PORTRAIT. Découvrez le destin peu commun d’Iwan Sugeng, des bidonvilles de Jakarta au traitement de l'eau à Nouméa

Né à Nouméa, Iwan Sugeng a grandi dans un bidonville de Jakarta, avant de revenir vivre en Nouvelle-Calédonie à l'âge de neuf ans. Une "chance" pour cet amoureux du Caillou, aujourd'hui directeur technique dans une entreprise de traitement de l’eau.
À dix ans, Iwan Sugeng fait un choix qui changera sa vie pour toujours : celui de vivre en Nouvelle-Calédonie avec sa grand-mère qu’il connaît à peine. Il quitte alors sa famille et tourne la page d'une enfance passée dans un bidonville de Jakarta. Des souvenirs que ce Calédonien de 44 ans a encore parfois du mal à évoquer. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

Téléphone portable à la main, Iwan Sugeng regarde les photos et vidéos qu’il a prises de son quartier d’enfance lors de son dernier voyage à Jakarta. "On voit des villas très précaires, en tôles, ça ressemble pas mal à des squats. Il y a des marchands ambulants dans la ruelle. Ils vendent un peu de tout pour survivre. Il n’y a pas les odeurs avec la vidéo, c’est dommage. Car l'eau usée tombe dans des lagunes, et les lagunes sont en plein milieu du quartier." S'il a grandi en Indonésie, Iwan Sugeng est né à Nouméa. Sa grand-mère arrive en Nouvelle-Calédonie avant la Seconde Guerre mondiale, durant le boom du nickel. Elle laisse derrière elle un petit garçon de quatre ans, qu'elle confie à sa sœur, à Jakarta. "Mon père en a toujours voulu à ma grand-mère, sa mère, de l’avoir abandonné. Mais le fond de l’histoire, c’est qu’elle est partie pour pouvoir gagner de l’argent, pour qu’il ait une vie meilleure." Le père d’Iwan grandit, se marie et fonde une famille. En 1978, sa mère reprend contact avec lui et l'invite, avec sa femme et ses deux filles, à se rendre en Nouvelle-Calédonie pour s'installer sur le terrain familial, à Païta. "Mon père a trouvé du travail dans une casse. Ma mère faisait de la couture pour les gens du quartier." Iwan naît le 20 juillet 1979. "Je suis le seul du noyau familial à être né en Nouvelle-Calédonie." Mais le père s’ennuie, Jakarta lui manque. "Mon père adorait les jeux de cartes. En Indonésie, on peut jouer au bord de la route. Ici, c’est beaucoup plus encadré, ça ne lui plaisait pas." En 1980, toute la famille repart. Iwan a un an. "J’ai grandi dans un bidonville du centre de Jakarta. Ce n’était pas la joie. Mon père continuait à jouer. Tout son salaire y passait. Nous étions en manque de nourriture." Le petit garçon sait qu'il est né à Nouméa, sans parvenir à se représenter cette ville dont il ne voit aucune image. Dans le quartier, on l'appelle l'étranger. "Ça ne me faisait rien, au contraire. Quelque part, je sortais du lot, j’étais fier d’être né ailleurs."

 

L’heure du choix

Il a neuf ans quand sa grand-mère reprend contact avec la famille et propose à Iwan Sugeng et à sa mère de lui rendre visite pour six mois. Ils acceptent et, très vite, le jeune Iwan est scolarisé à l’école de Païta. "Je ne parlais pas un mot de français, c’était l’occasion d'apprendre. Mais le premier truc que j’ai appris en fait, ce sont les noms d’oiseaux ! Que ce soit en wallisien, en français, en langue kanak. C’était rigolo et je me rendais compte que je me sentais bien ici, sur ce territoire où j'étais né." Pourtant, la date du retour à Jakarta approche. "Un soir, j’ai dit à ma mère : tu n’oublies pas qu’il y a un billet d’avion pour le retour ? Elle m’a dit oui, oui, je me souviens bien, et toi, tu fais quoi ?" Le petit garçon fait alors le choix le plus important de sa vie. "À dix ans, j’ai pu dire à ma mère que ma vie était ici. Heureusement pour moi, ma grand-mère et ma tante adoptive étaient sur le territoire, car je ne voulais pas revivre dans les bidonvilles. Je me suis rendu compte que mon pays, c’était ici. D’où la décision, difficile, de laisser ma mère repartir seule." Iwan Sugeng a aujourd'hui 44 ans. Il a la nationalité française depuis ses seize ans. "J'ai demandé ma nationalité française à 13 ans. Trois ans plus tard, un jour, Alléluia ! J’ai été convoqué au tribunal. Ils m’ont alors dit que je ne pouvais pas avoir la double nationalité, je devais choisir. Je me souviens avoir répondu que je suis né ici et que je veux être français." 

Spécialiste du traitement des eaux

Après son baccalauréat, obtenu en 1999, Iwan Sugeng commence à travailler dans un grand groupe, en tant que manœuvre. Près de vingt-cinq ans plus tard, il est directeur technique dans une entreprise de traitement de l’eau. Comme une revanche sur cette enfance dans un bidonville insalubre. "Il doit y avoir un lien, quelque part dans mon subconscient. Le traitement des eaux, c’est quelque chose que j’adore. Pouvoir traiter l’eau en Nouvelle-Calédonie, surtout avec notre lagon magnifique, ça rappelle qu’il ne faut pas jeter n’importe quoi !" Aujourd’hui, Iwan Sugeng se définit avant tout comme Calédonien. Pourtant, l'Indonésie n’est jamais loin. "J’essaie d’y retourner tous les deux ans, pour les vacances. Ma famille vit toujours à Jakarta. Mon père est décédé. Mes sœurs ne vivent plus dans le bidonville, elles ont fait des études. L’idée, pour moi, c'était de les aider à sortir de là." Il y a quelques années, un incendie a détruit la maison du bidonville. Iwan a alors aidé sa famille à retrouver un toit, dans un quartier plus adapté de Jakarta. Aujourd’hui, il est à son tour père de famille. Il parle un peu indonésien à ses enfants, leur transmet la culture. "Mais je sais que je ne leur ferais pas vivre ce que j’ai vécu. Qu'ils souffrent de la faim, c’est quelque chose que je ne permettrais jamais. Par contre, je voyage avec eux, pour qu'ils comprennent d'où je viens et comment, grâce à mon passé, j'arrive pleinement à apprécier le bonheur que procure une vie en Nouvelle-Calédonie."

 

Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).