Maurice : la vie des engagés révélée par les fouilles archéologiques

L’ancienne sucrerie située dans le parc national de Bras-d’Eau a aussi fait l’objet de fouilles. "De 1835 à 1838, la propriété disposait de 150 travailleurs sous contrat. Dans cet intervalle, plus de 60 retournèrent en Inde, 40 quittèrent le domaine et 55 furent réengagés. En 1841, la propriété employait également dix Chinois de Penang. En 1864, un nouveau propriétaire-exploitant, Charles Grivot, fait travailler 141 nouveaux embauchés, 50 réengagés et 60 femmes."
L'archéologue Krish Seetah, spécialiste des recherches sur "l'engagisme" à l'île Maurice partage ses découvertes après 14 ans de fouilles aux abords des usines sucrières, dans les cimetières et les temples situés à proximités. Ces "volontaires" survivaient pour travailler...

Pour se donner bonne conscience, la France (1848) et la Grande-Bretagne (1833) sont contraintes de mettre fin à l'esclavage dans leurs colonies ultramarines. Pour pallier ce soudain manque de main d'œuvres taillables et corvéables à merci, les gouvernements de l'époque, sous la pression des colons et pour éviter une pénurie de sucre, se tournent vers l’Inde.
 
"L’engagisme" a d’ailleurs commencé avant l’abolition de l’esclavage. Dès 1828, la question est évoquée par les parlementaires britanniques. Six ans plus tard, la première expérience est lancée, sur l’île de La Réunion avec l’arrivée de 3 000 travailleurs hindous.
 
En 1834, la Grande-Bretagne, pour des raisons économiques évidentes, a recours à ces travailleurs "volontaires". Au total, 2 millions de migrants sont transportés vers les Mascareignes, écrit cairn.info.

Des travailleurs pas vraiment « volontaires »

Camp sucrier à Trianon dans les années 1940.

"L’engagisme", vu d’Europe, semblait un recours acceptable. Les révélations de Krish Seetah, archéologues en charge, depuis 14 ans, des recherches à l’île Maurice sont glaçantes. Avant d’évoquer les conditions de vie des engagés, il faut se souvenir de quelques faits historiques.
 
"L’engagisme » prend fin officiellement en 1933 à Maurice et à La Réunion. Il cesse en 1937 à Rodrigues. Ces travailleurs, embarqués en Inde, espéraient trouver de meilleures conditions de vie. En embarquant, ils ne savaient pas que ce voyage serait un aller simple vers l’enfer. Le voyage à fond de cale n’était pas gratuit. Ils devaient le rembourser en travaillant au moins pendant cinq ans sur une propriété.

Morts d’épuisement, de maladie et suicidés

Fondé en 1867, le cimetière de Bois-Marchand est créé suite aux épidémies de malaria qui ont emporté près de 10 % de la population cette année-là. L’analyse des restes humains montre des signes de malnutrition. "Quand l’engagé se décidait à aller à l’hôpital, c’était souvent trop tard, parce que s’il prenait un congé maladie, c’était coupé de son salaire."

Fouiller dans les cimetières, creuser la terre, ne va pas de soi, dans la culture hindoue. L’archéologue explique à L’Express de Maurice : "Bien sûr que non. Il a fallu changer les mentalités. Expliquer que l’archéologie est un procédé scientifique."

 
Comparaison n’est pas raison, pourtant des similitudes sont observables en étudiant les squelettes d’esclaves et d’engagés.

Ils révèlent une souffrance physique, une malnutrition et parfois des suicides. La dentition, les ossements, les fractures peu ou pas consolidées…
 
L’alcool, le zamal étaient les seules distractions. Ces conditions de survie étaient si difficiles qu’ils étaient nombreux à renoncer. Un rapport de 1870 montre : "En Angleterre, pour chaque million d’habitants, il y avait 70 suicides. À Maurice, parmi la population générale, il y avait 67 suicides par million d’habitants. Alors que parmi les travailleurs engagés, le chiffre était de quatre fois plus, soit de 280 par million." Un article de L’Express de Maurice à lire ici

Photo d'archives des baraquements des engagés sur l’île Plate ( Balfour, 1921).