Le CEVIF et l'association Femmes Solid'Air ont un nouveau cheval de bataille : depuis plusieurs semaines, tous deux réclament l'ouverture d'un numéro local d'écoute téléphonique et d'orientation pour recueillir les appels de victimes de violences intrafamiliales à La Réunion. Une pétition en ce sens circule actuellement sur l'île.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
A ce jour, c'est le 3919 qui est le numéro de référence d'écoute téléphonique à destination de ces femmes en France. S'il fonctionne bel et bien depuis La Réunion, il n'est toutefois pas des plus efficaces selon l'association Femmes Solid'Air, qui a écrit au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à la mi-février.
Des conversations en français uniquement
En effet, la langue utilisée lors de ces conversations porterait préjudice à la qualité de la communication, tout comme l'éloignement du territoire. "À ce jour, une plateforme d'appel située à Paris réceptionne les appels de La Réunion. Les femmes réunionnaises dans leur détresse se retrouvent à communiquer avec une personne ne maîtrisant pas le créole et ayant peu d'informations sur les solutions et dispositifs existants dans notre île et mobilisables immédiatement", écrit l'association au ministre.
Or, ces femmes "souvent en danger imminent" nécessitent une prise en charge rapide, et donc "une compréhension langagière instantanée et langagière", fait valoir Femmes Solid'Air.
"Kan ou lé en danger, ou na poin le tan tradui"
"C'est un outil fiable, mais pour les personnes qui arrivent à s'exprimer correctement en français. La difficulté c'est d'adapter ce numéro à notre public et nos spécificités locales. Kan ou lé en danger, mi pens' que c'est la langue maternelle qui vient en premier, ou exprim a ou de façon paniquée, ou na poin le tan tradui, ou tout simplement ou lé tétanisée et ou trouv' pa les mots ki fo", explique Pierrette Mira, directrice de l'association.
Elle explique que des femmes accompagnées par l'association et qui sont passées par le 3919 se sont vues indiquer un autre numéro où appeler pour bénéficier d'aide à La Réunion. Or, "si ma la décide d'appeler c'est que moin lé en danger. Est-ce que ma na encore le courage de rappeler une deuxième fois un autre numéro, sans savoir su qui mi sa tomber, avec un décalage horaire ?", poursuit Pierrette Mira.
Une méconnaissance de l'écosystème local
Magalie Budel, la présidente de l'association insiste sur toute l'importance d'un 3919 local. "C'est un numéro d'écoute, d'information et de conseil, qui va orienter vers les bonnes structures. Mais aujourd'hui, une femme que lé dans la souffrance, la besoin exprim a li dans sa langue maternelle. En plus, les personnes que i réponde i koné pas l'écosystème local, les acteurs locaux, zot i oriente les personnes n'importe comment".
L'association a déjà rencontré la déléguée régionale aux droits des femmes, "qui semble comprendre notre demande", précise la présidente de Femmes Solid'Air.
"Perfectionner" le 3919
De son côté, le CEVIF plussoie cette demande, et a également écrit au ministère pour réclamer la création d'une plateforme d'appel locale. Le président du CEVIF, Frédéric Rousset, considère que cette proposition de 3919 réunionnais "mérite d'être envisagée dans un programme d'actions volontariste contre les violences faites aux femmes et aux enfants au regard des compétences consolidées par tous les acteur.trice.s du territoire et de la reconnaissance de nos spécificités linguistiques".
Pour Frédéric Rousset, il s'agit de "perfectionner" ce 3919. "On défend la créolisation des échanges entre les acteurs, qui sont en métropole, et les victimes ici, dont la langue maternelle est le créole. Lorsque vous êtes étreint par l'angoisse, l'anxiété, la confusion, les mots qui viennent sont de la langue maternelle, la langue du coeur".
À terme, un service unique
Le président du CEVIF défend l'idée d'un 3919 péi. "C'est tout à fait possible en terme de téléphonie. Et puis à plus long terme, ce numéro réunirait tous les acteurs du territoire, les médecins, les avocats, les associations, les forces de l'ordre... Ce serait peut-être la pierre angulaire pour enfin créer un service unique", achève Frédéric Rousset.
A chaque numéro son objectif
L'association Femmes Solid'Air en profite pour rappeler les différences entre les différents numéros existants en cas de violences familiales, et leurs objectifs. En cas de danger, il s'agit de contacter le 17. Le 3919 est réservé à l'écoute, l'orientation et le conseil. Le 115 lui, sert à contacter un hébergement d'urgence. Enfin, le 114 réceptionne les SMS si la personne en danger ne peut communiquer de façon orale.
L'association Femmes Solid'Air tient à disposition des femmes ayant besoin d'appeler trois numéros de téléphone, en cas d'urgence, notamment si des violences éclatent en pleine nuit ou les jours fériés, lorsqu'il n'y a pas de structure ouverte. Il s'agit du 0692 36 53 91, du 0692 23 32 23, et du 0692 26 53 52.
Selon les chiffres de la préfecture, relayés ici par le CEVIF, le nombre de violences intra-familiales a connu depuis 2018 une augmentation de +82,8% en zone gendarmerie, et de +58,3% en zone police.