Roman : "La chaise de Vincent" par Guy Barbey

De nombreuses générations de lycéens à La Réunion connaissent Guy Barbey. Il a été professeur de français au lycée Leconte de Lisle. Il a publié quatre romans dont  « La chaise de Vincent ». L'histoire se déroule à La Réunion.

L'auteur a accordé une interview à Marie-Christine Nivet.

MCN - Guy Barbey, vous venez de faire paraître un roman dont l’histoire se déroule à La Réunion. Pouvez-vous nous en dévoiler un peu l’histoire ?
Guy Barbey – "Le cœur du roman c’est l’itinéraire de Sébastien, un jeune décorateur venu tenter sa chance à La Réunion dans les années 60. Élevé dans la religion catholique il la remet en cause, alors que son frère jumeau est devenu Jésuite. Mais c’est d’une jeune catholique pratiquante, Claire, qu’il tombe amoureux. Il l’épouse, mais leur histoire d'amour tourne mal après la naissance de leur fils Vincent, et il rentre en métropole. Quelques années plus tard, revenu pour quelques jours à la Réunion pour voir son fils, il se rend compte que, remariée et mère d’un second enfant, Claire qu’il n’a pas cessé d’adorer et qui, à nouveau, se sent attirée vers lui, est condamnée à souffrir de cette situation sans issue. Il prend alors la seule décision qui puisse l’en libérer."

MCN – Pourquoi La Réunion des années 60 ?
GB – "Je l’ai bien connue, puisque j’y ai enseigné le français de 63 à 77. En dépaysant Sébastien, le microcosme réunissant alors, entre le Scotch club et les Roches Noires, une génération de jeunes bourgeois, réunionnais et zoreils confondus, m’a paru particulièrement favorable au développement de son histoire. Ce dépaysement justifiait en outre les lettres adressées à son frère, remises plus tard à Vincent et dont celui-ci diffère la publication jusqu’à la mort de son beau-père."

MCN - Ce sont ces lettres que nous lirons ?
GB – "Mises en situation par Vincent, oui. Des lettres sans réponses car, alors que Jean avait conservé celles qui jalonnent l’itinéraire de son frère, Sébastien ne les avait pas gardées. Jean n’apparaît donc que comme le témoin immobile en référence auquel il se situait, et à qui il rendait compte familièrement et « à chaud » de son itinéraire."

MCN - C’est donc une histoire d’amour racontée à un Jésuite ?
GB – "D’amour et de doute religieux. C’est la progression conjuguée de ces deux composantes qui en fait l’intérêt. Pour moi Sébastien, est un orphelin de Dieu qui lui cherche un substitut dans l'amour de Claire. S'étant fait de cet amour une religion contre laquelle il a péché, il ne peut trouver son absolution que par le sacrifice de sa vie. Sacrifice en fait sans douleur puisque s'il ne le fait pas sa vie n'a plus de sens."

MCN - Sébastien, c’est vous ?
GB – "Flaubert disait « Madame Bovary, c’est moi » ! Disons que, dans les faits, sa biographie n’a pas grand-chose à voir avec la mienne, mais qu’il pense souvent comme moi. Et que je comprends le conflit qu’il vit entre scepticisme et besoin d’absolu."

MCN - Scepticisme ? Ou faut-il parler d’apostasie ?
GB – "Parlons-nous de Sébastien ou de moi ? Comme lui j’ai été élevé dans la religion catholique et pendant fort longtemps j’en ai accepté sans difficulté les dogmes, partant de la conviction que notre logique n’avait pas accès à celle de Dieu. Aujourd’hui cette incompatibilité me choque trop. Après tout, si Dieu nous a créés, c’est lui qui nous a donné cette raison insuffisante."

MCN - Par exemple ?
GB – "Par exemple le couple Incarnation Rédemption comme réponse au péché originel. Un Créateur omniscient condamnant l’homme à la souffrance et à la mort à cause de la désobéissance pour laquelle il l’a programmé, se condamnant lui-même, pour s’autoriser à atténuer sa malédiction, à connaître la souffrance et la mort à travers sa propre incarnation dans le Fils, sachant que le Fils ne meurt que pour ressusciter et que son sacrifice ne coûte rien au Père puisqu’il ignore la souffrance. Pour toute logique humaine, c’est une histoire de fous. Et à propos du péché originel, Sébastien évoque aussi, en passant, le tabou de la nudité. Quand Adam et Ève accèdent à la conscience que Dieu leur avait interdite, ils ont honte d’être nus. Dieu les avait donc créés en état de péché mais avec interdiction de s’en apercevoir ? Là-dessus il leur fait des pagnes. Pourquoi alors ne les a-t-il pas créés avec ? Vous y comprenez quelque chose ?"

MCN – Mais vous, où cela vous mène-t-il ?
GB- "Moi, ce qui me semble plus probable dans tout ça, c'est que l'homme s'est inventé un Dieu qui se moque de lui ! Mais je ne prétends pas détenir la vérité ! Je crois qu'il faut "mettre en examen" – j'aime bien cette formule – tout ce qu'on croit. Et qu'alors il ne reste plus rien de certain, pas même la science, qui ne se fonde après tout que sur l'interprétation d'observations humaines par une logique humaine, et que le progrès des techniques d'investigation remet parfois en cause. Elle fournit des hypothèses actuellement fécondes, c'est tout. Il faut revenir au "Je pense donc je suis" de Descartes pour se donner les bases d’une morale utilitaire. Et je pense qu’il est utile à l’équilibre de l’homme de s’accepter tel qu’il est à commencer par son image corporelle. Le reste n’est qu’enchaînement de mots dans lesquels nous croyons parfois découvrir des vérités nouvelles alors qu’ils n’ont pas d’autre sens que celui que nous leur avons donné. Nous, j’entends l’humanité. Dès qu’on les a nommées, on peut donc disserter à perte de vue sur des choses qui n’existent pas : on raisonne alors à vide et cela ne prouve rien. A défaut de conduire à La Vérité, le doute permet de débusquer des erreurs de méthode chez ceux qui croient la posséder. Il oblige à la modestie et à la tolérance, ce qui n’est déjà pas si mal ! Mais j’en dis ici plus que Sébastien."


MCN – Pourquoi ce titre « La Chaise de Vincent » ?
GB – "C’est celui d’un tableau de Van Gogh que Sébastien aime. Il représente une chaise de paille, ne portant rien qu’une pipe et du tabac. Comme Sébastien l’explique à Jean, elle témoigne de la présence du peintre, qui y a laissé ces objets et qui a peint le tableau, et en même temps elle représente son absence puisqu’il n’y est pas. Sébastien y voit une métaphore de l’absence de Dieu, qui est le ressort du roman.
Et n’est-ce pas un bon titre ?"

MCN – Guy Barbey, je vous remercie.