PORTRAIT. Découvrez le destin peu commun de Lorenza M’Boueri, infatigable rêveuse et engagée au service de Thio

À 47 ans, Lorenza M’Boueri est la directrice de l’office de tourisme et du musée de la Mine de Thio. Avant d’en arriver là, cette passionnée d’histoire s’est essayée à de nombreux métiers et a complété plusieurs cursus universitaires. Une curiosité qu’elle essaye de transmettre à la nouvelle génération. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

Quand Lorenza M’Boueri commence à parler de Thio, son regard se tourne automatiquement vers la terre rouge vif de la chaîne. "Il faut voir la rivière remplie de cette boue rouge, qui serpente à travers les tribus, pour comprendre comment ce paysage forge les caractères ici, ça questionne, interpelle et révolte parfois." Née en 1975, Lorenza M’Boueri grandit au milieu de ces montagne, entre les tribus de Saint-Michel, où elle est née, et de Saint-Pierre, d’où est originaire son beau-père. "Mon père biologique était, lui, Vietnamien. C’était un travailleur volontaire arrivé en Nouvelle-Calédonie vers 1933. Il a travaillé dans le Nord et est devenu le premier contremaître étranger non-européen, sa photo est affichée au musée de Tiébaghi", raconte cette passionnée d’histoire. Enfant, elle passe donc ses vacances entre les tribus de Thio et Dumbéa. "Mon papa de la tribu m’amenait chez mon papa biologique, ce n’est pas une situation habituelle, mais tout se passait bien, j’ai passé une enfance heureuse, entourée d’amour." Son père biologique, qu’elle voit régulièrement, ne lui transmet pas sa culture vietnamienne. Après son décès, alors qu'elle a huit ans, Lorenza M’Boueri perd le contact avec ses demi-frères et sœurs. "J’ai presque 40 ans d’écart avec le dernier des enfants de mon père biologique. Par contre, j’ai plus de souvenirs avec lui que certains de ses descendants." Récemment, cette partie de la famille de Lorenza M’Boueri l’a contactée. "Ils m’ont, par exemple, envoyé le carnet de famille. C’est important de commencer cette recherche, car c’est aussi mon histoire."

 

Le temps des Événements

 

Enfant, Lorenza M’Boueri suit toute sa scolarité à Thio Village, à l’école publique. Une situation assez rare, à l’époque, pour les enfants des tribus, normalement scolarisés dans les établissements privés à Thio Mission. "Il y avait un ou deux cousins avec moi, car il y avait un internat dans le public, mais nous n'étions que deux ou trois Kanak. Car à l’époque, on ne parlait pas de métisse, on était Kanak ou Européen, selon les consonances de notre nom de famille." De cette époque, Lorenza M’Boueri se remémore une envie précoce "d’aller voir le monde, je me voyais déjà archéologue." En 1984, quand les Événements débutent à Thio et que les barrages se mettent en place, le beau-père de Lorenza vient la chercher à l’école pour la ramener à la tribu. "Là, j’ai suivi la formation des EPK (écoles populaires kanak), ma mère faisait l'institutrice et on essayait de rester à niveau." Quelques mois plus tard, le FLNKS donne l’ordre de se replier dans la chaîne et d’abandonner la tribu. "Je me souviens avoir enterré toutes nos affaires avec ma grand-mère, avoir mis le linge et les marmites dans un grand trou car on partait sans savoir quand on reviendrait" Un moment qui dure près de six mois et que Lorenza M’Boueri se rappelle avoir vécu comme "des vacances avec les cousines, tout en gardant un sentiment d’alerte pour ne pas se faire repérer en cas d’attaque."  À l’époque, Lorenza M’Boueri pose des questions, sans obtenir véritablement de réponses. Des non-dits toujours présents, lorsqu’elle réintègre l’école publique de Thio après les Événements. "Je me souviens avoir été impressionnée, durant cette période, par les chars et les mitraillettes. Je me suis dit que l’Etat avait la force avec lui, mais je n’ai pas ressenti de haine. Ça m’a seulement poussé à me dépasser, à devenir la meilleure à l’école, c’était ma revanche."

D’agricultrice à Thio à un master à HEC Paris

Son bac en poche, la jeune femme décide de faire une pause. Le temps d’enchaîner les expériences, d’institutrice remplaçante à agricultrice à la tribu. Le petit contrat qui la marque alors le plus est celui passé au musée de la Mine de Thio, en 1995. "Cette plongée dans l’histoire que je ne connaissais pas, ça m’a marqué et beaucoup ouvert l’esprit." Peu à peu, elle voit ses anciens camarades de classe poursuivre des études et décide d’en faire autant. En 2001, Lorenza M’Boueri décroche une bourse pour poursuivre des études de tourisme en Nouvelle-Zélande. Elle y reste presque deux ans, avant de repartir à Brisbane pour faire du management de projet. Fin 2007, elle prend la direction de l’office de tourisme de Thio, alors en rénovation, et du musée de la Mine, alors en construction. Très vite, elle sent pourtant qu’il lui "manque encore quelques compétences" et postule au programme Cadres avenir. Elle passe près de quatre ans dans l’Hexagone, à cumuler différentes formations. Elle se perfectionne ainsi dans la gestion des entreprises et des administrations, puis suit une licence dans le domaine de la solidarité internationale, dont le stage se déroule à la CPS, à Fidji. Elle poursuit avec un master en patrimoine, communication et développement durable, avec un stage à l’UNESCO, à Paris. Son mémoire porte alors sur le changement climatique en milieu océanien. "Toutes ces expériences m’ont permis de voir les projets à différentes échelles. Je partais du très local, Thio, pour voir les enjeux régionaux avec la CPS, avant d’arriver à un niveau mondial." De retour à Thio en 2015, elle repart trois ans plus tard pour valider un nouveau master des unités stratégiques, à HEC Paris. "C’est très large, mais cela apprend à s’adapter, créer, innover et oser, ce que j’adore. Et j’aime le faire à Thio : partir d’une idée, rêver et réaliser des projets."

 

Encourager la jeunesse

 

Aujourd’hui, Lorenza M’Boueri a à cœur de transmettre aux nouvelles générations ce qu’elle a appris au fil de ses années de formation. "Je suis assez satisfaite de voir que les habitants de Thio viennent maintenant au musée, c’est à cela que je veux contribuer, afin que les gens connaissent leur histoire et se sentent mieux pour avancer. C’est ce qui va permettre le vivre-ensemble, que ces Événements de 84 ne restent pas comme ça. Il appartenait à notre génération de passer ainsi à autre chose." Résolument optimiste, Lorenza M’Boueri n’a de cesse d'encourager les jeunes : "On peut tout faire avec de la volonté et du courage, il faut oser prendre son destin en main et rêver."

Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).