“Ici reposent ceux qui ont traversé l’océan. Après le rapt et le viol des corps entassés dans le ventre obscur des navires prédateurs. Ici reposent ceux d’Afrique... Femmes de Quiloa et de Zanzibar arrachées à leur terre natale, à leurs dieux, à leurs danses, à leur sagesse ancestrale, hommes et enfants des terres rouges des hauts plateaux”, peut-on lire sur la stèle en forme de voile qui gît non loin du cimetière des esclaves de Saint-Paul, lieu de commémoration ce mardi matin. Une œuvre du Saint-paulois Jack Beng-Thi, derrière laquelle une trentaine de petites tombes ont été réinstallées pour symboliser les sépultures manquantes de tous les esclaves un jour inhumés ici.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
Personnalités politiques et autres officiels, dont Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la Mémoire de l'Esclavage, ont arpenté les allées du plus grand cimetière colonial connu en France, pour se rappeler l’histoire de l’île en ce jour symbolique.
Des ossements découverts en 2007
Rappelons que le sable à cet endroit, sur l’aplomb ouest de la plateforme, avait vu apparaître plusieurs ossements lors du cyclone Gamède en 2007. Des fouilles archéologiques avaient alors été menées par l’Inrap en 2011, et ont permis de découvrir un cimetière d’esclaves daté de la première moitié du 19ème siècle.
“Ce sont des hommes et femmes enterrés ici puisqu’ils n’étaient pas catholiques, et n’avaient pas le droit d’être inhumés dans le cimetière marin, réservé aux catholiques”, rappelle Suzelle Boucher, adjointe déléguée à la Culture à la mairie de Saint-Paul. “Ici nous sommes sur un cimetière d’esclaves où on estime qu'environ 2000 personnes ont été inhumées”, détaille l'élue en désignant les 2500m2 sur lesquels s'étendait ce cimetière d'esclaves.
Delphine Henod, esclave affranchie
La commémoration s’est notamment arrêtée devant la tombe de l’esclave Delphine Henod dans le cimetière de la Caverne : la seule sépulture d’esclave affranchi qui a résisté au temps sur ce site. Née le 7 août 1809, et décédée le 13 mai 1836 à 27 ans, Delphine était esclave de la famille Mallac, et a reçu le nom d’Henod en 1835, année où elle sera affranchie.
“Sa bonne conduite, ses bons sentiments, son affection pour ses maîtres lui valurent la liberté et ce faible témoignage de leurs regrets”, peut-on lire sur la dalle funèbre placée en guise d’oeuvre mémorielle de réparation depuis 2018. Car sa tombe but deux fois profanée au cours du 20ème siècle, rappelait l’Association historique internationale de l’océan Indien.
"La liberté ne nous a pas été apportée par Sarda Garriga"
Parmi les officiels qui assistaient à la cérémonie ce mardi, la présidente de Région Huguette Bello, commentait ce 174ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage :
“On a besoin de se rappeler de l’histoire de La Réunion qui est née d’un crime contre l’humanité, l’esclavage. (...) C’est important que nous rendions hommage à ceux qui ont fait La Réunion, sur ce site. La liberté ne nous a pas été apportée par Sarda Garriga, ça a été un combat de ceux qui ont subi l’esclavage !”
Huguette Bello, présidente de la Région Réunion
Le maire de Saint-Paul, Emmanuel Séraphin, regrettait quant à lui qu’il y ait aujourd’hui “plus de monde dans les centres commerciaux” que dans les commémorations de la Fet Kaf. “Si on fait un trait sur notre passé, comment se projeter sur notre avenir ? C’est important que chaque Réunionnais s’imprègne de cette mémoire, non pas pour revendiquer mais pour apaiser tout ça et cimenter notre vivre-ensemble", soulignait-il.