L’aventure a commencé par un constat : si rien n’est fait, 3 000 langues seraient amenées à disparaître d’ici à 2050. « Or, une langue qui disparaît c’est un peuple qui meurt. Faire le pari de la préserver et de la transmettre, c’est faire perdurer les valeurs de l’âme d’un peuple », indique Heiura Itae-Tetaa. Elle a fondé Speak Tahiti Paraparau Tahiti en 2019, car elle n’a pu se résoudre à rester sans agir face à cette situation.
Speak Tahiti Paraparau Tahiti est un service innovant d’apprentissage du reo Tahiti qui a vu le jour après avoir été incubé par Prism. « Nous proposons des cours en présentiel, en distanciel, mais aussi des immersions par l’intermédiaire d’activités diverses.
Nous avons organisé un escape game, réalisé un imagier… », décrit Heiura Itae-Tetaa. Il y a six mois, l’entrepreneuse qui est également présidente de la French tech Polynésie depuis juin 2021, a fait une heureuse rencontre.
Elle a fait la connaissance de Sébastien Christian. Spécialiste de la création et de la commercialisation à échelle d'innovations technologiques, il est particulièrement sensible aux innovations à portée environnementales et sociales.
Il réside dans la Silicon Valley en Californie mais depuis un moment, avec son fonds d’investissement, il s’intéresse au Pacifique. « Selon moi, la Polynésie a toute légitimité à parler d’environnement et de culture, à devenir un modèle en termes de préservation de ces deux pans mêlés de la société. » Heiura Itea-Tetaa ajoute à ce propos : « il y a une vraie corrélation entre l’urgence climatique et l’urgence je dirais linguistique. Les langues sont souvent liées à des connaissances et pratiques environnementales. » Le duo, entouré d’une équipe aux compétences multiples, s’est mis en marche. L’objectif ? Fonder une plateforme composée de deux branches (franchises).
Baptisée Native Reo, cette plateforme comporte une branche contenant des applications en reo Tahiti à utiliser dans le quotidien, et une branche pour apprendre la langue de manière adaptée et personnalisée.
Une première application est sortie début octobre : Ra’i. Elle présente la météo en tahitien. Au-delà de l’aspect purement pratique, Ra’i fait vivre la culture associée à la langue.
Elle donne les prévisions pour la journée, les heures du lever et coucher de lune et de soleil, mais aussi le nom de la nuit, la force, la direction et le nom des vents... « Il y a toute une pensée associée, une manière de décrire ce qui se trouve autour de soi, des connaissances ! »
Les modules d’apprentissage de la langue s’appuient, quant à eux, sur de récentes études en neuroscience, sur le savoir du linguiste Jacques Vernaudon devenu directeur scientifique. L’application Four Square permet un apprentissage personnalisé de mots et expressions. Elle est disponible en tahitien et… en drehu, la langue kanak la plus parlée en Nouvelle-Calédonie.
Native Reo n’a pas pour objectif le seul apprentissage du tahitien. « Nous voulons qu’il s’ouvre à toutes les langues minorées », insiste Heiura Itae-Tetaa.
Elle en a estimé près de 570. « Et c’est possible », se réjouit Sébastien Christian. « La plateforme logicielle a été conçue pour devenir accessible à toutes les langues. Les clients vont devenir administrateur et nourrir Native Reo de contenus voire de méthodes car chaque groupe de langue a un type d’apprentissage particulier. »
Dans un premier temps, la plateformel servira aux langues minorées pour lesquelles il existe un contexte favorable de survie : usages, nombre de locuteurs, livres, dictionnaires… « Ensuite, nous nous adresserons aux langues qui n’ont rien. Nous allons pouvoir rendre la langue de millions de gens accessible, transmissible, apprenable. »
L’équipe devrait s’étoffer de nouvelles compétences du territoire. Pour cela une première levée de fonds de 80 millions de Fcfp est en cours. « Il s’agit d’un amorçage », décrit Heiura Itea-Tetaa qui assure « qu’il est possible, en plein milieu du Pacifique, d’innover et d’avoir accès à des fonds pour pouvoir grandir et se développer. »