En août 1970, La Réunion apprend avec stupeur l'existence d'un système d'avortements forcés à grande échelle. Une politique d'avortements et de stérilisations à la chaîne qui était appliquée dans les années 1960 au sein de l'ancienne clinique de Saint-Benoit, alors dirigée par l'influent Dr David Moreau, notamment proche de Michel Debré, l'ancien Premier ministre de Charles de Gaulle devenu à l'époque leader de la droite réunionnaise.
"Le scandale", titre alors lire la presse de l'époque. "On m'a ouvert le ventre... et je ne ferai plus d'enfants", peut-on encore lire parmi les témoignages recueillis. Des milliers de femmes auraient été concernées. Après plusieurs mois d'enquête et d'instruction, un procès a lieu l'année suivante mais les condamnations prononcées sont loin d'être à la hauteur de la gravité des faits reprochés.
Appel à témoins sur les réseaux sociaux
Le sujet n'est pas facile mais c'est celui qu'a choisi Lisa Maillot, une étudiante, pour son mémoire. Elle vient tous les jours aux Archives départementales, à Saint-Denis, afin d'éplucher les anciens articles de presse traitant de ces avortements et de ces stérilisations forcées.
En digne représentante de sa génération, elle a choisi le terrain des réseaux sociaux pour lancer un appel à témoins afin de tenter de retrouver d'anciennes victimes de la clinique du Dr Moreau.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
"Le directeur de la clinique est déclaré civilement responsable mais ne sera jamais condamné. Les victimes qui ont porté plainte n'ont reçu aucune réparation financière (...), résume-t-elle dans une vidéo qui fait presque 3'30. Toutes les autres victimes tombent dans l'oubli alors que les institutions protègent leurs intérêts politiques en la personne de David Moreau qui est alors maire de Saint-Benoit".
La publication Facebook de Lisa Maillot :
Une histoire découverte grâce au livre "Le ventre des femmes"
Cette affaire, Lisa Maillot l'a découverte à travers le livre de Françoise Vergès, "Le Ventre des Femmes". "Elle a fait un travail plus global sur la limitation des naissances, sur la politique anti-nataliste qu'il y avait à l'époque et peut-être moins précisément sur l'affaire de la clinique de Saint-Benoit", explique l'étudiante.
"Moi, ce que j'essaie d'analyser, c'est vraiment la question du silence, du tabou. Sur comment on a pu étouffer l'affaire. Et ça on peut vraiment le lire à la fois à travers la presse et les courriers échangés entre les différentes institutions". Car Lisa Maillot multiplie les sources d'informations. Elle fouille aussi dans les archives des administrations, parcourant les documents officiels de la Sécurité sociale, la préfecture...
A qui le silence a-t-il profité ?
"Il y a certaines choses qui sont claires dans tout ça : c'est la manière dont a été étouffée finalement cette affaire. Ca a empêché un procès énorme qui aurait pu permettre de découvrir l'ampleur des stérilisations et des avortements", analyse encore Lisa Maillot.
A qui le silence de cette affaire oubliée a-t-il profité ? C'est la question que pose l'étudiante qui compte s'appuyer sur les témoignages qu'elle espère recueillir pour avancer dans ses travaux de recherches.
A l'époque, les avortements étant illégaux et clandestins, la clinique se faisait rembourser les actes pratiqués en mentionnant d'autres désignations opératoires (appendicite, etc). "Je suis retombée sur pas mal de documents aux Archives nationales à Paris sur ces anomalies. On peut affirmer qu'on se posait déjà les questions sur les pratiques qu'il y avait là-bas, ne serait-ce qu'en termes de fraude à la sécurité sociale", souligne Lisa Maillot.
Recours à un produit contraceptif interdit
"Il y avait aussi beaucoup de femmes qui allaient se faire avorter à la clinique de manière volontaire. Il y en beaucoup qui ont été stérilisés de force suite à ces avortements et ce sont ces personnes que je cherche à retrouver".
Lisa cherche aussi à savoir quelles ont pu être les conséquences de la piqure de Depo Provera, un produit contraceptif injecté d'office aux mères de familles nombreuses alors qu'il était encore en phase de test à l'époque et même interdit en France mais utilisé dans les pays du Tiers-monde...