C'est un record : 47 ex-mineurs dits de la Creuse arrivent ce vendredi 7 avril 2023 à l'aéroport Roland Garros. C'est la première fois qu'ils sont un aussi grand groupe à effectuer un retour au péi. Une délégation d'une trentaine de personnes était venue en 2020.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère à l'aéroport ce matin :
Un comité d'accueil tout en musique et en sourires les attendait à l'aéroport. Un moment empli d'émotion, de franches embrassades et parfois de larmes. "On a tellement été arrachés à notre île. (...) Ils ont saccagé des familles. Qu'on y vienne, et qu'on y reste, chez nous, c'est notre île", disait ce vendredi Marie-Jeanne Boyer en sortant de l'avion, en larmes.
Pour cinq d'entre eux, le premier retour
Ce voyage, ils l'entament cette fois-ci grâce à une aide du ministère de l'Outre-mer, car tous n'ont pas les moyens de rentrer. Cinq parmi eux, reviennent à La Réunion pour la toute première fois depuis leur exil forcé il y a plusieurs décennies. Ces enfants réunionnais ont en effet été déracinés de leur famille et de leur île entre 1962 et 1984.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
"Une étape, une avancée, un défi"
Olivia, 53 ans, fait partie de ceux qui n'ont jamais re-foulé le sol réunionnais depuis leur déracinement. Partie de La Réunion à 4 ans, c'est donc près d'un demi-siècle plus tard qu'elle revient. Cet atterrissage et le séjour qui s'en suivra, les quatre prochaines semaines, c'est pour elle "une étape, une avancée, un défi". "J'ai quand même plus de 50 ans, donc il était temps !", sourit-elle.
"C'est beaucoup d'émotion, j'arrive même pas à y croire tellement c'est exceptionnel comme moment. J'ai mis beaucoup de temps et là c'était le bon moment. Je m'étais préparée et là j'ai sauté le pas. Dans ma démarche je suis fière de moi, j'ai envie de tout découvrir"
Olivia, ex-enfant de la Creuse de retour pour la première fois à La Réunion
"Enfin un peu de joie"
Simon lui, est effondré, sous le coup de l'émotion en rencontrant sa petite-fille pour la première fois. "C'est un grand plaisir et une grande joie", s'exclame-t-il. "C'est la première fois que je reste autant de temps. C'est avec un grand plaisir qu'on vient avec la Fédération (enfants déracinés des DROM, ndlr), qui a fait un travail énorme avec le Département, la mairie de Saint-Denis, le ministère de l'Outre-mer, tout le monde", achève-t-il.
"Enfin un peu de joie, un peu de bonheur, on était tous ensemble, c'était formidable. Ce n'est pas la première fois mais mon coeur est réunionnais, quand on vient à La Réunion on est vraiment bien", lance pour sa part Daisy, tout sourire au sortir de l'avion.
L'importance du groupe
"On se retrouve au pays, ça fait du bien ! On était venus en 2021 avec notre petite soeur qu'on avait retrouvée, mais là avec le groupe c'est aussi bien", commente Anne-Marie, qui a fait le déplacement de la Martinique.
Pour Valérie Andanson, vice-présidente de l'association Rasinn Anlèr, "ça a beaucoup de sens de venir en groupe parce que nous formons une grande famille, et le fait d'être ensemble ici sur notre terre va nous permettre d'apaiser nos douleurs, c'est une sorte de thérapie pour nous".
Découverte de La Réunion et intervention auprès des publics scolaires
Au programme de ce séjour primordial pour eux, des visites de l'île et notamment des cirques, un projet de pièce de théâtre, et des interventions dans les collèges et les lycées. Mais surtout, ils auront à coeur de retrouver des traces de leur passé, en tentant de retrouver des documents encore existants sur l'île, mais aussi des membres de leur famille. "Il est important que l'on retrouve nos familles à La Réunion, les associations oeuvrent pour que les enfants de la Creuse arrivent à retrouver leurs racines, mais ce n'est pas facile du tout", commente Valérie Andanson.
"On ne peut pas transplanter un enfant d'un endroit à un autre"
Le groupe sera également pris en charge par une cellule d'aide psychologique pour les épauler dans ce retour. "C'est quelque chose de très important pour pouvoir mettre des mots sur cette histoire", témoigne Marlène Oulédy, ex-enfant de la Creuse.
Envoyée en Bretagne à l'âge de 4 ans, elle est depuis plusieurs années rentrée définitivement à La Réunion, après avoir passé 47 ans dans l'Hexagone. "Je leur souhaite la bienvenue et qu'ils puissent connaître vraiment leur histoire en retrouvant leur dossier, et qu'ils puissent faire preuve de résilience face à leur passé", disait-elle, invitée de la matinale de Philippe Dornier ce vendredi matin.
"C'est quelque chose de très important et ça prouve que les racines ramènent aux racines, qu'on ne peut pas transplanter une personne d'un endroit à un autre. On peut le faire pour des plantes, mais pas pour des enfants qui ne l'ont pas choisi".
Marlène Oulédy, ex-enfant de la Creuse
Marlène Oulédy, elle, se remémore aussi son premier retour sur son île natale.
"La première fois que je suis rentrée, j'avais le coeur qui palpitait, j'avais l'impression de revenir aux sources. Je ressentais principalement de la joie, de l'extase."
Marlène Oulédy, ex-enfant de la Creuse
Après avoir écrit plusieurs ouvrages, l'ex-enfant de la Creuse souhaite mettre, au-delà des mots, des images sur son histoire, et a pour projet de réaliser un film retraçant son vécu, mais aussi, pourquoi pas, un film d'animation pour faire connaître aux enfants cet épisode douloureux dans la mémoire de l'île.
"Un mélange d'émotions difficile à vivre"
Jean-Thierry Cheyroux, président de la Fédération des enfants déracinés des Drom, est lui rentré pour la première fois à La Réunion il y a 7 ans, et a depuis décidé de s'y installer. Invité sur le plateau de Réunion La 1ère ce vendredi, il souligne le mélange d'émotions auquel sont confrontés les ex-mineurs exilés qui reviennent sur leur île.
"L'émotion elle est toujours là quand on arrive, pour certains 40 ou 50 ans après. Quand on se souvient de notre passé enfant sur l'île de La Réunion, il y a une certaine angoisse pour la plupart d'entre nous. Le fait d'avoir été enlevé à nos familles, il y a ce côté-là qui reste. Quand on revient pour la première fois et qu'on ne connaît pas l'île, il y a un mélange d'émotions qui est difficile à vivre."
Jean-Thierry Cheyroux, président de la FEDD