L'ancien premier-adjoint au maire de Saint-Pierre est décédé ce matin. Il avait 86 ans
•
Julien Ramin était un élu populaire dans le sud de l'île. Il avait des problèmes de santé et avait été récemment hospitalisé pour une lésion de la moelle épinière.
Julien Ramin a été premier-adjoint du maire de Saint-Pierre Elie Hoarau de 1983 à 1995. Il avait également siégé au conseil départemental. C'était un proche de Paul Vergès et un militant communiste de la première heure.
Dans le secteur culturel et cultuel, il était aussi très actif. Il a présidé pendant longtemps le temple Tamoul Maha Badra Karly à la Ravine-Blanche.
Il s'était également investi dans le sport avec la JSSP, la Saint-Pierroise, son club de coeur.
L'équipe dirigeante de la JSSP l'honore sur les réseaux sociaux:
Le Parti Communiste Réunionnais réagit également au décès de Julien Ramin. Par voie de communiqué, le PCR indique que le St-Pierrois de 86 ans fut membre du parti dès sa création en 1959: " il fut de tous les combats importants dans les périodes de répressions politiques jusqu’aux victoires électorales. C’est un militant infatigable et exemplaire qui s’en va."
Le Parti Communiste Réunionnais présente à son épouse Ginette et à ses proches, ses condoléances.
Pour le député Jean-Hugues Ratenon: " La Réunion perd un artisan du développement, de l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres, de l’harmonie entre les différentes communautés et l’épanouissement de la jeunesse." Il présente ses sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à ses amis.
Patrick LEBRETON , Maire de St Joseph, "salue la mémoire de Julien Ramin. Militant PCR toujours fidèle à ses convictions, il a consacré sa vie aux combats pour l’égalité et la justice sociale. Il fut un grand dirigeant sportif et notamment président de la Saint-Pierroise. Homme d’engagement, il avait aussi consacré son énergie à la perpétuation de la culture et de la foi tamoules."
Dr. Selvam CHANEMOUGAME : "Militant infatigable de la vie politique, religieuse et culturelle, Julien Ramin est un des fondateurs en 1989, de l'Association Régionale TAMIJ SANGAM que je préside actuellement. Sa contribution au renforcement de nos liens avec l'Inde et à la préservation de nos traditions populaires ne doit pas être oubliée par la jeune génération actuelle"
David LORION Député de la 4ème circonscription: "Homme politique très connu à La Réunion, Julien Ramin s’est battu pour l’action sociale qui se déclinait notamment, à travers le logement social, la lutte contre la pauvreté ou encore la promotion du secteur associatif. Il a été à l’origine de la reconstruction de deux écoles ainsi que l’alimentation en eau de sept villages après les inondations subies en 2005 dans la Région du Maharashtra en Inde. La Ville de St Pierre perd un ardent défenseur de la culture, du vivre-ensemble et de l’épanouissement de la jeunesse réunionnaise."
Ibrahim PATEL, Président de la CCI de La Réunion: "Il était un homme investi pour le développement de La Réunion, ferveur défenseur du Réunionnais et engagé dans la vie cultuelle tamoule, …un homme empli de valeurs."
« Vinglassamy Trimourti, dit Julien, Ramin » par Frédéric SOUPRAYENMESTRY
Un éternel combat contre l'injustice
Son histoire s'imbrique dans celle du Parti Communiste Réunionnais (PCR). Il a assisté à sa création en 1959 (lors de sa séparation d'avec le Parti Communiste Français), a participé aux combats politiques les plus durs, a œuvré en tant qu'élu à tous les échelons locaux (conseiller municipal, général, régional), a subi l'ostracisme qui frappait les communistes réunionnais dans les années cinquante à soixante-dix… Si Julien Ramin s'est investi aux côtés notamment de Paul Vergès, c'est parce qu'il était révolté par la misère et les injustices qu'il touchait quotidiennement du doigt en exerçant comme facteur. De ce métier, il parle aussi avec faconde. De même, il est riche d'une mémoire sur les rigueurs et l'esprit d'entraide qui régnaient en temps de guerre. Dans ce portrait, cet arrière-petit-fils de Rangapamodély Souprayenmestry revient avec passion sur ses engagements, non seulement politiques, professionnels et humanitaires, mais aussi en faveur de la promotion de la culture indienne.
Ses souvenirs d'enfance témoignent d'une autre époque : un temps où la plupart des marmailles réunionnais marchaient pieds nus, conciliant école – quand ils avaient la chance d'être scolarisés, ce qui était loin d'être le cas de tous – et corvées. "Nous devions aller chercher de l'eau, du bois et des herbes pour les animaux, en sortant de l'école ou avant de nous y rendre. Le matin, je partais de la maison à 4 heures et demie, muni de ma tente couverte qui contenait mon repas de midi : généralement un œuf frit ou un morceau de morue, agrémenté d'un peu de riz et de grains. Je chargeais les cannes dans la charrette pendant la saison de la coupe, puis, je descendais jusqu'au canal Saint Etienne. Là, je me lavais les pieds et les mains, puis, j'enfilais une tenue un peu plus correcte avant de rejoindre ma classe", se souvient-t-il.
Aîné des douze enfants de Vinglassamy, dit Daniel, Ramin et d'Ambravady, surnommée Vivienne ou Cafrine, née Souprayenmestry Rangapamodély, Julien (Vinglassamy Trimourti à l'état civil) est né à La Saline le 1er juillet 1932, soit sept ans avant que n'éclate la seconde guerre mondiale. La Réunion était alors encore une colonie française, si éloignée de la mère patrie qu'elle en était trop souvent oubliée. La majorité des habitants de l'île devait ainsi chaque jour se colleter avec une misère noire. Enfants victimes de dysenterie (maladie devenue bénigne qui à cette époque tuait plus que de mesure) ou tout simplement fragiles qui mouraient en bas âge, conditions d'hygiènes dignes des pays les plus pauvres, absence d'aides de l'état… Les gens se contentaient le plus souvent de survivre dans des conditions très rudes. La Réunion était rurale et peu alphabétisée : seuls quelques privilégiés et citadins pouvaient prétendre avoir accès à une instruction de longue durée et à aux soins dispensés par les médecins. En 1946, l'île conquiert son statut de département. Et déchante assez rapidement car, les années qui suivront, ce qui aurait dû être une révolution n'entraînera dans les faits aucun progrès ou presque pour les Réunionnais.
Sous les drapeaux à Madagascar
C'est dans ce contexte que Julien Ramin grandit, à Grand Bois où il a emménagé avec ses parents alors qu'il n'avait pas encore un an. Lui peut suivre une scolarité pas trop chaotique d'abord à l'école primaire de Grand Bois, puis au Cours complémentaire de Saint-Pierre. En 1950 (il a 18 ans), il doit interrompre ses études. "J'avais décroché mon BEPC. Mes parents m'ont envoyé à Saint-Denis car il n'y avait pas de lycée dans le Sud, mais je n'y suis demeuré que deux ou trois semaines parce que cela coûtait vraiment trop cher." En 1951, il commence donc à travailler chez un commerçant chinois de Saint-Pierre. En 1953, ayant atteint l'âge de la majorité (fixée à 21 ans jusqu'en 1974), il est appelé sous les drapeaux. "Je suis resté quelques jours dans une guitoune, à la caserne Lambert, à Saint-Denis, enchaîne-t-il. Puis, j'ai été embarqué sur "Le Compiègne" qui nous a transportés, mes camarades et moi, jusqu'à Tamatave, après 48 heures de navigation. Notre périple s'est poursuivi par deux jours de train. Ainsi avons-nous ralliés Antsirabé où j'ai été cantonné une vingtaine de jours."
À ce moment de son récit, Julien Ramin insère une anecdote truculente. "À Madagascar, explique-t-il, on servait aux appelés chaque midi du bœuf (du zébu malgache)." Lui ne mange pas de cette viande. "Du coup, pour calmer ma faim, je puisais dans une bouteille de piments rouges confits dans le vinaigre que j'avais apportée avec moi de La Réunion", dévoile-t-il. À force de déguster des piments, il finit par tomber malade. Heureusement, cette tranche de son service militaire va rapidement prendre fin. "Un soir, narre-t-il, un gradé m'a fait passer des tests : il m'a notamment dicté un texte à dactylographier. Comme j'avais appris la dactylo à l'école de Saint-Pierre, je n'ai pas éprouvé de difficultés à exécuter cet exercice. C'est ainsi que j'ai été nommé secrétaire du capitaine à Diégo Suarez. J'avais ma chambre particulière et je n'ai jamais effectué de garde !" Être avantagé vis-à-vis d'autres appelés moins chanceux ne l'empêche pas d'observer ce qui se déroule autour de lui. Et il est hérissé par ce qu'il constate : des soldats malgaches, à qui l'on réserve le riz rouge, le moins fin, les plus mauvais morceaux de bœuf et les travaux les plus durs, bref, qui sont notablement moins bien traités que leurs camarades réunionnais et métropolitains.
Raymond, puis Paul Vergès
Son service militaire (achevé à Tananarive) écourté à cause de la guerre d'Indochine, Julien Ramin est réexpédié (toujours par bateau) sur son île natale. Il est embauché par une société d'assurances : la compagnie Lapeyre qui l'emploie comme dactylo avant de lui déléguer la responsabilité de son service "sinistres". Parallèlement, il accomplit ses premiers pas de militant politique. Il est vrai que, depuis tout jeune, il assiste aux actions entreprises par son père, un syndicaliste qui ne cache pas ses convictions. "Papa m'emmenait parfois aux réunions du PCR qui se tenaient dans le Sud. À ses côtés, j'ai entendu le docteur Raymond Vergès s'exprimer fortement lors du combat en faveur de la départementalisation, avant 1946", se souvient-il. En 1954, il a l'occasion de rencontrer le fils du Dr Vergès : Paul Vergès (actuel président du Conseil régional). "À l'époque, l'usine de Quartier Français était menacée de fermeture. Paul Vergès était venu présider une réunion qui visait à orchestrer des actions contre cette fermeture, à Saint-Pierre. J'y ai participé", détaille-t-il. Ne lui manque qu'un déclic… qui se produira au cours de ses nouvelles activités professionnelles. En 1956, escorté de deux amis, Julien Ramin s'est en effet présenté à un concours des PTT. Reçu, il est nommé facteur à La Saline, poste qu'il assumera pendant cinq ans, avant d'aller officier à Saint-Pierre, puis d'être, toujours par la voie d'un concours, promu facteur-chef. "En 1963, reprend-t-il, j'ai été reçu à un concours de vérificateur, mais pour valider ce succès, il m'aurait fallu séjourner en métropole. Les instances du PCR m'ont demandé de rester militer à La Réunion." De fait, lui qui a voté pour la première fois en 1956 a, en exerçant son métier de facteur, pris conscience d'une réalité cruelle qui l'a inexorablement rapproché du PCR. "Au cours de mes tournées, se rappelle-t-il, je desservais notamment le quartier de l'usine de Vue-Belle chaque matin vers onze heures, avant d'atteindre l'Ermitage, vers 11 heures et demie ou midi. Durant ce trajet quotidien, à pied, j'étais choqué en voyant ces enfants assis sur une feuille de coco tressée, dans le camp de Vue-Belle, des enfants d'ouvriers et de journaliers qui ne pouvaient pas aller à l'école, faute de moyens et qui en étaient réduits à traîner dans la poussière, en haillons. Ces marmailles-là mangeaient chaque jour la même chose : un peu de riz, un bouillon de pois, quelques brèdes. Ils n'avaient droit à rien d'autre ! Et certains crevaient de faim !" Cette indigence qu'il peut comparer au luxe dans lequel baignent quelques privilégiés, patrons d'usine et gros propriétaires, le scandalise. C'est donc tout naturellement qu'il se sensibilise aux mots d'ordre défendus par le PCR, parti auquel il adhère en 1961.
Le veto du préfet
Cette décision de rejoindre les rangs du PCR, il le sait, lui vaudra probablement quelques embêtements. C'est qu'alors, les batailles entre les tenants du pouvoir, des gens de droite, et le PCR, une force d'opposition qui monte, sont parfois violentes. Le préfet Perreau Pradier, qui a pris ses fonctions en 1956, s'affiche comme l'un des plus farouches opposants au Parti Communiste Réunionnais. Il utilisera tous les moyens à sa disposition pour que la droite traditionnelle récupère les municipalités communistes. Campagnes électorales à coup de galets, partisans (des deux camps) blessés, urnes bourrées, broquettes semées sur les routes par des militants communistes pour crever les voitures de sudistes désireux d'applaudir le général De Gaulle en visite à La Réunion en 1959… le climat est pour le moins tendu. "En 1957, à Saint-Joseph et à Saint-Benoît, on a crédité de zéro voix les candidats de la gauche communiste !", s'exclame Julien Ramin. Lui est directement affecté. "J'avais sollicité un prêt pour acheter un terrain. Ce prêt m'a été refusé suite à un veto du préfet, parce que j'étais communiste, souligne-t-il. Apprenant ma mésaventure, Roger Souprayenmestry Rangapamodély (cousin de sa mère et fils de Joseph Mourgassin) est intervenu. Il a affronté le préfet et, finalement, le prêt m'a été accordé." Roger, lui, appartient au camp adverse, puisqu'il est, à partir de 1965, adjoint au maire (de droite) de Saint-Paul, Paul Bénard. Mais, il est avant tout attaché à des valeurs de solidarité familiale (il a dépanné, au cours de son existence, beaucoup de proches). En outre, tout comme Julien Ramin, s'il occupe des fonctions politiques, c'est avant tout pour contribuer au développement de son île. Les deux hommes se respectent énormément. "Roger était un modèle pour moi, confie Julien Ramin. Il était très lié à papa et à maman. Quand il faisait son service militaire à la Plaine des Cafres, il passait souvent par chez nous. Je l'attendais." Á l'instar de Roger, Julien a, lui aussi, ouvert des portes à de nombreux proches, en tenant évidemment compte de leurs compétences. Ainsi, son cousin, Karl Bellon (voir son portrait) confesse qu'il lui voue une certaine admiration. C'est Julien Ramin qui a incité Karl Bellon à s'engager en politique et, qu'importe si celui-ci, par la suite, s'est retrouvé sur des listes de droite.
Paule Ginette
Être en butte aux piques des autorités n'a en tout cas pas découragé Julien Ramin de se mêler aux grands assauts menés par le PCR. "Nous luttions pour que ce qu'on a appelé plus tard "l'égalité sociale" devienne effective à La Réunion, pour que, dans ce département français, les gens jouissent des mêmes droits qu'en métropole. Le SMIG à La Réunion était en effet alors inférieur à ce qu'il était dans l'Hexagone", décrit-il. Puis, il résume : "pour moi, à l'époque, il y avait trois catégories d'enfants à La Réunion : les enfants de fonctionnaires, les enfants de salariés du privé déclarés (ouvriers d'usine et du bâtiment, dockers…) dont les parents percevaient des allocations familiales, mais inférieures à celles qui étaient allouées pour les enfants de fonctionnaires, et, enfin, tous les autres marmailles dont les parents n'avaient pas droit aux allocations familiales." Membre du Bureau Politique du PCR à partir de 1967, élu premier adjoint au maire de Saint-Pierre (Elie Hoarau) de 1983 à 1995 ; conseiller général et même vice-président du Conseil général (de 1994 à 1998) ; conseiller régional ; conseiller municipal de Saint-Paul, puis, de Saint-Leu… Julien Ramin ne cessera de confirmer sa légitimité devant les électeurs. Il œuvrera notamment dans le domaine du logement social, à la présidence de la SICA Habitat Rural et du Pact Réunion (ce qui lui vaudra d'être honoré du titre de chevalier de l'Ordre national du mérite). À partir de 1983, très occupé par ses différents mandats, il ne remplit plus ses fonctions de facteur. Il prend sa retraite en 1987. Depuis 2004, il n'assume plus de rôle d'élu. Ses engagements n'ont pas pour autant faibli. Toujours très présent dans la vie du PCR, Julien Ramin persiste à aspirer à plus de justice entre tous les habitants de La Réunion, mais aussi à plus de dialogue entre les différentes communautés qui coexistent sur notre petit territoire. Président depuis 1993 du Comité Solidarité Victimes Catastrophes Naturelles (Maharashtra), créé suite à un tremblement de terre qui a dévasté l'état du Maharashtra en Inde, il préside aussi l'Association Culturelle Maha Badra Kali et milite pour la promotion de la connaissance de la culture indienne et des rites hindous (voir encadré). Marié en octobre 1956 à Paule Ginette, née Alagamoupin, il n'a pas eu d'enfants. Sa femme, qu'il a rencontrée dans un mariage, avait 17 ans (et lui 24) quand il l'a épousée. "Elle a une formation d'aide-soignante. Elle aurait d'ailleurs pu travailler pour l'hôpital de Saint-Pierre, mais nous n'avons pas opté pour cette solution", précise-t-il. La remerciant pour sa "patience" et son "humilité", il en parle comme d'une alliée discrète mais fidèle. Paule Ginette, si elle n'a pas connu la joie de la maternité, a élevé sa nièce jusqu'à ce que celle-ci fonde son propre foyer. Quant à Julien Ramin, il a joué un rôle de tuteur auprès du fils et de la fille de sa sœur Jeanne, décédée en 1975 (à l'âge de 39 ans), trois ans après son mari, Raphaël Antou. Faisant partie de ces Réunionnais qui se refusent à trop d'individualisme, il n'a, en tout cas, pas fini de se soucier de son île et de ceux qui y vivent.
ENCADRE 1 Solidarité et système D en temps de guerre
Dans l'esprit de Julien Ramin, la seconde guerre mondiale s'associe aux tickets de rationnement qui furent instaurés durant ces années de disette à La Réunion, mais aussi à la solidarité qui permit aux plus pauvres de ne pas mourir de faim durant cette période. "Lorsque les journaliers qui grattaient la terre sur une exploitation appartenant à l'usine récoltaient le maïs, ils pratiquaient ce que l'on appelait "faire casse maïs" : tous les 1,50 mètre à 2 mètres, ils dissimulaient quelques épis dans de la paille le long des "menées", c'est-à-dire des sillons. Puis, ils avertissaient les familles les plus démunies qu'elles pouvaient récupérer des épis sur les menées 1, 2, 3, 4, etc. À chaque famille, étaient attribuées des menées, selon leur numéro", dépeint-il. Puis, il renchérit : "les journaliers procédaient de même lors de l'arrachage du manioc, en laissant en terre des racines ou lorsqu'ils coupaient du bois, qui servait à alimenter les cheminées de l'usine, en laissant environ 40 centimètres de tronc." À l'entendre, les Réunionnais se débrouillaient aussi pour pallier les conséquences de la pénurie qui s'était installée dans l'île en recourant à des astuces. Il parle ainsi des cochons que l'on "saoulait au rhum" avant de les égorger, pour ne pas qu'ils crient, et que l'on tuait ainsi en cachette, en "oubliant" de les déclarer (comme c'était la loi) aux autorités, afin de pouvoir ensuite distribuer des morceaux de viande à tous les membres de la famille et aux voisins. Il explique enfin comment les écoliers remplaçaient leur cahier – on ne trouvait plus alors de fournitures scolaires dans les boutiques – par du "papier ciment", comprenez du papier d'emballage. Bref, même si on manquait de tout, on ne manquait ni de générosité, ni d'ingéniosité !
ENCADRE 2 Facteur "lontan"
C'est avec plaisir que Julien Ramin consent à partager ses souvenirs de facteur ayant exercé dans les années cinquante. "À l'époque, les facteurs connaissaient tous les destinataires des courriers qu'ils distribuaient. Il n'y avait pas de boîte aux lettres et, à La Saline, même pas de noms de rue. Mais, je n'avais aucun mal à apporter missives et colis aux bonnes personnes. Une simple adresse comportant un nom, un prénom et la mention de "La Saline les hauts" suffisaient." Le facteur ne se contentait pas de déposer le courrier. Il discutait avec les gens, "bloquait tout échappatoire lorsqu'il lui fallait se faire payer un mandat", reversait chaque trimestre les allocations familiales (alors réservées aux seuls salariés déclarés). "Le jour où l'argent des allocations familiales était débloqué, je me promenais avec un sac rempli de billets (en francs CFA) et des mandats que j'avais triés : d'un côté, les mandats destinés à des personnes qui savaient signer et, de l'autre, les autres mandats que je remettais en présence de deux témoins. Je m'asseyais dehors sur un rocher et ne craignais pas d'être volé !" Il se rappelle que son plus gros "client" était l'instituteur qui recevait des "piles de journaux et de catalogues de vente par correspondance". Julien Ramin acheminait lettres et paquets à pied, de la Ravine de Trois-Bassins à l'Ermitage, en passant par Vue-Belle. Il parcourait ainsi 35 à 40 kilomètres par jour, sur des sentiers et à travers champs. Et il ne se bornait pas à convoyer du courrier. Il lui arrivait bien souvent d'écrire des lettres de réponse, de remplir des formulaires administratifs… Bref, d'aider.
ENCADRE 3 Faire connaître la culture indienne
Président de la Saint-Pierroise (J.S.S.P) de 1990 à 1991, puis de 1997 à 1998, Julien Ramin est un amateur de ballon rond (plus jeune, il jouait au foot, mais ne disputait que des compétitions locales). Preuve que sport, religion et culture peuvent se conjuguer harmonieusement, il s'avère aussi très impliqué dans la vie de sa communauté. "Je suis malbar, arrière-petit-fils d'engagé malbar, ayant des racines en Inde, pratiquant la religion hindouiste et défenseur de la culture indienne, mais d'abord réunionnais et, en tant que tel, français, assène-t-il, tel un credo, avant d'expliquer pourquoi il milite pour le développement de la culture malbar : c'est une des facettes de la culture réunionnaise et j'estime qu'il est important de la faire connaître, de même qu'il faut faire connaître notre religion, qui a été diabolisée pendant longtemps." S'inscrivant dans une démarche "d'ouverture et de dialogue", il juge qu'à côté du cultuel, il peut y avoir du culturel. Ainsi, l'association Maha Badra kali qu'il préside depuis 1990 s'est dotée d'un programme d'activités culturelles ouvertes à tous : cours de yoga, chant, musique et découverte de la religion hindoue… Lui qui a participé à la consécration du temple de Ravine Blanche, dédié à Vishnou, et à la reconstruction du temple Kali à Saint-Pierre ne souhaite pas que ses coreligionnaires se referment sur eux-mêmes. Citant les milliers de fleurs et de fruits qui sont déposés dans les temples de l'île chaque jour, il note que la religion hindoue contribue à l'essor économique de l'île. Elle est, dit-il, une des composantes de la richesse spirituelle de La Réunion. Lui qui a été baptisé dans la religion catholique à une époque (le milieu des années trente) où mieux valait faire baptiser ses enfants si l'on voulait garder son emploi se fait un avocat ardent de la coexistence de toutes les cultures et de tous les cultes qui forment la mosaïque de la société réunionnaise.
Texte de Frédéric Souprayenmestry.
Julien Ramin a été premier-adjoint du maire de Saint-Pierre Elie Hoarau de 1983 à 1995. Il avait également siégé au conseil départemental. C'était un proche de Paul Vergès et un militant communiste de la première heure.
Dans le secteur culturel et cultuel, il était aussi très actif. Il a présidé pendant longtemps le temple Tamoul Maha Badra Karly à la Ravine-Blanche.
Il s'était également investi dans le sport avec la JSSP, la Saint-Pierroise, son club de coeur.
La Réunion rend hommage à Julien Ramin
L'équipe dirigeante de la JSSP l'honore sur les réseaux sociaux:
Le Parti Communiste Réunionnais réagit également au décès de Julien Ramin. Par voie de communiqué, le PCR indique que le St-Pierrois de 86 ans fut membre du parti dès sa création en 1959: " il fut de tous les combats importants dans les périodes de répressions politiques jusqu’aux victoires électorales. C’est un militant infatigable et exemplaire qui s’en va."
Le Parti Communiste Réunionnais présente à son épouse Ginette et à ses proches, ses condoléances.
Pour le député Jean-Hugues Ratenon: " La Réunion perd un artisan du développement, de l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres, de l’harmonie entre les différentes communautés et l’épanouissement de la jeunesse." Il présente ses sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à ses amis.
Patrick LEBRETON , Maire de St Joseph, "salue la mémoire de Julien Ramin. Militant PCR toujours fidèle à ses convictions, il a consacré sa vie aux combats pour l’égalité et la justice sociale. Il fut un grand dirigeant sportif et notamment président de la Saint-Pierroise. Homme d’engagement, il avait aussi consacré son énergie à la perpétuation de la culture et de la foi tamoules."
Dr. Selvam CHANEMOUGAME : "Militant infatigable de la vie politique, religieuse et culturelle, Julien Ramin est un des fondateurs en 1989, de l'Association Régionale TAMIJ SANGAM que je préside actuellement. Sa contribution au renforcement de nos liens avec l'Inde et à la préservation de nos traditions populaires ne doit pas être oubliée par la jeune génération actuelle"
David LORION Député de la 4ème circonscription: "Homme politique très connu à La Réunion, Julien Ramin s’est battu pour l’action sociale qui se déclinait notamment, à travers le logement social, la lutte contre la pauvreté ou encore la promotion du secteur associatif. Il a été à l’origine de la reconstruction de deux écoles ainsi que l’alimentation en eau de sept villages après les inondations subies en 2005 dans la Région du Maharashtra en Inde. La Ville de St Pierre perd un ardent défenseur de la culture, du vivre-ensemble et de l’épanouissement de la jeunesse réunionnaise."
Ibrahim PATEL, Président de la CCI de La Réunion: "Il était un homme investi pour le développement de La Réunion, ferveur défenseur du Réunionnais et engagé dans la vie cultuelle tamoule, …un homme empli de valeurs."
Une biographie de Julien Ramin
« Vinglassamy Trimourti, dit Julien, Ramin » par Frédéric SOUPRAYENMESTRY
Un éternel combat contre l'injustice
Son histoire s'imbrique dans celle du Parti Communiste Réunionnais (PCR). Il a assisté à sa création en 1959 (lors de sa séparation d'avec le Parti Communiste Français), a participé aux combats politiques les plus durs, a œuvré en tant qu'élu à tous les échelons locaux (conseiller municipal, général, régional), a subi l'ostracisme qui frappait les communistes réunionnais dans les années cinquante à soixante-dix… Si Julien Ramin s'est investi aux côtés notamment de Paul Vergès, c'est parce qu'il était révolté par la misère et les injustices qu'il touchait quotidiennement du doigt en exerçant comme facteur. De ce métier, il parle aussi avec faconde. De même, il est riche d'une mémoire sur les rigueurs et l'esprit d'entraide qui régnaient en temps de guerre. Dans ce portrait, cet arrière-petit-fils de Rangapamodély Souprayenmestry revient avec passion sur ses engagements, non seulement politiques, professionnels et humanitaires, mais aussi en faveur de la promotion de la culture indienne.
Ses souvenirs d'enfance témoignent d'une autre époque : un temps où la plupart des marmailles réunionnais marchaient pieds nus, conciliant école – quand ils avaient la chance d'être scolarisés, ce qui était loin d'être le cas de tous – et corvées. "Nous devions aller chercher de l'eau, du bois et des herbes pour les animaux, en sortant de l'école ou avant de nous y rendre. Le matin, je partais de la maison à 4 heures et demie, muni de ma tente couverte qui contenait mon repas de midi : généralement un œuf frit ou un morceau de morue, agrémenté d'un peu de riz et de grains. Je chargeais les cannes dans la charrette pendant la saison de la coupe, puis, je descendais jusqu'au canal Saint Etienne. Là, je me lavais les pieds et les mains, puis, j'enfilais une tenue un peu plus correcte avant de rejoindre ma classe", se souvient-t-il.
Aîné des douze enfants de Vinglassamy, dit Daniel, Ramin et d'Ambravady, surnommée Vivienne ou Cafrine, née Souprayenmestry Rangapamodély, Julien (Vinglassamy Trimourti à l'état civil) est né à La Saline le 1er juillet 1932, soit sept ans avant que n'éclate la seconde guerre mondiale. La Réunion était alors encore une colonie française, si éloignée de la mère patrie qu'elle en était trop souvent oubliée. La majorité des habitants de l'île devait ainsi chaque jour se colleter avec une misère noire. Enfants victimes de dysenterie (maladie devenue bénigne qui à cette époque tuait plus que de mesure) ou tout simplement fragiles qui mouraient en bas âge, conditions d'hygiènes dignes des pays les plus pauvres, absence d'aides de l'état… Les gens se contentaient le plus souvent de survivre dans des conditions très rudes. La Réunion était rurale et peu alphabétisée : seuls quelques privilégiés et citadins pouvaient prétendre avoir accès à une instruction de longue durée et à aux soins dispensés par les médecins. En 1946, l'île conquiert son statut de département. Et déchante assez rapidement car, les années qui suivront, ce qui aurait dû être une révolution n'entraînera dans les faits aucun progrès ou presque pour les Réunionnais.
Sous les drapeaux à Madagascar
C'est dans ce contexte que Julien Ramin grandit, à Grand Bois où il a emménagé avec ses parents alors qu'il n'avait pas encore un an. Lui peut suivre une scolarité pas trop chaotique d'abord à l'école primaire de Grand Bois, puis au Cours complémentaire de Saint-Pierre. En 1950 (il a 18 ans), il doit interrompre ses études. "J'avais décroché mon BEPC. Mes parents m'ont envoyé à Saint-Denis car il n'y avait pas de lycée dans le Sud, mais je n'y suis demeuré que deux ou trois semaines parce que cela coûtait vraiment trop cher." En 1951, il commence donc à travailler chez un commerçant chinois de Saint-Pierre. En 1953, ayant atteint l'âge de la majorité (fixée à 21 ans jusqu'en 1974), il est appelé sous les drapeaux. "Je suis resté quelques jours dans une guitoune, à la caserne Lambert, à Saint-Denis, enchaîne-t-il. Puis, j'ai été embarqué sur "Le Compiègne" qui nous a transportés, mes camarades et moi, jusqu'à Tamatave, après 48 heures de navigation. Notre périple s'est poursuivi par deux jours de train. Ainsi avons-nous ralliés Antsirabé où j'ai été cantonné une vingtaine de jours."
À ce moment de son récit, Julien Ramin insère une anecdote truculente. "À Madagascar, explique-t-il, on servait aux appelés chaque midi du bœuf (du zébu malgache)." Lui ne mange pas de cette viande. "Du coup, pour calmer ma faim, je puisais dans une bouteille de piments rouges confits dans le vinaigre que j'avais apportée avec moi de La Réunion", dévoile-t-il. À force de déguster des piments, il finit par tomber malade. Heureusement, cette tranche de son service militaire va rapidement prendre fin. "Un soir, narre-t-il, un gradé m'a fait passer des tests : il m'a notamment dicté un texte à dactylographier. Comme j'avais appris la dactylo à l'école de Saint-Pierre, je n'ai pas éprouvé de difficultés à exécuter cet exercice. C'est ainsi que j'ai été nommé secrétaire du capitaine à Diégo Suarez. J'avais ma chambre particulière et je n'ai jamais effectué de garde !" Être avantagé vis-à-vis d'autres appelés moins chanceux ne l'empêche pas d'observer ce qui se déroule autour de lui. Et il est hérissé par ce qu'il constate : des soldats malgaches, à qui l'on réserve le riz rouge, le moins fin, les plus mauvais morceaux de bœuf et les travaux les plus durs, bref, qui sont notablement moins bien traités que leurs camarades réunionnais et métropolitains.
Raymond, puis Paul Vergès
Son service militaire (achevé à Tananarive) écourté à cause de la guerre d'Indochine, Julien Ramin est réexpédié (toujours par bateau) sur son île natale. Il est embauché par une société d'assurances : la compagnie Lapeyre qui l'emploie comme dactylo avant de lui déléguer la responsabilité de son service "sinistres". Parallèlement, il accomplit ses premiers pas de militant politique. Il est vrai que, depuis tout jeune, il assiste aux actions entreprises par son père, un syndicaliste qui ne cache pas ses convictions. "Papa m'emmenait parfois aux réunions du PCR qui se tenaient dans le Sud. À ses côtés, j'ai entendu le docteur Raymond Vergès s'exprimer fortement lors du combat en faveur de la départementalisation, avant 1946", se souvient-il. En 1954, il a l'occasion de rencontrer le fils du Dr Vergès : Paul Vergès (actuel président du Conseil régional). "À l'époque, l'usine de Quartier Français était menacée de fermeture. Paul Vergès était venu présider une réunion qui visait à orchestrer des actions contre cette fermeture, à Saint-Pierre. J'y ai participé", détaille-t-il. Ne lui manque qu'un déclic… qui se produira au cours de ses nouvelles activités professionnelles. En 1956, escorté de deux amis, Julien Ramin s'est en effet présenté à un concours des PTT. Reçu, il est nommé facteur à La Saline, poste qu'il assumera pendant cinq ans, avant d'aller officier à Saint-Pierre, puis d'être, toujours par la voie d'un concours, promu facteur-chef. "En 1963, reprend-t-il, j'ai été reçu à un concours de vérificateur, mais pour valider ce succès, il m'aurait fallu séjourner en métropole. Les instances du PCR m'ont demandé de rester militer à La Réunion." De fait, lui qui a voté pour la première fois en 1956 a, en exerçant son métier de facteur, pris conscience d'une réalité cruelle qui l'a inexorablement rapproché du PCR. "Au cours de mes tournées, se rappelle-t-il, je desservais notamment le quartier de l'usine de Vue-Belle chaque matin vers onze heures, avant d'atteindre l'Ermitage, vers 11 heures et demie ou midi. Durant ce trajet quotidien, à pied, j'étais choqué en voyant ces enfants assis sur une feuille de coco tressée, dans le camp de Vue-Belle, des enfants d'ouvriers et de journaliers qui ne pouvaient pas aller à l'école, faute de moyens et qui en étaient réduits à traîner dans la poussière, en haillons. Ces marmailles-là mangeaient chaque jour la même chose : un peu de riz, un bouillon de pois, quelques brèdes. Ils n'avaient droit à rien d'autre ! Et certains crevaient de faim !" Cette indigence qu'il peut comparer au luxe dans lequel baignent quelques privilégiés, patrons d'usine et gros propriétaires, le scandalise. C'est donc tout naturellement qu'il se sensibilise aux mots d'ordre défendus par le PCR, parti auquel il adhère en 1961.
Le veto du préfet
Cette décision de rejoindre les rangs du PCR, il le sait, lui vaudra probablement quelques embêtements. C'est qu'alors, les batailles entre les tenants du pouvoir, des gens de droite, et le PCR, une force d'opposition qui monte, sont parfois violentes. Le préfet Perreau Pradier, qui a pris ses fonctions en 1956, s'affiche comme l'un des plus farouches opposants au Parti Communiste Réunionnais. Il utilisera tous les moyens à sa disposition pour que la droite traditionnelle récupère les municipalités communistes. Campagnes électorales à coup de galets, partisans (des deux camps) blessés, urnes bourrées, broquettes semées sur les routes par des militants communistes pour crever les voitures de sudistes désireux d'applaudir le général De Gaulle en visite à La Réunion en 1959… le climat est pour le moins tendu. "En 1957, à Saint-Joseph et à Saint-Benoît, on a crédité de zéro voix les candidats de la gauche communiste !", s'exclame Julien Ramin. Lui est directement affecté. "J'avais sollicité un prêt pour acheter un terrain. Ce prêt m'a été refusé suite à un veto du préfet, parce que j'étais communiste, souligne-t-il. Apprenant ma mésaventure, Roger Souprayenmestry Rangapamodély (cousin de sa mère et fils de Joseph Mourgassin) est intervenu. Il a affronté le préfet et, finalement, le prêt m'a été accordé." Roger, lui, appartient au camp adverse, puisqu'il est, à partir de 1965, adjoint au maire (de droite) de Saint-Paul, Paul Bénard. Mais, il est avant tout attaché à des valeurs de solidarité familiale (il a dépanné, au cours de son existence, beaucoup de proches). En outre, tout comme Julien Ramin, s'il occupe des fonctions politiques, c'est avant tout pour contribuer au développement de son île. Les deux hommes se respectent énormément. "Roger était un modèle pour moi, confie Julien Ramin. Il était très lié à papa et à maman. Quand il faisait son service militaire à la Plaine des Cafres, il passait souvent par chez nous. Je l'attendais." Á l'instar de Roger, Julien a, lui aussi, ouvert des portes à de nombreux proches, en tenant évidemment compte de leurs compétences. Ainsi, son cousin, Karl Bellon (voir son portrait) confesse qu'il lui voue une certaine admiration. C'est Julien Ramin qui a incité Karl Bellon à s'engager en politique et, qu'importe si celui-ci, par la suite, s'est retrouvé sur des listes de droite.
Paule Ginette
Être en butte aux piques des autorités n'a en tout cas pas découragé Julien Ramin de se mêler aux grands assauts menés par le PCR. "Nous luttions pour que ce qu'on a appelé plus tard "l'égalité sociale" devienne effective à La Réunion, pour que, dans ce département français, les gens jouissent des mêmes droits qu'en métropole. Le SMIG à La Réunion était en effet alors inférieur à ce qu'il était dans l'Hexagone", décrit-il. Puis, il résume : "pour moi, à l'époque, il y avait trois catégories d'enfants à La Réunion : les enfants de fonctionnaires, les enfants de salariés du privé déclarés (ouvriers d'usine et du bâtiment, dockers…) dont les parents percevaient des allocations familiales, mais inférieures à celles qui étaient allouées pour les enfants de fonctionnaires, et, enfin, tous les autres marmailles dont les parents n'avaient pas droit aux allocations familiales." Membre du Bureau Politique du PCR à partir de 1967, élu premier adjoint au maire de Saint-Pierre (Elie Hoarau) de 1983 à 1995 ; conseiller général et même vice-président du Conseil général (de 1994 à 1998) ; conseiller régional ; conseiller municipal de Saint-Paul, puis, de Saint-Leu… Julien Ramin ne cessera de confirmer sa légitimité devant les électeurs. Il œuvrera notamment dans le domaine du logement social, à la présidence de la SICA Habitat Rural et du Pact Réunion (ce qui lui vaudra d'être honoré du titre de chevalier de l'Ordre national du mérite). À partir de 1983, très occupé par ses différents mandats, il ne remplit plus ses fonctions de facteur. Il prend sa retraite en 1987. Depuis 2004, il n'assume plus de rôle d'élu. Ses engagements n'ont pas pour autant faibli. Toujours très présent dans la vie du PCR, Julien Ramin persiste à aspirer à plus de justice entre tous les habitants de La Réunion, mais aussi à plus de dialogue entre les différentes communautés qui coexistent sur notre petit territoire. Président depuis 1993 du Comité Solidarité Victimes Catastrophes Naturelles (Maharashtra), créé suite à un tremblement de terre qui a dévasté l'état du Maharashtra en Inde, il préside aussi l'Association Culturelle Maha Badra Kali et milite pour la promotion de la connaissance de la culture indienne et des rites hindous (voir encadré). Marié en octobre 1956 à Paule Ginette, née Alagamoupin, il n'a pas eu d'enfants. Sa femme, qu'il a rencontrée dans un mariage, avait 17 ans (et lui 24) quand il l'a épousée. "Elle a une formation d'aide-soignante. Elle aurait d'ailleurs pu travailler pour l'hôpital de Saint-Pierre, mais nous n'avons pas opté pour cette solution", précise-t-il. La remerciant pour sa "patience" et son "humilité", il en parle comme d'une alliée discrète mais fidèle. Paule Ginette, si elle n'a pas connu la joie de la maternité, a élevé sa nièce jusqu'à ce que celle-ci fonde son propre foyer. Quant à Julien Ramin, il a joué un rôle de tuteur auprès du fils et de la fille de sa sœur Jeanne, décédée en 1975 (à l'âge de 39 ans), trois ans après son mari, Raphaël Antou. Faisant partie de ces Réunionnais qui se refusent à trop d'individualisme, il n'a, en tout cas, pas fini de se soucier de son île et de ceux qui y vivent.
ENCADRE 1 Solidarité et système D en temps de guerre
Dans l'esprit de Julien Ramin, la seconde guerre mondiale s'associe aux tickets de rationnement qui furent instaurés durant ces années de disette à La Réunion, mais aussi à la solidarité qui permit aux plus pauvres de ne pas mourir de faim durant cette période. "Lorsque les journaliers qui grattaient la terre sur une exploitation appartenant à l'usine récoltaient le maïs, ils pratiquaient ce que l'on appelait "faire casse maïs" : tous les 1,50 mètre à 2 mètres, ils dissimulaient quelques épis dans de la paille le long des "menées", c'est-à-dire des sillons. Puis, ils avertissaient les familles les plus démunies qu'elles pouvaient récupérer des épis sur les menées 1, 2, 3, 4, etc. À chaque famille, étaient attribuées des menées, selon leur numéro", dépeint-il. Puis, il renchérit : "les journaliers procédaient de même lors de l'arrachage du manioc, en laissant en terre des racines ou lorsqu'ils coupaient du bois, qui servait à alimenter les cheminées de l'usine, en laissant environ 40 centimètres de tronc." À l'entendre, les Réunionnais se débrouillaient aussi pour pallier les conséquences de la pénurie qui s'était installée dans l'île en recourant à des astuces. Il parle ainsi des cochons que l'on "saoulait au rhum" avant de les égorger, pour ne pas qu'ils crient, et que l'on tuait ainsi en cachette, en "oubliant" de les déclarer (comme c'était la loi) aux autorités, afin de pouvoir ensuite distribuer des morceaux de viande à tous les membres de la famille et aux voisins. Il explique enfin comment les écoliers remplaçaient leur cahier – on ne trouvait plus alors de fournitures scolaires dans les boutiques – par du "papier ciment", comprenez du papier d'emballage. Bref, même si on manquait de tout, on ne manquait ni de générosité, ni d'ingéniosité !
ENCADRE 2 Facteur "lontan"
C'est avec plaisir que Julien Ramin consent à partager ses souvenirs de facteur ayant exercé dans les années cinquante. "À l'époque, les facteurs connaissaient tous les destinataires des courriers qu'ils distribuaient. Il n'y avait pas de boîte aux lettres et, à La Saline, même pas de noms de rue. Mais, je n'avais aucun mal à apporter missives et colis aux bonnes personnes. Une simple adresse comportant un nom, un prénom et la mention de "La Saline les hauts" suffisaient." Le facteur ne se contentait pas de déposer le courrier. Il discutait avec les gens, "bloquait tout échappatoire lorsqu'il lui fallait se faire payer un mandat", reversait chaque trimestre les allocations familiales (alors réservées aux seuls salariés déclarés). "Le jour où l'argent des allocations familiales était débloqué, je me promenais avec un sac rempli de billets (en francs CFA) et des mandats que j'avais triés : d'un côté, les mandats destinés à des personnes qui savaient signer et, de l'autre, les autres mandats que je remettais en présence de deux témoins. Je m'asseyais dehors sur un rocher et ne craignais pas d'être volé !" Il se rappelle que son plus gros "client" était l'instituteur qui recevait des "piles de journaux et de catalogues de vente par correspondance". Julien Ramin acheminait lettres et paquets à pied, de la Ravine de Trois-Bassins à l'Ermitage, en passant par Vue-Belle. Il parcourait ainsi 35 à 40 kilomètres par jour, sur des sentiers et à travers champs. Et il ne se bornait pas à convoyer du courrier. Il lui arrivait bien souvent d'écrire des lettres de réponse, de remplir des formulaires administratifs… Bref, d'aider.
ENCADRE 3 Faire connaître la culture indienne
Président de la Saint-Pierroise (J.S.S.P) de 1990 à 1991, puis de 1997 à 1998, Julien Ramin est un amateur de ballon rond (plus jeune, il jouait au foot, mais ne disputait que des compétitions locales). Preuve que sport, religion et culture peuvent se conjuguer harmonieusement, il s'avère aussi très impliqué dans la vie de sa communauté. "Je suis malbar, arrière-petit-fils d'engagé malbar, ayant des racines en Inde, pratiquant la religion hindouiste et défenseur de la culture indienne, mais d'abord réunionnais et, en tant que tel, français, assène-t-il, tel un credo, avant d'expliquer pourquoi il milite pour le développement de la culture malbar : c'est une des facettes de la culture réunionnaise et j'estime qu'il est important de la faire connaître, de même qu'il faut faire connaître notre religion, qui a été diabolisée pendant longtemps." S'inscrivant dans une démarche "d'ouverture et de dialogue", il juge qu'à côté du cultuel, il peut y avoir du culturel. Ainsi, l'association Maha Badra kali qu'il préside depuis 1990 s'est dotée d'un programme d'activités culturelles ouvertes à tous : cours de yoga, chant, musique et découverte de la religion hindoue… Lui qui a participé à la consécration du temple de Ravine Blanche, dédié à Vishnou, et à la reconstruction du temple Kali à Saint-Pierre ne souhaite pas que ses coreligionnaires se referment sur eux-mêmes. Citant les milliers de fleurs et de fruits qui sont déposés dans les temples de l'île chaque jour, il note que la religion hindoue contribue à l'essor économique de l'île. Elle est, dit-il, une des composantes de la richesse spirituelle de La Réunion. Lui qui a été baptisé dans la religion catholique à une époque (le milieu des années trente) où mieux valait faire baptiser ses enfants si l'on voulait garder son emploi se fait un avocat ardent de la coexistence de toutes les cultures et de tous les cultes qui forment la mosaïque de la société réunionnaise.
Texte de Frédéric Souprayenmestry.