L'Etat accorde une dérogation pour l'utilisation provisoire à La Réunion d'un insecticide controversé

Gecko vert de Manapany
Un insecticide, dont l’usage à plusieurs fois fait polémique et interdit en agriculture notamment, est actuellement utilisé à La Réunion pour lutter contre des prédateurs du gecko vert de Manapany. Une dérogation provisoire de 180 jours a été accordée pour cela. Un "non-sens" que dénonce EELV.

Depuis le début du mois d’août, l’association Nature Océan Indien est autorisée à employer un insecticide à base de fipronil, une substance dont certains usages sont pourtant interdits en France et en Europe.

Regarder le reportage de Réunion La 1ère : 

Pour protéger le gecko de Manapany, une association a obtenu une dérogation pour l'utilisation d'un insecticide interdit en Europe. Explications.

Le ministère de la Transition écologique a publié le 4 août dernier au Journal officiel un arrêté autorisant par dérogation la vente d’un biocide, le fipronil, sur le seul territoire réunionnais pour une durée de 180 jours.

Lutter contre les prédateurs du gecko vert de Manapany

L’objectif : réduire les populations de fourmis folles jaunes, qui menacent le gecko vert de Manapany. Nature Océan Indien précise bien qu’elle emploiera l’insecticide avec minutie.

L’association est investie dans la protection de l’environnement et du patrimoine naturel de La Réunion, particulièrement dans la sauvegarde du gecko vert de Manapany, une espèce endémique protégée et classée "en danger critique d’extinction" sur la liste rouge mondiale de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

Dans le cadre d’un programme FEDER, elle mène ainsi des actions de lutte contre les différents prédateurs et compétiteurs du petit reptile vert, parmi lesquels les arthropodes tels que la fourmi folle jaune et la fourmi de feu tropicale.

  

Une politique de protection de la nature jugée paradoxale

La dérogation accordée par l'Etat pour l’usage de cet insecticide est provisoire et limitée à 180 jours, ainsi qu'au seul département de La Réunion. Pour le parti Europe Ecologie Les Verts, l’utilisation de ce produit pourrait avoir de graves conséquences sur l’environnement et sur la santé.  

D’autres espèces pourraient être mises en danger, estime la secrétaire régionale d’EELV à La Réunion, Geneviève Payet.

Il y a à la fois un désir affiché de notre gouvernement de protéger notre biodiversité, mais en même temps, sous la forme de dérogations spécifiques dans des territoires donnés, on peut accorder comme ça la possibilité d’épandre des pesticides. Geneviève Payet, secrétaire régionale d’EELV

 

  

Risque d’impact sur la biodiversité réunionnaise ?

Elle dénonce ainsi un manque de cohérence qui pourrait coûter cher à la biodiversité réunionnaise. " Dès qu’on met les pesticides dans le sol, ce sont aussi les autres colonies de fourmis qui sont impactées, les abeilles, beaucoup d’autres invertébrés ", insiste l’écologiste.

On se retrouve devant un dégât qui va, de fil en aiguille, avoir un impact considérable sur notre faune. Tout ça, ça marche ensemble. On a vraiment à craindre que notre margouillat puisse aussi être impacté par tout ce que nous mettons dans le sol.

Geneviève Payet, secrétaire régionale d’EELV

 

Elle rappelle que si nous sommes actuellement en hiver austral, la saison des pluies arrivera bientôt. Des pluies qui " vont drainer ce toxique, qui sera encore là dans quelques mois évidemment dans nos sols ", insiste Geneviève Payet. " On ne mesurera pas après l’impact que cela aura sur les amphibiens et sur la faune aquatique ", craint-elle.

On est absolument dans la même problématique que le Chlordécone, de tout ce qu’on peut introduire dans des territoires, et qui est absolument interdit en France, et interdit dans l’Union européenne.

Geneviève Payet, secrétaire régionale d'EELV

  

Des dommages potentiels pour l’homme, et surtout l’enfant ?

L’utilisation du fipronil pourrait aussi avoir des conséquences chez l’homme, selon l’écologiste. " On expose les cultivateurs à un risque non-négligeable de maladies professionnelles, et notamment des cancers ", estime Geneviève Payet. Elle considère qu’il existe d’autres solutions : extraire les reines des colonies de fourmis folles jaunes pourrait exterminer les insectes sans menacer d’autres espèces.

Ce produit antiparasitaire est utilisé par la médecine vétérinaire, notamment dans les traitements contre les puces, tiques et autres parasites, via des colliers anti-puces ou des pipettes. Depuis 2018, certaines enseignes ne les commercialisent d’ailleurs plus, car potentiellement dangereux pour les enfants.

En 2014, l’analyse de cheveux d’enfants constatait l’exposition très importante des enfants au fipronil, considéré comme un puissant neurotoxique, nocif par simple contact, pouvant contaminer les bébés à travers le lait maternel, et classé comme cancérigène par l’Environnemental protection agency américaine. Une étude scientifique démontrerait aussi que le fipronil introduirait chez le rat des changements dans le cerveau typiques de la maladie d’Alzheimer.

 

Interdit en agriculture depuis 2004

Commercialisé en 1993, le fipronil est interdit en agriculture depuis 2004, en France et dans d’autres pays européens. Il était alors accusé de causer une surmortalité des abeilles.

Lors de l’été 2017, 15 pays européens ont été concernés par la contamination d’œufs par cette substance. L’usage du fipronil est pourtant interdit chez les animaux destinés à la consommation.En mars 2018, 11 produits à base de fipronil étaient autorisés en France.

Selon l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’insecticide présente une " toxicité modérée " pour l’homme. Selon l’Anses, il n’est pas considéré comme génotoxique, cancérogène ou toxique pour la reproduction. En revanche, ingéré en grande quantité, il pourrait causer des dommages au niveau du foie, de la thyroïde et des reins.

 

Un usage adapté pour limiter l’impact

Face aux craintes exprimées, l’association Nature Océan Indien assure avoir pris des précautions dans l’usage du produit incriminé. " Le choix a été fait pour diminuer l’impact négatif que pourrait avoir le poison sur des espèces nocives ", assure Jérémie Souchet, responsable scientifique et d’élevage de l’association Nature Océan Indien.

Il y aura probablement quelques impacts, mais qui vont être très faible. Pour réduire encore le risque, le produit au lieu d’être utilisé comme préconisé, c’est-à-dire par épandage, nous, on a choisi de le mettre dans des boîtes spécifiques.

Jérémie Souchet, responsable scientifique et d’élevage de NOI

 

Le dispositif se présente sous la forme d’une tige parsemée de petits trous, dans lesquels les fourmis vont pénétrer, explique-t-il. Elles devront ensuite remonter à la verticale dans le tube pour atteindre l’emplacement de l’appât, " comme ça, ça évite que toute la micro-faune du sol puisse atteindre le produit ", assure Jérémie Souchet. Idem pour les oiseaux et les geckos " puisque la boîte est étanche et opaque à la lumière ", précise-t-il enfin. Il assure qu’il ne devrait donc pas y avoir de dégradation par les UV ni de lessivage par les pluies.

Il précise que la solution évoqué par la représentante d’EELV d’extraire les reines des colonies serait, selon lui, inutile. " C’est une espèce de fourmis qui forme des super colonies avec plusieurs reines, et La Réunion représente une seule et même colonie ", détaille-t-il.

A noter, l’autorisation de dérogation n’est censée être valable une seule fois, après son expiration des méthodes alternatives devront être développées pour limiter le retour de la fourmi folle jaune.