PORTRAIT. Découvrez le destin peu commun de Clara Filippi, à la recherche d’une réconciliation calédonienne

À 27 ans, Clara Filippi effectue, depuis la Nouvelle-Calédonie, un doctorat à l’université catholique de Louvain, en Belgique, sur les processus de réconciliation, la transmission de l'histoire et la mémoire collective calédonienne. Un travail engagé après que la jeune femme ait réalisé l’importance de connaître son histoire, au cours d’une licence effectuée au Québec. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

En 2017, Emmanuel Macron fait un discours en Algérie, qualifiant la colonisation de "crime contre l’humanité." Clara Filippi est alors étudiante à l’université du Québec à Montréal, en licence sciences politiques et relations internationales. Elle s’oriente, à cette époque, vers l’étude du Moyen-Orient et rêve de travailler dans la lutte contre le terrorisme. En entendant parler des revendications des Algériens pour obtenir un pardon de la France, un déclic se produit chez l’étudiante. "J’ai tout de suite fait le rapprochement avec la Calédonie et le peuple Kanak. Et j’ai compris où mon cerveau voulait m’emmener depuis toutes ces années. Je me suis alors demandé pourquoi les Kanak n’auraient pas le droit, eux aussi, à un pardon ? " À partir de cette question, la jeune femme se rend compte qu’elle ne "connaît rien" à l’histoire de son propre pays. "Je me souviens d’une conversation sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie avec une amie d’enfance. On avait la vingtaine et on se demandait : " Yéwéné ? Les Événements, c’est quoi ça ? Il y avait Tjibaou aussi, non ?" C’est dramatique quand j’y repense. Je nous revois chercher sur Wikipédia et découvrir ensemble qu’il y avait eu tout ça dans notre histoire." Clara Filippi va alors se lancer dans une quête : réapprendre son histoire, et tout faire pour comprendre "comment un pardon et une réconciliation entre les peuples peuvent se faire". Après sa licence obtenue en 2018, elle poursuit ses études par un master à l’université catholique de Louvain, en Belgique, et propose cette thématique pour son mémoire. "C’est précisément à ce moment-là que je me dis que je ne connais rien. Je cherche dans des sources scientifiques et je trouve des informations contradictoires. J’en parle à ma prof qui me dit de mettre ça en introduction de mon mémoire, car cela montre bien qu’il y a un réel enjeu sur la transmission de l’histoire en Calédonie. " 

 

Retrouver sa propre histoire à travers celle du pays

 

Son mémoire validé et son master "relations internationales à finalité diplomatie et résolution des conflits" en poche, la jeune femme rentre sur le Caillou. Clara Fillipi est Calédonienne, descendante de déporté algérien par sa mère et d’immigrés italiens par son père. Elle se souvient avoir longtemps cherché ses origines, pour " légitimer ma place ici, car pour moi, c’est clair, je suis Calédonienne". Elle reproche parfois à sa mère de ne pas lui avoir transmis son nom, Beaumont, qui résonne ici, en Nouvelle-Calédonie. "Le nom, c’est un peu ce qui rattache ici à la terre", estime Clara. En effet, on lui demande souvent d’où elle vient. "Mon frère a pris le côté italien de mon père. Il a la peau mate et comme il va à la pêche, alors pour les gens, il est d’ici. La génétique a fait que moi, je n’ai pas pris ce côté italien, on a l’impression que j’arrive de France. Ce ne sont pas des reproches, mais j’ai cette envie de légitimer ma place." Lorsqu’elle revient de son expérience belge, la jeune étudiante ne sait que faire. "J’avais l’impression de ne savoir faire que de la théorie." Elle s’inscrit à un master 2 à distance, en "stratégies internationales et environnement des outre-mer", et effectue une alternance au sein des Forces armées de Nouvelle-Calédonie. Clara Filippi ne perd pourtant pas ses objectifs de vue : travailler pour une réconciliation entre les peuples et, pour cela, faire connaître l’histoire du pays et libérer la parole. En 2021, elle s’inscrit à une conférence Ted X. "C’était un réel enjeu, car parler en public, c’est compliqué pour moi. Mais je me suis dit que ce serait l’outil à envoyer aux gens, que ça allait m’aider. Et c’est ce qui a fait que les choses ont bougé par la suite." L’intitulé de son intervention : "Le travail de mémoire, arme de réconciliation massive." Sa prise de parole se termine par ces mots émus de Clara Filippi : "Le futur doit devenir un projet commun en s’appuyant sur un passé révélé, pardonné." Le public est touché, il se lève, applaudit. "Là, en recevant ces émotions, j’ai senti que j’étais sur la bonne voie et que je devais continuer."

 

Des écoles au Haussariat : un travail de terrain pour libérer la parole

 

Aujourd’hui, Clara Filippi, toujours aussi motivée, prépare son doctorat. Elle est également auto-entrepreneure, et fait partie d’un groupe de réflexion sur ces questions de réconciliation. "Les réunions se font au sein du Haussariat, mais le groupe n’est pas piloté par l’État. C’est indépendant. Il y a un représentant de l’État, car quand on parle de décolonisation et de réconciliation, le rapport est bien entre colonisés et colonisateurs. Ce groupe de réflexion a vocation à devenir une association, et il est important pour nous qu’il y ait une représentation des huit aires coutumières. Ce chemin est en cours." Pour Clara, une chose est déjà certaine : ce n’est que par la parole que les choses avanceront. "Les personnes qui ont vécu les Événements ne sont pas éternelles et il y en a encore beaucoup qui n’ont pas reparlé de cette période de l’histoire. C’est un poids émotionnel important, et je pense qu’aujourd’hui, il faut que ça sorte. Il faut épurer ce passé, surtout ne pas l’oublier. La réconciliation, c’est une reconnaissance, une responsabilité, des excuses et une réparation. Des étapes que les Calédoniens doivent s'approprier, pour les mettre en place, à leur image." La jeune femme intervient également dans les écoles, auprès d’enfants du CP au CE2." S’ils apprennent maintenant à écouter leurs camarades, à comprendre que l’on peut ne pas avoir le même avis et que ce n’est pas grave, alors dans 20 ans, ces enfants devenus adultes seront capables de pardonner, de se réconcilier, de parler de leur passé et de s’écouter." Un engagement à l’échelle du pays, dont les répercussions sur la vie de Clara Filippi sont directes. "Tout ce cheminement m’a permis de découvrir plus de choses sur mon histoire, d’asseoir mon identité et de moins ressentir ce besoin de me légitimer. Je connais mon histoire et si tu n’as pas envie de la connaitre, tant pis pour toi, mais j’ai ma place ici, que tu connaisses ou pas mon histoire. L'idée n'est pas de trouver un coupable, mais bien de regarder le passé en face pour pouvoir se réconcilier et avancer".

Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).