Le chef présumé d'une secte, installé à Sainte-Anne, a été mis en examen, mercredi 16 juin. Le fils d’une des victimes présumées témoigne. Son père serait resté 20 ans sous l’emprise de la secte.
"J’ai assisté à des cours qui n’avaient rien à voir avec l’école, il parlait de choses que je ne voyais pas dans les livres, raconte Frédéric. Il y avait un côté scientifique et mystique. Il nous parlait de l’univers, de l’énergie de l’homme, il nous disait que c’était pour l’évolution de l’homme, il nous responsabilisait et nous donnait de l’importance. On se sentait bien".
"Il lui donnait tout notre argent"
Frédéric est le fils d'une des victimes présumées de la secte cachée derrière le nom de l’association « Fudakmi », "Fraternité universelle des anciens Khrasts mystiques initiés ». Chef présumé de la secte, Jean-Patrick Anne-Denise, 67 ans a été placé en détention, mercredi 16 juin. Il est mis en examen pour abus de faiblesse, blanchiment d'argent aggravé et exécution de travail dissimulé.
Dans les années 80, avec son père, Frédéric a fréquenté cette secte et la propriété de Jean-Patrick Anne-Denise, qui se faisait appeler "le grand monarque divin". Frédéric était alors qu’un enfant. Il se souvient que son père donnait chaque mois de l'argent à l'ordre.
Mon père ne pouvait pas subvenir aux besoins de la famille, car tous les mois il le payait. Au minimum, c’était 1 500 francs par mois qu’il lui donnait et ça a duré 20 ans.
Les enquêteurs ont retrouvé d'importantes sommes d'argent sur le compte bancaire du prévenu, à hauteur de 400 000 euros, et de 600 000 euros en liquide à son domicile.
"Des cérémonies étranges"
Depuis 46 ans, le chef présumé de la secte réunissait ses adeptes dans sa propriété de Saint-Anne pour des « séances de spiritualité ». Son association Fudakmi, créée en 1975, se définit comme une école de philosophie spirituelle.
Lorsqu’il était enfant, Frédéric a assisté à des cérémonies étranges qui avaient lieu dans la propriété du chemin Ceinture, à Saint-Benoît où résidait le suspect.
C’était un havre de paix, il y avait à boire, à manger, un endroit paradisiaque, de quoi bien vivre. Il n’y avait personne autour, aucun temple indiqué, il nous recevait discrètement, le portail était ouvert le samedi, on avait la place pour s’y garer, il ne pouvait pas se faire repérer.
Le témoignage recueilli par Jean-Régis Ramsamy et Willy Thévenin :
Soupçonné d’avoir récupéré des enfants
Le chef de la secte est suspecté d’avoir exercé une influence psychologique sur ses « fidèles », au point de leur soutirer de l’argent, mais aussi de s'approprier la paternité de leurs enfants.
Il est soupçonné d’avoir récupéré quatre enfants de ses adeptes, forçant les femmes assujetties à lui reconnaître la paternité. Un détournement qui n’est pas qualifiable d’infraction dans le droit français, ce qui risque de compliquer le travail de la justice. Il récupérait au passage le versement de leurs allocations familiales.
Jérémie Pham-Lê est journaliste au Parisien. C'est lui qui a dévoilé l'affaire il y a quelques jours. Pour le journaliste, l'affaire des enfants spoliés à leurs parents rendra l'affaire particulièrement complexe.
"Des adeptes hauts placés"
Difficile de savoir le nombre de ses victimes présumées à ce jour. Pendant plus de 40 ans, Jean-Patrick Anne-Denise n’inquiète pas la justice. Mais en 2019, un signalement amène la Cellule spécialisée sur les dérives sectaire de la Police judiciaire à enquêter sur les pratiques de cette « association ».
Problème : les investigations sont compliquées car les adeptes sont des professeurs, des médecins ou encore des pharmaciens. Un ancien gendarme de Saint-Benoît a aussi été auditionné dans le cadre de l’enquête.
Ce que confirme Frédéric : "son association était bien ficelée, car il y avait des gens de la haute société, c’était un cercle fermé, pas n’importe qui y entrait, donc ça ne pouvait pas s’ébruiter". Frédéric parle d’un homme "malin, et très intelligent". Comment a-t-il pu œuvrer ainsi durant 46 ans ? Pour Frédéric, "il avait surement des relations pour faire ça, comment les organismes n’ont pas pu se rendre compte de tout ça ? Ses bras droits étaient des gens distingués et respectueux".
Un appel aux éventuelles autres victimes
Le procureur de la République a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire. Eric Tufféry appelle toutes autres victimes présumées à sortir du silence :
Le lien d'intimidation et de dépendance n'existe plus aujourd'hui, les personnes ayant subi des dommages peuvent se rapprocher des services de la justice pour l'enquête qui est en cours.
A ce jour, des dizaines de personnes ont déjà été répertoriées comme victimes en métropole et à La Réunion.
La dénomination "gourou" fait débat
Dans la culture hindoue, un gourou désigne un guide spirituel. L'utilisation du terme pour désigner le chef d'une secte fait débat. Certains dénoncent l'amalgame.
Le reportage de Jean-Régis Ramsamy et Alix Catherine :