Deux hommes face à face, deux personnalités politiques prêtes à en découdre et défendre leurs idées. Ce mercredi matin, le face à face entre Gaston Flosse et Jean-Christophe Bouissou a tenu toutes ses promesses avec parfois, et même souvent, une montée en tension…Dès le début du débat portant sur le thème de l’évolution statutaire de la Polynésie française, le ton est donné. «J’aurais préféré que le débat ait lieu sur les préoccupations de la population, ce sont ces points qu’il faut aborder et non la question du statut », lance en forme malgré son âge le Vieux lion avant de se faire attaquer par son adversaire. «Je m’étonne de vous voir sur le plateau, vous n’êtes pas candidat », affirme Jean-Christophe Bouissou. Si Gaston Flosse n’est effectivement pas candidat, l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a autorisé qu’il puisse intervenir lors des débats de ces élections. L’attaque est tuée dans l’oeuf… Place donc au sujet du jour.
Deux visions sur le statut
Gaston Flosse, premier président du gouvernement de la Polynésie française, ancien secrétaire d’Etat chargé du Pacifique sud dans le premier gouvernement de Jacques Chirac, ancien sénateur, député, ancien maire, mais aussi président de l’ex-Tahoeraa devenu l’an dernier le Amuitahira’a o te nuna’a maohi, prône aujourd’hui la souveraineté de la Polynésie. « L’autonomie est arrivée à son terme. La loi de 2004 donne toutes compétences que l’État pouvait donner. Il faut regarder l’article 73-74 de la constitution française, nous sommes arrivés au bout, il est impossible d’aller plus loin avec ce statut. Donc fait-on du sur place, fait-on des amendements par ci par là ? Quand un pantalon a 40 ans, il est tout déchiré, il faut changer ! », argumente le président du parti orange. La contre-attaque ne se fait pas attendre : « Vous êtes devenu indépendantiste, dites-le, arrêtez de fuir ! Quelle différence entre souveraineté et indépendance ? Aucune. ». Jean-Christophe Bouissou ne lâche pas son adversaire : « l’autonomie a beaucoup évolué, certaines compétences sont encore régaliennes comme les affaires étrangères et la justice, mais peut-être pourrons-nous évoluer sur les affaires étrangères par exemple ? ». La réponse est virulente sur le plateau : « Ne venez pas discuter avec moi de l’autonomie, c’est moi qui l’ai créée ». L’ancien président de la Polynésie a préparé ce face à face, il n’est pas venu les mains vides. Il brandit une photographie avec François Mitterand. « Qui est à côté de lui ? C’est Gaston Flosse, donc ce statut je le connais bien. Je connais aussi la loi constitutionnelle de la France, le transfert des compétences de l’État au pays est réglementé par l’article 73, ces règles ne peuvent pas porter sur la nationalité, les libertés publiques, la justice, la politique étrangère. Alors quand Bouissou dit : nous pouvons peut être évolué, c’est faux ! Car l’article dit non, nous sommes donc arrivés au bout du statut (…) Mais pourquoi vous ne demandez pas la départementalisation ? ».
Attaque, contre attaque
Le ton monte et les flèches fusent sur le plateau.… Chacun tente de répondre à l’autre, c’est à celui qui parlera le plus fort. « La souveraineté pleine et entière, ça veut dire indépendance, la France vous a déjà répondu : pour faire une association avec elle, il faut être indépendant. Il n’y a pas de souveraineté au sein de la France. Vous voulez quitter la France ? Nous sommes le seul parti à ne pas vouloir la quitter », lance le candidat du Tapura. La rétorque ne se fait pas attendre… Le Vieux lion qui soufflera bientôt ses 93 bougies ne manque pas d’énergie. « Bouissou ne sait pas faire la différence entre souverain et indépendance. Nous voulons un état souverain associé à la France, nous ne voulons pas couper les liens avec la France », répond Gaston Flosse qui n’hésite pas à attaquer directement la politique du Tapura de ces dernières années. D’ailleurs le débat dérive quelques minutes, les deux hommes s’attaquent mutuellement sur leurs actions en particulier pour les archipels. Le premier accuse le parti rouge de n’avoir aucune idéologie et d’avoir fait couler le pays. « Vous dites faire plus pour le logement qu’auparavant ? Mais qui était là auparavant : vous quand vous étiez avec moi ! Vous m’avez trahi, trahi les électeurs, vous avez fait couler notre pays et notre statut (…) Dix ans que vous êtes au pouvoir et qu’avez-vous fait pour l’intérêt des archipels ? Zéro ! ». Le second dénonce d’abord « l’immobilisme » du parti orange pour ces archipels avant de défendre ses idées : « Nous avons pris une loi récemment au niveau de l’assemblée pour rendre les communes ou les groupements communes compétentes sur certaines matières comme l’économie ou le social. Nous allons aussi faire construire l’aéroport international aux Marquises, vous n’avez jamais voulu le faire… »
« Vous êtes des traitres ! »
Après quelques minutes hors sujet, le débat revient sur un point en particulier : la tentative de rapprochement entre Gaston Flosse et Oscar Temaru, leader indépendantiste pour ces Territoriales. « Vous avez rencontré Oscar, vous avez proposé une liste commune pour cheminer ensemble, mais Oscar vous a jeté car il estime que votre parti est devenu un tout petit parti… Vous avez tué le Tahoeraa ». Un pic qui ne plait pas au vieux lion. « J’ai rencontré Oscar, évidemment, nous ne sommes pas des sauvages mais des partis politiques. Fritch ne veut pas me parler, même pas bonjour ni au revoir, nous sommes là pour discuter avec tous les partis car nous serons plus fort. Pourquoi le Tahoeraa a perdu de son aura ? Car vous nous avez trahi ! ». A cet instant, le débat vire au règlement de compte… Le combat entre les deux hommes ne se porte plus sur la politique. « Vous êtes des traitres ! Vous avez voulu être plus grand que le chef ! Et où en est le pays aujourd’hui ? Il n’est pas aussi florissant que lors du Tahoeraa. En dix ans, vous avez amené le chaos dans le Pays ! ». « Vous êtes devenu hargneux ! » rétorque Jean-Christophe Bouissou. Des propos qui concluent donc ce débat de trente minutes. Un débat houleux aux nombreuses attaques entre deux politiques, deux hommes, deux visions.
Histoire de l’évolution statutaire de la Polynésie française
Le statut ne date pas d’aujourd’hui, il est même très ancien. Il faut remonter en 1843 pour comprendre son histoire. Cette année là, un traité est conclu entre le représentant du roi Louis Philippe et la reine Pomare IV, place donc aux « Etablissements français de l’Océanie » sous protectorat. En 1880, Pomare V cède à la France la souveraineté sur toutes les îles dépendant de la couronne de Tahiti. La constitution française du 27 octobre 1946 en fait un territoire d’Outre-Mer. L’évolution se poursuit avec l’instauration d’un véritable statut d’autonomie par la loi du 6 septembre 1984. La loi organique du 12 avril 1996 transfère ensuite des compétences supplémentaires à la Polynésie française, notamment en matière économique, et introduit des aménagements techniques en vue d’améliorer le fonctionnement des institutions. Enfin, en 2004, une nouvelle étape a été franchie avec la publication de la loi organique du 27 février renforçant le statut d’autonomie de la Polynésie française. Dès lors la Polynésie française est compétente dans toutes les matières, à l’exception de celles expressément attribuées à l’État.