Tematai Legayic, Mereana Reid Arbelot (remplaçant de Moetai Brotherson lorsqu'il est devenu président) et Steve Chailloux, élus députés en avril 2022, ne le sont plus depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale. Emmanuel Macron a annoncé la tenue d'élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains. En Polynésie, le premier tour du scrutin aura lieu le 29 juin.
Des conséquences pour l'Outre-mer
La décision est soudaine mais elle était déjà envisagée au sein de l'Assemblée nationale, "la majorité présidentielle n'ayant pas obtenu une majorité absolue mais relative... Tout le long de ces deux années de mandature que nous avons eues, il y a toujours eu ce spectre de la dissolution" explique le désormais ex-député. Mais elle perturbe quelque peu le calendrier chargé des prochaines semaines. "C'est un des plus mauvais timing qu'on puisse choisir. On va organiser des élections législatives anticipées en pleine crise en Nouvelle-Calédonie, en plein Jeux Olympiques et surtout à l'occasion de l'examen d'un texte important qui est celui du texte de la fin de vie, où la majorité des députés, tous bords confondus, étaient prêts à voter pour", regrette-t-il.
La dissolution annule effectivement, non seulement les mandats des députés mais aussi l'ensemble des travaux en cours au Palais Bourbon, dont les dossiers portés par Mereana Reid Arbelot notamment sur le Nucléaire ou encore le très sensible projet de loi sur le dégel du corps électoral, à l'origine de la guerre civile en Nouvelle-Calédonie qui a démarré le 13 mai...
Pour Steve Chailloux, cette décision du président n'est ni plus ni moins qu' "un constat d'échec de sa politique qui se voulait rassembleuse. (...) S'il avait su interpréter le message des électeurs, c'est-à-dire trouver à chaque fois des consensus et des compromis acceptables dans sa politique. Or, il n'a jamais compris ce message et n'a jamais appliqué le message des Français, ce qui a conduit à une radicalisation de l'Assemblée nationale. (...) Les extrêmes se sont endurcis parce que nous n'avons jamais connu au Parlement un président de la République, un gouvernant, qui a autant brutalisé le Parlement" exprime Chailloux.
Une politique de "brutalisation"
Ibrahim Ahmed Hazi : Qu'est ce qu'il aurait fallu ? Organiser une forme de cohabitation ?
Steve Chailloux : "Il s'agit de la responsabilité du président de la République. C'est de sa responsabilité politique de trouver. Et il a essayé, je pense, de trouver des cohabitations, des coalitions et notamment avec Les Républicains qui eux aussi ont joué au chaud et au froid avec la majorité relative. Un coup je vous soutiens, un coup je ne vous soutiens pas. Bref, on était dans une situation où effectivement, de par l'attitude du gouvernement d'Emmanuel Macron, on était dans un raidissement de l'Assemblée nationale. Moi j'ai une expression qui dit que l'Assemblée nationale était devenue un chaudron bouillant... Un chaudron bouillant parce que la représentation nationale, les parlementaires que nous étions n'étaient pas écoutés par le gouvernement.
Regardez sur ma page Facebook : chaque question orale que nous posions au gouvernement, il ne répond jamais aux questions des députés. Pareil aussi cette brutalisation du Parlement, en activant automatiquement à chaque fois le 49.3. Je ne sais plus à combien de 49.3 on est sous cette mandature, mais on dépasse toutes les statistiques. C'est encore une fois une stratégie de brutalisation. Un dernier fait : Nous avons souhaité que la majorité revienne à l'Assemblée avec un projet de loi des finances rectificatif parce qu'entre ce que nous avons voté pour le budget de la nation en octobre et décembre dernier, et les résultats attendus qui sont tombés, il y a un gros décalage. Ce décalage nous conduisait – nous, députés — à demander à la majorité de nous reproposer un texte rectificatif. Or, ce n'est pas fait. Encore une fois, ils vont le faire passer par ordonnances."
Comprendre le rôle du parlementaire
Ibrahim Ahmed Hazi : Les européennes sont finies. Les législatives approchent. Vous pensez qu'il y a un lien entre le comportement des électeurs pour les européennes et les législatives ?
Steve Chailloux : "Je ne pense pas mais je ne suis pas politologue. Ce que je peux constater, c'est qu'il y a moins 10 % de participation pour ce scrutin 2024 comparé au scrutin de 2019. On avance encore plus vers un désintérêt des élections européennes. Ça n'intéresse pas les Polynésiens. Maintenant, de là à dire que ce sont les mêmes qui vont voter aux élections législatives : ce sont deux scrutins différents, deux enjeux différents. Contrairement aux élections européennes, il s'agira d'élire les représentants polynésiens qui porteront la voix des Polynésiens au sein de l'hémicycle. Il y a un aspect beaucoup plus concret."
Ibrahim Ahmed Hazi : Vous ne craignez pas que les électeurs calquent l'action du gouvernement sur votre action à vous ? Parce que les attentes sont très grandes, par exemple sur un domaine comme la vie chère...
Steve Chailloux : "Vous avez raison de poser la question parce que, ce que je déplore malheureusement, et c'est un constat objectif et non pas un avis politique : notre population a du mal à distinguer les fonctions électives. Souvent, on vient m'interpeller moi, en tant que député et me reprocher le fait que je n'interviens pas à l'Assemblée nationale pour des questions de cherté de la vie. Or, la compétence de l'emploi, la compétence des péages, du logement social et que sais-je encore ne sont pas celles du député. Le député doit débattre de sujets nationaux.
D'abord, il y a le conflit armé sanguinaire qui se passe en ce moment à Gaza, que je déplore évidemment, tout comme je déplore les attentats perpétrés en Israël.
Je déplore la crise sanguinaire qui se passe actuellement en Nouvelle-Calédonie Kanaky. Notre rôle, à nous, députés, c'est de porter la voix de la nation tout entière. Mais aujourd'hui, nous sommes réduits à une certaine ignorance des uns et des autres. On est réduit à 'Il faut que les députés puissent agir sur le pouvoir d'achat.' Or ça ne fait pas partie de nos compétences. Je ne peux pas, en tant que député, donner de l'emploi du travail à ma population, parce que ce sont des fonctions différentes...je ne suis pas ministre de l'Emploi."
Ibrahim Ahmed Hazi : Et ça, vous pensez qu'il va falloir encore et encore l'expliquer ?
Steve Chailloux : "Chaque fois, à chaque élection. Dans quelques années, il y aura les élections municipales. Il va falloir réexpliquer encore aux gens, parce que les gens qui vont venir aux meetings, aux réunions publiques, pour un seul sujet : le travail. Mais quand on leur explique concrètement, la compétence du travail n'est pas une compétence communale. Les communes n'ont pas vocation à être des entreprises qui génèrent du profit et qui peuvent se permettre d'embaucher. Nous l'expliquons à chaque campagne électorale. Un député n'a pas la main mise sur l'emploi, la cherté de la vie. Le député doit porter la voix des Polynésiennes et des Polynésiens à l'échelle nationale et nous devons aussi nous positionner sur des enjeux nationaux.
On ne peut pas nous réduire à ce que nous vivons ici dans le Pacifique. Nous sommes inclus dans un monde aujourd'hui en conflit grave et c'était aussi le rôle des députés que nous étions de porter cette voix. Et je l'ai fait notamment en appelant le gouvernement Macron à la sagesse. Lorsque Macron a commencé à avoir des propos 'guerriers' vis-à-vis de Poutine dans le conflit Russo Ukrainien, j'ai porté la voix, me semble-t-il, des Polynésiens, en appelant le gouvernement à plus de sagesse.
Parce que, en tant que polynésien, je ne souhaite pas que nos soldats polynésiens puissent aller combattre une guerre qui n'appartient pas au peuple polynésien."
"Nous avons réussi"
Ibrahim Ahmed Hazi : Nous étions en direct avec le président Moetai Brotherson en personne depuis Paris. Nous lui avons demandé si votre bilan va vous aider pour cette campagne express...
Steve Chailloux : "Pour ma part, je le dis en toute franchise et en toute transparence : je n'ai pas à lui demander mon bilan parce que, comme je l'ai rappelé, le contexte de l'Assemblée nationale avec aucune majorité, une Assemblée nationale intenable, bouillonnante... Malgré tout ça, à titre personnel, fidèle à mes engagements politiques dans le cas de ma campagne des législatives que j'ai porté notamment dans mon programme, j'ai réussi à trouver une coalition, à trouver une majorité. Ce n'était pas simple à trouver. Une majorité de députés m'ont fait porter la proposition de loi sur la réussite scolaire des étudiants, des élèves ultramarins, en rendant obligatoire l'enseignement des langues et civilisations autochtones dans toutes les académies d'outre-mer.
C'est pareil pour ma collègue Mereana Arbelot qui était en plein dans une commission d'enquête sur le nucléaire, qui s'est engagée profondément pour les fonctionnaires d'État par les mots. Pour mon collègue Tematai, qui s'est engagé sur d'autres dossiers, qui a été beaucoup médiatisé...il viendra lui-même défendre son bilan.
Je ne pense pas que nous ayons à avoir honte dans ce laps de temps de deux ans, dans un contexte bouillonnant à l'Assemblée nationale sans majorité, nous avons réussi, nous députés de la Polynésie, malgré le hululement des uns et des autres qui disait qu'on n’allait rien pouvoir faire. Nous avons posé nos cailloux à l'Assemblée nationale dans un contexte extraordinairement compliqué et finalement inédit qu'on n'a jamais connu sous la cinquième République.
En route pour la campagne
Le dépôt des candidatures pour les Législatives anticipées ouvre mercredi 12 juin. La campagne débute le 17 juin. "On n'a pas changé de cap, on avait un programme en 2022. Nous avons cinq ans pour mettre en place ce programme autant que nous pouvons et là, nous n'avons pas eu cinq ans, nous avons eu à peine deux ans. Donc nous allons continuer dans cette veine-là, par rapport aux valeurs que nous défendons et pour lesquelles nous avons été élus en 2022." L'accent sera mis sur le nucléaire, mais aussi "les intérêts des Polynésiens lorsqu'il s'agira de débattre notamment du budget de l'Etat. On attendait des réponses concrètes vis-à-vis du ministère par rapport au budget outremer : Est-ce que le budget qui a été imposé par le 49.3 sera celui qui sera appliqué, notamment pour les outremers ? On a encore des points d'interrogation. Et ça, c'est le rôle d'un parlementaire, de discuter de ces sujets de fond et aussi des sujets internationaux" explique Steve Chailloux.
Les autonomistes aussi préparent leur campagne et leurs candidats pour entrer de nouveau dans le jeu. "Ca ne m'inquiète pas. Et puis, je ne suis pas surpris. Je pense qu'ils rencontrent le tapura depuis un certain nombre de mois maintenant, dans leur velléité de monter une plateforme commune entre eux, les anciens copains et les nouveaux copains. C'est le jeu politique, tout un chacun est responsable de sa de sa chapelle et chacun garde ses stratégies personnelles" commente le membre du Tavini qui n'a pas peur de perdre son fauteuil de député. "Je ne suis pas venu en politique sans rien. J'avais une vie en dehors de la politique. J'étais enseignant, comme beaucoup le savent, j'ai eu une vie intellectuelle avant la politique. Etre parlementaire, c'est très bien dans l'instant d'une vie. Toute la vie, c'est autre chose. Perdre mon siège ou le maintenir, il appartient aux Polynésiens d'en juger au moment venu. Mais à titre personnel, vous savez, le mandat de parlementaire est particulier parce qu'il contraint les élus à des voyages continuels, à une vie finalement scindée en deux, entre Paris et Papeete, avec le décalage horaire, c'est usant physiquement... je ne m'en plains pas, mais il faut en prendre conscience. Nous nous en remettons au jugement des électeurs polynésiennes et polynésiens de souche, d'adoption ou de cœur."