Beaucoup de chef d’entreprises se retrouvent face à un vide juridique vis à vis de la vaccination dans leurs établissements.
« Quelles sont les modalités ? Cela implique pour nous de solliciter les conseils d’un avocat. Et qui dit avocat, dit dépenses ! ce qui est un luxe quand on connaît la situation financière des sociétés en ce moment ! » confie une gérante de station-service. Trois de ses employés sur quatre refusent catégoriquement de se faire vacciner. « Je ne veux pas leur imposer, mais avec cette loi, je suis un peu perdue. Ça me ferait mal au cœur de licencier pour ça alors qu’en ce moment, c’est difficile », regrette-t-elle.
De leur côté, les avocats spécialisés en droit du travail polynésien avouent que cette loi est difficilement applicable dans les sociétés. Il est aujourd’hui compliqué de se prononcer sur ce cas inédit.
Rien n’oblige les employeurs à appliquer la loi de pays
Lors des discussions pour la rédaction de la loi de pays, il était question d’insérer un article concernant la suspension du contrat de travail d’un salarié refusant de se faire vacciner, comme il a été adopté en métropole. Mais il n’en est rien.
Tout ce qui incombe aux employeurs est indiqué dans l’article LP. 14 de la loi de pays : « Afin de faciliter l’accès à la vaccination contre la covid-19, obligatoire par la présente loi du pays ou recommandée pour les autres personnes, les personnes éligibles à la vaccination notamment salariés, stagiaires et agents publics bénéficient d’une autorisation d’absence pour se rendre aux rendez-vous médicaux liés aux vaccinations contre la covid-19. […] Ces absences n’entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par les intéressés au titre de leur ancienneté ».
Il revient donc à chaque société de la traduire au sein de leur entreprise.
Protection des données médicales et privées du salarié
Plusieurs questions majeures se posent à la suite d'orientations qui conduisent à une restriction des libertés publiques : protection de la vie privée des salariés, conservation des données de santé, droit de licencier un collaborateur récalcitrant à la vaccination.
L’Assemblée de la Polynésie a voté un texte qui fait voler en éclats un principe fondamental du droit du travail, trouvant ses racines dans le droit à la protection absolue de la vie privée du salarié, garanti notamment par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme aux termes duquel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».
Par ailleurs, cette obligation vaccinale porte également atteinte à l’article LP. 1311-8 du code du travail polynésien selon lequel : « Le règlement intérieur ne peut contenir : 1. de clauses contraires aux lois du pays et règlements ainsi qu'aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement. 2. des restrictions aux droits des personnes et libertés individuelles et collectives, qui ne sont pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ».
En clair, c’est le serpent qui se mord la queue. Ces textes ne permettent pas aux chefs d’entreprise de bafouer le droit au secret médical et à la vie privée de leurs collaborateurs. Pour le premier, « Les manquements à la présente loi du pays et à ses arrêtés d’application sont constatés par les médecins et pharmaciens de l’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale et de la direction de la santé, dans le respect du secret médical. », précise l’article LP. 10 de la loi de pays.
Formation des avocats spécialisés en droit du travail polynésien
Pour répondre aux interrogations des salariés et des employeurs, une formation sera dispensée aux avocats spécialisés en droit du travail polynésien, par le président du tribunal du travail, Gérard Joly. Elle est proposée par Tahiti Formation vendredi 10 septembre 2021.
En attendant, les chefs d’entreprises sont appelés à la grande prudence en matière de sanction. D’une part, la loi de pays imposant l’obligation vaccinale sera applicable qu’à partir du 22 octobre, d’autre part, elle fait l’objet d’un recours devant le conseil d’état. Ce dernier devrait rendre son avis dans les jours à venir.