C’est la particularité de cette affaire : les instructions auraient été passées par appel visio, depuis la prison de Tatutu. Le prévenu, âgé de 47 ans, servant tantôt d’intermédiaire, tantôt de nourrice et puis de mule pour le commanditaire présumé : Amaru. « Un ami », selon les mots du prévenu, qui purge actuellement une peine pour trafic d’ice, condamné à 6 ans ferme en 2019 dans l’affaire dite « Papy Ellis » et dans une autre affaire en 2023. À la barre, il explique que Amaru l’appelait régulièrement par messenger, lui demandant bien « d’effacer leurs conversations par la suite ».
« Le trafic continue en détention, en interne ou en externe » résume le procureur
« Au départ, je devais juste déposer 1 100$ auprès d’un certain ‘Amigo’, sur un parking de Los Angeles et une autre personne devait récupérer la drogue. Au final, il m’a demandé de la ramener, » explique le prévenu à la barre. Amaru lui aurait alors promis, depuis sa cellule, 2 millions de francs pacifique à son arrivée à Tahiti.
Car le prévenu aurait déjà rendu quelques « services » à Amaru : amener 500 000 francs pacifique aux Etats-Unis, garder sa voiture chez lui, garder 4 millions de francs pacifique... En échange, Amaru lui aurait « versé un million de francs pacifique, donné de l’argent de poche pour faire du shopping à Los Angeles... ».
En décembre 2023, lors d’un voyage aux Etats-Unis, il accepte encore de reporter son retour à Tahiti pour récupérer une somme d’argent qui aurait dû arriver sur une voyageuse, moyennant 800 000 francs pacifique. Me Loris Peytavit, l'avocat des deux prévenus : "Tout le monde en parle, et mes clients ont largement été interrogés sur l'implication de celui-là dans le cadre de ce dossier. Et finalement, on choisit de ne pas le renvoyer devant la juridiction, parce qu'il aurait dit 'non non j'y suis pour rien'. Donc après, si on ne renvoie pas quelqu'un devant la juridiction, le commanditaire, reprocher aux personnes qui sont soit les mules, soit les bras armés de ce dernier, des faits commis par celui qui n'est pas là. Donc ça me semble un peu délicat."
Ni consommateurs, ni dans le besoin : juste l’avidité
Le couple à la barre ne consomme pas d’ice et est bien inséré socialement. Leurs casiers judiciaires sont vierges.
La femme qui comparaît libre, âgée de 43 ans, mère de 3 enfants de précédentes unions et enceinte de quelques mois du prévenu, est guide touristique patentée et organise cinq voyages annuels aux Etats-Unis. Lui est assistant technique et vice-président de la fédération tahitienne de volley. « Vous avez représenté l’image du Pays aux Jeux du Pacifique, en encadrant les jeunes, » souligne le procureur.
Le couple se fréquente depuis quelques mois, l’un accompagnant l’autre dans ses voyages. Lui cumule deux emplois, faisant occasionnellement le chauffeur pour les clients de sa nouvelle compagne, lorsqu’il est en congés ou en mission professionnelle, grâce à un faux permis californien et une fausse green card, achetés « à des Mexicains ». Il se fait livrer les vans par un certain « Harry », déjà impliqué dans des trafics de stupéfiants avec des Polynésiens. « Je ne savais pas tout ça, » assure-t-il à la barre. « Vous êtes un peu crédule, » ironise le procureur.
Juste avant ce voyage de février, le prévenu aurait récupéré 300 000 francs pacifique sur un parking de Tahiti, par un intermédiaire de Amaru, qu’il se serait occupé de changer en dollars. « J’étais tenté, explique-t-il à la barre. Je ne consomme pas, je n’ai pas de difficulté financière. » « Au retour de Las Vegas, il m’a dit qu’il avait envie d’essayer d’en ramener [de l’ice ndlr], » confirme sa compagne à la barre.
50 kg saisis depuis 16 mois
Le couple est arrêté à l’aéroport de Los Angeles, juste avant son retour pour Tahiti, après avoir enregistré ses bagages et passé le contrôle de sécurité. Sur eux, les douanes retrouvent 73 grammes de méthamphétamine, dissimulés dans deux boulettes, dans le soutien-gorge de la femme. Et 116 grammes, répartis dans trois boulettes, dissimulées dans le slip du prévenu.
À la barre, elle déclare que son compagnon lui a remis les boulettes à l’aéroport, lui demandant d’en prendre deux sur elle, qu’il récupérerait une fois dans l’avion. « J’ai accepté par amour, » assure-t-elle. « Donc, non seulement vous acceptez, mais vous n’essayez même pas de l’en dissuader ? » interroge le procureur.
Les douanes américaines envoient alors un courriel aux douanes françaises en Polynésie. Georges Puccetti, le directeur régional des douanes, explique : "Il y a une collaboration entre les services américains et la loi française. Et ensuite, en fonction des décisions qui sont prises ou pas prises aux Etats-Unis, les suites sont données ici en Polynésie. Il faut que les gens qui trafiquent sachent qu’ils ne rentrent pas en Polynésie sans encombre, et qu'ils peuvent être présentés devant un juge."
Sur les seize derniers mois, les douanes américaines et françaises ont saisi 50 kg d’ice à destination de la Polynésie : « on bat tous les records de saisie ! » résume le procureur.
Le prévenu écope de 3 ans de prison ferme avec maintien en détention. Sa compagne de 2 ans de prison ferme avec mandat de dépôt. Le couple est condamné à payer une amende douanière de 9 millions de francs pacifique.
Une suite sera donnée sur l’implication présumée de Amaru, « elle sera traitée différemment », précise le procureur.
Mise à jour vendredi 26 avril :
Le couple a fait appel de cette condamnation.