Le déplacement de la statue de Mahé de Labourdonnais à Saint-Denis suscite toujours la controverse. Si bien que ce mardi 9 mai, la maire du chef-lieu a apporté de plus amples précisions sur les travaux à venir.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
Des précisions qui interviennent suite au refus la semaine dernière, de la Région Réunion de doter le projet de financements européens, en tout cas en l'état. La commission permanente du 5 mai dernier était censée se pencher sur le sujet, après la sollicitation par la ville de fonds européens pour le financement des travaux de réaménagement du square Labourdonnais.
Un examen de dossier remis à plus tard par la commission permanente de la Région
Mais la collectivité a remis à plus tard l'examen du dossier en commission permanente, "dans l'attente de précisions sur la question controversée du déboulonnage et du déplacement de la statue de Mahé de Labourdonnais". "La commission permanente souhaite bénéficier de l’éclairage d’historiens et pouvoir échanger avec la mairie de Saint-Denis sur ce dossier", précisait il y a quelques jours la Région Réunion.
Déplacement de statue et réhabilitation de square, deux financements différents selon la mairie
Pourtant, les deux projets sont différents, explique la maire de Saint-Denis, Ericka Bareigts. D'un côté, le projet d'aménagement du square, d'un montant de 3 millions d'euros, pour lequel des fonds ont bien été sollicités auprès de l'Europe via la Région Réunion au titre de la redynamisation des centre-villes. De l'autre, le projet de déplacement de la statue, financé sur des fonds communaux, coûtant entre 50 000 et 100 000 euros, assure la mairie.
La ville de Saint-Denis "prend acte"
Le dossier de réhabilitation aurait reçu "un avis favorable de la commission aménagement, mais la commission permanente n'a pas suivi", précise Ericka Bareigts. "La ville de Saint-Denis prend acte de cette décision, nous allons financer nous-même cet espace public pour les Dionysiens, mais aussi pour les Réunionnais", poursuit-elle, disant ne pas vouloir "se disperser dans les postures".
"On continue à travailler"
La maire de Saint-Denis rappelle en outre que le déplacement de la statue se fera dans le respect des règles édictées par le ministère de la Culture, qui a autorisé la manoeuvre. Alors, dans ces conditions, "on continue à travailler", martèle Ericka Bareigts, avec ou sans fonds européens. "Les travaux sont lancés, on a obtenu le permis de construire, on va libérer des fonds et on organise le chantier. Ca va se faire !"
"Pas un déboulonnage"
S'exprimant sur la polémique sur le déplacement de la statue, les termes sont mal utilisés, il ne s'agit pas d'un "déboulonnage", estime Ericka Bareigts. "Là, nous travaillons à la mise en valeur puis au déplacement de la statue, puisque Mahé de Labourdonnais était un grand militaire", expliquait-elle sur le plateau de Réunion La 1ère ce mardi 9 mai.
L'ambition d'une fin de travaux pour la fin de l'année
La ville a l'ambition de voir débuter les travaux très rapidement, et de les voir s'achever pour la fin d'année, afin que les prochaines festivités du 20 décembre puissent être célébrées sur la nouvelle place Labourdonnais. Laquelle sera revégétalisée, équipée d'un grand bassin de près de 60m2, de mobilier urbain dont des transats, et d'un espace pour les spectacles d'une capacité d'accueil de 5 000 personnes.
Un futur espace de rassemblement et de projets culturels
Stéphane Hoarau, directeur du service culturel de la ville de Saint-Denis, précise quant à lui que le nouvel espace pourra accueillir plusieurs projets culturels : une grande scène mais aussi une petite pour des contes, par exemple, un rond de moringue qui était présent dans le passé et qui a été effacé...
"Ce sera un espace de rassemblements comme celui du 20 décembre, mais aussi plus convivial et intime avec des ilôts, qui sera reverdi, où on trouvera une fontaine, une oeuvre d'art, des espaces pour des pratiques culturelles spontanées, avec des conteurs, des moringueurs, des musiciens..."
Stéphane Hoarau, directeur du service culturel de la mairie de Saint-Denis
Un déplacement minutieux
Quant au déplacement de la statue de Mahé de Labourdonnais, le controversé officier de marine et gouverneur des îles Mascareignes, il se fera selon un processus strict, explique le directeur du service culturel. "Il va y avoir des archéologues, des entreprises de conseil, qui vont numéroter les pièces, les démonter, les nettoyer, leur donner un coup de neuf. L'ensemble sera ensuite remonté pièce par pièce", note Stéphane Hoarau.
Des voix très favorables à ce déplacement
C'est à la caserne Lambert qu'elle sera remontée à l'identique. Un lieu plus approprié pour accueillir cette représentation d'un esclavagiste, de l'avis de plusieurs associations, historiens... Ghislaine Mithra-Bessière, sociologue, en fait partie. Elle explique son raisonnement, réclamant "un rééquilibrage du personnage de Labourdonnais dans ce qu'il représente en termes d'esclavagisme".
"Mahé de Labourdonnais a été mis là en 1856, pratiquement 8 ans après l'abolition de l'esclavage. Mais ce sont d'abord les affranchis de 1848 qui sont venus là entendre le décret de l'abolition. Nous sommes dans une configuration où Labourdonnais a usurpé une place, il l'a fait parce que d'autres, la frange coloniale de l'époque, a voulu réinscrire le pouvoir colonialiste dans le cadre réunionnais"
Ghislaine Mithra-Bessière, sociologue
"On ne demande pas l'effacement"
L'association Laproptaz nout péi, dont elle fait partie, appelle donc de tous ses voeux ce déplacement de la controversée statue, "qu'on puisse redonner sa valeur symbolique à cette place". "On ne demande pas l'effacement, on demande un rééquilibrage, une meilleure visibilité de tout le travail accompli par les esclavisés, les marrons, les résistants, les engagés", achève-t-elle.
"Connaître ce qu'il a fait, pas détruire"
Pourtant, tous ne sont pas de cet avis. Parmi les voix qui s'élèvent contre le transfert de l'édifice vers la caserne Lambert, celle de l'historien Prosper Eve. "Il ne faut pas se lancer dans une telle initiative. (...) Ce qui est intéressant, c'est de connaître ce qu'il a fait, pas de détruire", disait-il sur Réunion La 1ère
Il expliquait l'importance de garder les éléments présents sur la place publique qui permettaient d'évoquer le sujet de l'esclavage.
"Chacun sait qu'ici, il n'y a pas de trace dans le décor des instruments qui ont été utilisés pour martyriser les esclaves. Les fers, les chaînes, les fouets... On a éliminé ces traces. Aujourd'hui quand on a des éléments sur la place publique qui permettent d'évoquer le sujet, on ne doit pas s'en priver."
Prosper Eve, historien
Le personnage complexe de Mahé de Labourdonnais
Le personnage de Mahé de Labourdonnais est en effet complexe, comme le rappelle Prosper Eve.
"Mahé de Labourdonnais est ce personnage complexe : sur la place publique du Barachois, il incarne celui qui fait rentrer des esclaves ici, et de l'autre côté, celui qui a défendu les intérêts de la France dans l'océan Indien".
Prosper Eve, historien
Premier gouverneur des îles Mascareignes de 1733 à 1747, Mahé de Labourdonnais a d'un côté contribué à la modernisation de l'île alors appelée Bourbon, notamment les villes de Saint-Denis et de Saint-Louis, mais de l'autre côté, reste inévitablement lié à la période esclavagiste. De fait, cela fait plusieurs années que militants et associations réclament le retrait de cette statue de Mahé de Labourdonnais.
En 2020, une pétition en ligne demandait son retrait, en plein mouvement de "déboulonnage" des statues liées à l'esclavage, sans effet ; en 2021, des anonymes avait choisi de le repeindre en rose. La statue avait aussi été ornée d'un panneau "Je suis esclavagiste" en 2015...
"Nulle part les espaces publics ne sont figés"
Pour le préfet de La Réunion, Jérôme Filippini, qui s'exprimait sur le sujet lors de la présentation du projet il y a quelques jours, il ne s'agit pas d'effacer, mais au contraire d'enrichir la connaissance scientifique autour du personnage.
"On accentuera le travail scientifique de connaissance autour de la figure de cet homme qui a eu un rôle tout à fait détestable à cette époque où la France elle-même avait une politique détestable. (...) Mahé de Labourdonnais a été aussi un militaire honoré par la République parce qu'il a eu un rôle important dans l'histoire des armées", assurait-il. "Nulle part les espaces publics ne sont figés. Faire la ville, c'est la responsabilité des maires, et quand l'Etat l'accompagne, je pense que ça a du sens", disait alors Jérôme Filippini.