai tout gagné ici en deux ans. Mon parcours en détention a fait de moi une nouvelle personne. Aujourd’hui, je dois aller de l’avant, construire l’avenir, faire les bonnes choses. Je me souhaite plein de bonheur et réussite ». C’est avec ces mots qu’elle a terminé son petit texte, c’est avec ces mots pleins d’espoir et de grandeur que l’entretien se termine. Moea retourne dans sa cellule mais vendredi elle goûtera de nouveau à la liberté, elle aura fini de purger sa peine.
Apprendre à mieux se connaître
Quand Hitiarii entre dans la salle, c’est une toute autre femme qui apparaît. Entre les deux détenues, c’est le jour et la nuit. Moea est réservée, Hitiarii est pleine d’entrain prête à dévorer le monde. « Quand je me lève le matin, je suis toute excitée car c’est un autre jour qui commence. Tu sais, ici, on veut que les journées passent vite pour qu’on puisse arriver à la fin de notre peine et revoir notre famille ». Grande à l’allure sportive, Hitiarii est donc plutôt du genre énergique. Son programme de la journée : faire du sport pour s'en sortir bien dans son corps et consacrer du temps dans le faaapu de l’établissement pour s’évader. Elle participe aussi à toutes les activités et formations de la prison, Hitiarii veut apprendre et changer. Au départ, la jeune femme avait une idée tronquée de la prison, celle d’un enfermement lourd et d’un temps perdu, aujourd’hui, elle pense autrement. « On nous donne un temps pour nous, pour comprendre pourquoi on est là. La détention permet de poser les choses, et nous fait grandir. »
Curieuse et déterminée, Hitiarii a découvert la méditation et le yoga, elle a appris à mieux se connaître. Depuis, elle pratique tous les jours dans sa cellule. Elle lit beaucoup aussi, elle a d’ailleurs dévoré tous les livres de la bibliothèque, en particulier ceux sur le développement personnel. Grâce à ça, elle a pu ouvrir les portes de son être. « J’ai compris mes comportements. Je parle aussi beaucoup avec les autres détenues et les surveillantes, j’ai un suivi psy également. Ça m’a beaucoup aidée car ça m’a permis d’approfondir ce que je ressens à l’intérieur de moi, comment fallait gérer les choses que je gardais en moi. J’ai vu le vrai en moi. J’avais un gros fardeau qu’il fallait que je lâche, aujourd’hui je me sens zen. » Le soir venu, Hitiarii écrit dans son cahier intime, un moyen de la libérer d’un poids et de mettre des mots sur des maux. C’est aussi son moment à elle, où elle se recentre sur ce qu’elle est et veut être. Elle a déjà passé trois ans derrière les barreaux et doit sortir d’ici un an, alors elle prépare son retour prochain à la liberté. L’enfermement lui a permis de réfléchir à ses actes et d’en tirer une leçon. Une leçon qu’elle veut partager avec son fils de 10 ans et les membres de sa famille. Elle veut mettre aujourd’hui son expérience à contribution des autres. Une manière pour elle de prendre la vie d’un autre bout.
Quand la parole libère
Prendre la vie d’un autre bout, c’est aussi ce qu’essaye de faire Megan. Elle est en prison depuis déjà 13 ans. Elle a connu la détention avec les hommes et ces cellules où elles étaient quatre à partager une intimité. « Au début, ce n’était pas la joie," confie cette quinquagénaire à la petite taille mais à la force tranquille, "Vous savez quand je suis rentrée, mon fils avait dix ans, aujourd’hui, il est grand et il est papa ». Megan ne le cache pas, ce qui lui permet de tenir le coup, ce sont les formations proposées. Pendant un temps, elle a fait du repassage, un moment de détente où elle ne pense à rien. Elle a pu s’essayer aussi à la couture, au ménage ou encore à la distribution de repas. Megan est presque de toutes les activités, encore plus depuis que les femmes sont désormais séparées des hommes. Depuis 2019, elles ont intégré l'établissement au dessus de la prison principale, aujourd’hui elles ont chacune leur cellule, leur frigo, leur toilette et leur TV. Une occasion d’être exclusivement entre elles et d’apprendre à mieux se connaître. « Tu sais ici, on se donne la main et on s’entraide que ce soit avec les détenues ou les surveillantes. On est bien car on est entourées de mamans, on est comme une famille. On échange beaucoup sur nos vies, nos peurs, nos doutes, nos envies ».
Échanger, parler, partager… Megan en a fait une force mais le chemin a été long pour y arriver. C’est la thérapie autour de la parentalité qui l’a aidée. Elle a compris l’importance de la parole et de la communication. « Nos parents ne parlaient pas, alors j’ai dû apprendre à parler ». Pendant 6 ans, elle est restée muette. Un jour, elle a réussi à sortir du silence et à parler. « La parole m’a permis de mieux comprendre mon passé et donc ma situation aujourd’hui. Quand j’ai besoin de parler maintenant, je vais voir une surveillante et je parle, je parle beaucoup. Je parle aussi beaucoup avec mes enfants, je les conseille dans leur éducation avec leurs enfants. » Durant toutes ces années déjà passées en prison, Megan a pris conscience de ce qui lui a manqué dans sa jeunesse. Elle a compris les choses qu’elle a vécues dans son passé, des choses qui expliquent la raison de sa présence en détention. Alors, elle ne veut pas que l’histoire se répète avec ses enfants et petits enfants. Son autre point de repère dans cette vie enfermée, c’est la bible en tahitien. Avant la détention, elle préférait sortir faire la fête avec ses amies plutôt que de se rendre à l’église. Depuis, elle s’est faite baptisée catholique à Nuutania et lit la bible tous les jours. «Je me reconnais dans les versets, ça m’a donné la force». La force d’accepter la mort de son mari alors qu’elle était derrière les barreaux, la force d’assumer ses actes et de se pardonner malgré les regrets, la force aussi de changer et de devenir une bonne personne. Aujourd’hui, Megan est fière d’avoir réussi ce chemin.
* tous les prénoms ont été modifiés.
Trois questions à Audrey Delepine, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation
Quel regard portez-vous sur la détention des femmes ?
La prison est un temps utile car les locaux sont adaptés ici à Tahiti. Le quartier est moderne avec du confort matériel et un petit nombre de détenues. Chez les hommes, c’est plus difficile, ils sont plus nombreux, il y a plus de bruits…. Les femmes s’approprient les ateliers, chez les hommes, c’est différent. Ici, elles vont beaucoup vers le développement personnel et la parole. Elles font de ce temps de détention un temps pour réfléchir sur elles et sur leur rôle en tant que mère. Les femmes sont tournées vers elle, en tant que femme et maman. On travaille beaucoup d’ailleurs sur les violences intra familiales, ça aide. Les activités sont un vecteur de communication pour libérer la parole et voir qu’on peut faire différemment.
Quelle est la représentativité des femmes en prison ?
En Métropole, les femmes représentent 3,3% de la population carcérale. Ici, on est à seulement 15 femmes sur 650 détenus, le ratio est donc faible. On a d’ailleurs une dizaine de détenues en moins que 2020 car il y a eu un gros travail sur l’aménagement de peine. Cela s’explique aussi par le fait que les femmes sont pro actives, elles participent aux formations et aux ateliers. Elles se saisissent de ce qu’on leur propose. Elles s’impliquent beaucoup et donc sortent plus facilement avec un aménagement de peine, un bracelet ou en liberté conditionnelle.
Quel travail faudrait-il faire pour améliorer encore la situation ?
On doit travailler sur le lien avec l’extérieur. Il faut mieux les orienter une fois qu’elles sortent. Il faut donc développer les partenariats pour qu’elles sachent où aller en cas de besoin lors de leur sortie. Ici, le temps est utile mais on est dans une bulle où on est protégé. A l’extérieur, il peut y avoir des conflits avec les familles car elles n’ont pas eu les mêmes clés que les détenues. Il y a aussi la problématique du travail, ici à Tahiti, qui ne court par les rues. La prison apprend quelque chose mais ensuite il faut aussi ré-apprendre à être libre.