Les indépendantistes sont en passe de prendre la tête du gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie pour la première fois depuis l'accord de Nouméa de 1998, à la suite du renversement d'alliance d'un parti charnière, avant un troisième référendum sur l'indépendance d'ici 2022.
.Le 2 février, les cinq membres FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste) du gouvernement ont démissionné, ce qui a entraîné de facto la chute de l'exécutif, présidé depuis juin 2019 par le loyaliste Thierry Santa.
Ils ont mis en cause "la dynamique institutionnelle en panne, les retards du budget et les difficultés de la collégialité", et surtout le projet de cession de l'usine de nickel du groupe brésilien Vale, "qui fait primer les intérêts des multinationales sans considération des aspirations des populations locales".
En faisant chuter le gouvernement, le FLNKS, farouchement opposé à la reprise de cet outil industriel par un consortium calédonien et international comportant le négociant en matières premières Trafigura, souhaitait enrayer le processus institutionnel en cours devant permettre aux collectivités de valider la transaction. Celle-ci a été différée à mars pour donner du temps au dialogue.
L'élection du nouveau gouvernement aura lieu mercredi par les 54 élus du Congrès (assemblée délibérative), après validation des listes la veille par le haut-commissariat de la République.
Déposées vendredi dernier, celles-ci laissent présager l'élection d'un gouvernement à majorité indépendantiste, pour la première fois depuis le début de l'accord de Nouméa qui organise la décolonisation par étapes de l'archipel.
Le FLNKS devrait en toute logique obtenir 6 "ministres" sur 11, grâce au ralliement de l'Eveil Océanien à la liste UC-FLNKS.
Cette petite formation, représentant la communauté wallisienne et futunienne, est depuis les élections provinciales de mai 2019 l'arbitre de la scène politique calédonienne.
Avec ses trois élus au Congrès, l'Eveil océanien a la capacité de faire basculer la majorité dans l'un ou l'autre camp, loyaliste ou indépendantiste. "C'était pour nous le seul choix intelligent. Nous ne partageons pas la même vision avec l'AEC (coalition dont est issu M. Santa, ndlr) sur l'avenir de l'usine de Vale et l'impasse budgétaire", a expliqué à l'AFP Milikulo Tukumuli, leader de l'EO, qui se revendique "indépendant et non indépendantiste".
Le leader océanien explique également avoir été séduit par le profil "modéré et moderne" de la tête de liste UC-FLNKS, qui devrait être élue à la présidence de l'exécutif.
Il s'agit de Samuel Hnepeune, Kanak de 59 ans, jusqu'alors président du Medef et directeur de la compagnie aérienne domestique, Aircal. Réputé "travailleur et ouvert", M. Hnepeune a, selon les observateurs, été choisi pour "ses compétences et sa capacité à rassurer" alors qu'un troisième et ultime référendum sur l'indépendance devrait avoir lieu d'ici 2022.
Les discussions avec le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, pour préparer les suites de cette échéance cruciale sont au point mort.
Le 4 octobre dernier, les pro-français ont remporté d'un courte tête (53,3%) le deuxième scrutin référendaire.
Fustigeant la stratégie de l'EO, qui en juin 2019 avait déjà permis aux indépendantistes de prendre le "perchoir" du Congrès, les loyalistes de l'AEC ont estimé "que l'élection d'un indépendantiste à la présidence du gouvernement serait un déni de démocratie".
"Nous nous y opposerons de toute la force de nos convictions", ont-ils indiqué dans un communiqué, accusant "les indépendantistes de poursuivre leur politique de déstabilisation", en allusion aux violences qui ont émaillé les actions contre la reprise de l'usine de Vale.
De son côté, Calédonie ensemble (non indépendantiste) avait appelé à la formation d'un gouvernement de "salut public", compte tenu selon ses dirigeants "des impasses budgétaire, minière et métallurgique et politique" dans laquelle se trouve la Nouvelle-Calédonie. Le candidat proposé par ce parti de centre-droit minoritaire pour chapeauter le gouvernement n'a cependant pas fait consensus.
Jusqu'à présent, les seize gouvernements calédoniens qui se sont succédé depuis la mise en place des institutions de l'accord de Nouméa ont été présidés par des personnalités non indépendantistes, dont aucune issue de la communauté kanak.