RECIT. Du capitaine Cook à Teahupoo, l'histoire du surf polynésien racontée par Jean-Christophe Shigetomi

Jean-Christophe Shigetomi dans Horizon Teahupoo illustration : 1874 by Wallace MacKay
Après son travail de mémoire sur les Polynésiens dans les guerres, Jean-Christophe Shigetomi s'intéresse aujourd'hui à l'histoire du surf. De la première observation d'un surfeur par un Occidental aux "tontons surfeurs" des années 70 à la création du leash tahitien, les anecdotes ne manquent pas. Entretien dans Horizon Teahupoo.

Jean-Christophe Shigetomi est un passioné. Un passioné d'histoire d'abord puisqu'il a écrit plusieurs livres sur les soldats polynésiens qui ont fait la Première et la Seconde Guerre mondiale, mais c'est aussi un passionné de surf. A 64 ans, tout juste retraité, il continue de surfer. "Ce matin, j'étais à l'eau. Physiquement, je le peux, donc je continue. Pour moi, c'est une activité à la fois physique, mais c'est aussi presque une activité spirituelle. Parce que pour nous, les watermens, la communion avec la mer, c'est très important, c'est l'élément dans lequel on aime être". 

Président du Taapuna surf club dans les années 90, il a été un membre actif de la fédération tahitienne de surf. C'est tout naturellement vers lui que les responsables du surf associatif se tourne vers lui pour lui demander d'écrire l'histoire de leur sport. "Patrick Juventin (premier président de la fédération tahitenne de surf NDLR) m'a harcelé pendant vingt ans pour que j'écrive l'histoire du surf tahitien. J'avais d'autres chantiers qui étaient plus des chantiers historiques. J'ai commencé par cela et puis après pour le "horue", j'ai appliqué exactement la même méthode que j'avais appliqué dans mes autres chantiers de recherches, c'est-à-dire, de pouvoir raconter notre histoire et notamment la petite histoire du surf retranscrite dans la grande histoire du surf".

La première observation du surf

La première fois qu'un Occidental a observé un surfeur, c'était à Tahiti, le 28 mai 1769. Un botaniste du nom de Joseph Banks, venu avec le capitaine Cook. "Ils viennent pour regarder le passage de l'étoile Vénus, et ils vont rester trois mois dans la baie de Matavai. C'est la raison pour laquelle ils vont lui donner le nom de pointe Vénus". Sauf qu'à Tahiti, le régime des houles se divise en deux périodes. Il y a la période du nord et la période du sud. "En mai, il n'y a pas de vagues au nord, donc ils ne peuvent pas avoir vu des gens surfer là-bas".  C'est donc sur la côte ouest que la première observation s'est faite." Joseph Banks avec le capitaine Cook vont armer une Espinasse, qui est une petite embarcation qui dispose d'une voile, et ils décident de faire le tour de l'île. Ils partent vers l'ouest parce qu'ils sont arrivés par l'est et qu'ils ne connaissent pas l'ouest". 

Joseph Banks va décrire cette première observation du surf. "Il faut savoir que les marins de l'époque ont peur de l'eau. Ils ne savent pas nager. Il y a certainement une grosse houle de sud. Et là, qu'est-ce qu'ils voient dans toutes ces vagues qui cassent au bord ? Ils voient deS gars dedans en train de glisser".

"Au départ, ils pensent que ce sont des espèces de proues ou de vieilles pirogues. Parce qu'à l'époque, les pirogues de Polynésie orientale, elles ont une avancée devant un promontoire et qui est plat. Donc ils pensent que, en face, ils sont allongés sur ces espèces de planches de pirogues. Mais non, en fait ce sont des planches de surf".

Il y a eu d'autres observations, notamment par des marins de la Bounty, le quartier maître James Morisson. "Il donne beaucoup d'informations. Il dit que les chefs sont doués, donc on sent que peut être ce sport est réservé à une élite".

Il dit que, dans ces élites, en fait, celles qui sont vraiment les plus douées sont les femmes. Il va jusqu'à citer la femme de Pomare Ier, Itea, qui excelle dans l'art de la glisse.

Jean-Christophe Shigetomi

Horizon Teahupoo - Polynésie la 1ère

 Le surf est né en Polynésie orientale

Pour Jean-Christophe Shigetomi, le surf est né en Polynésie orientale, c'est-à-dire, les Samoa, les Fidji, Niue, etc..."On peut le démontrer en ayant une approche linguistique et historique. Chacun de ces peuples a un mot précis pour désigner une planche "papa". Ils l'appellent "bawa". Chacun de ces peuples connait la glisse et utilise donc une planche pour glisser. En Polynésie orientale, le surf est connu, il n'est pas propre à Tahiti, c'est tout le bassin qui est concerné".

En proto-polynésien, le mot pour désigner le surf est "Hoorua" qui va donner "Horue" en Tahitien, "Horua" en maori et "Holua" en Hawaiien. " La première définition du Horue est donnée par Davis dans le premier dictionnaire Tahitien. "Pour lui, Horue veut dire "action de glisser sur les pentes des montagnes ou dans la mer sur une vague". Le mot Horue concerne toute glisse terrestre, comme à Rapa Nui sur les montages, comme à Hawaï sur leurs volcans". 

L'origine du leash tahitien

Les Tahitiens continuent de surfer après l'arrivée des premiers Occidentaux. Ils surfent avec leurs corps (faahee tino) où avec des planches en bois. Selon Jean-Christophe Shigetomi, le surf moderne est arrivé à Tahiti du côté d'Arue. "On est chez les Leboucher, chez les Davio, les Paofai, etc. C'est ce petit groupe d'amis et parmi eux, il y a Henere Lucas qui va aux Etats-Unis et il va apprendre à surfer. Mais quand il revient à Tahiti, il découvre qu'une parente avait héritée de la planche d'un gars qui était passé, et donc c'est le premier trophée qu'ils vont récupérer et ainsi avoir leur première planche."

Ils se partagent cette première planche pour surfer. "Il ne fallait surtout pas tomber ; il y a quelqu'un au bord pour pouvoir récupérer la planche tout de suite faute de leash". C'est Eric Paofai qui aura l'idée de créer le premier leash de planche. "C'est Léopold Ateni qui m'a raconté l'histoire du leash tahitien. Un jour, ils vont surfer à Papenoo, et c'était assez fort et ils perdaient leurs planches. Au bord, il y avait un vieux qui les regardait. Et quand ils sortent, il leur demande : "Pourquoi vous n'attachez pas vos planches ? Regarde mon cochon, j'ai tressé du "purau" pour en faire une corde, et il y a le Chinois qui vend des colliers de pieds de cochon. Mon cochon est attaché par une patte. Pourquoi vous ne faites pas pareil ? C'est comme ça que l'idée a germé dans leur esprit". 

Le leash va permettre de progresser en surf, car on ne risque plus rien, on peut être téméraire, on peut tenter l'impossible puisque tu ne vas pas perdre la planche.

Jean-Christophe Shigetomi

Horizon Teahupoo - Polynésie la 1ère

Tout le monde à Tahiti va adopter le leash.  Mais à l'étranger, ce sera plus difficile. "Les Tahitiens vont à Hawaï, les Hawaïens leurs disent "no leash". En France, en 1971, quand ils arrivent avec leurs leashs, les Français voient ça, ils rigolent, ils l'appellent "le fil à la patte", ça les fait marrer. Il y a une réunion qui se tient au niveau de la fédération française qui dit non, il n'y aura pas de leashs". Les Tahitiens ne se laissent pas démonter et s'imposent lors des championnats de France de 1971. Dès les championnats d'Europe suivant, tous les Français ont un leash. Eric Paofai tentera de faire breveter le leash à la Chambre de Commerce. "Il tombe face à un mur d'administration dont nous avons le secret. Et il lâche le coup. Le leash sera breveté ensuite par l'entreprise O'Neill".

La vague tahitienne

L'arrivée des surfeurs tahitiens sur le championnat de France sera qualifiée par la fédération française de "vague tahitienne". En 1971, Jean-Baptiste Agnieray est sacré champion de France junior et Henere Lucas gagne en toutes catégories. En 1972, c'est Patrick Juventin qui sera sacré champion de France chez les juniors et en toutes catégories. Jusqu'en 1990, l'année de la création de la fédération tahitienne de surf, les Tahitiens vont truster les podiums avec des noms comme Eric Paofai, Arsène Harehoe et Vetea David. "Le premier champion du monde de surf est Tahitien, c'est Vetea David et il a remporté les championnats du monde junior 1986". 

Retrouvez l'intégralité de l'interview sur notre site internet en vidéo ou en audio