Sensibiliser à l'inceste mais faire disparaître la Ciivise ? Un paradoxe selon les associations réunionnaises

Pour le collectif pour l'élimination des violences intrafamiliales, la disparition de la Ciivise serait un échec.
Ce mois de septembre, le gouvernement lance une vaste campagne pour sensibiliser la population à l'ampleur du fléau que représente l'inceste. Dans le même temps, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), risque de disparaître à la fin de l'année, au grand dam des associations à La Réunion.

Quel avenir pour la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), créée en 2021 ? Car le mandat qui lui a été donné par le gouvernement français s'achève à la fin de l'année 2023, et il n'y a à l'heure actuelle aucune certitude quant à sa pérennisation. 

Cette commission vise à recueillir les témoignages mais aussi formuler des propositions de loi pour mieux protéger les victimes. La Ciivise souhaite, par exemple, la suspension de plein droit de l'autorité parentale en cas de poursuites pénales pour incestes, et le retrait systématique de l'autorité parentale en cas de condamnation pour inceste. 

"Un aveu d'échec, une trahison" 

Mais aujourd'hui, le travail de la Ciivise, à écouter des milliers de victimes durant des mois, n'aura servi à rien si sa mission s'arrête ici, de l'avis de nombreuses associations. 

Pour Frédéric Rousset, le président du Cevif, la disparition de la Commission sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants serait "terrible, un aveu d'échec, une trahison". 

"L'inceste doit être l'affaire de tous. L'antidote à ce problème, c'est la prise de parole, encore faut-il être entendu, et la mise en place d'actions à partir de cette parole"

Frédéric Rousset, président du CEVIF

Il cite par exemple la nécessité de réformer le système pénal, alors qu'aujourd'hui, 10% des plaintes sont classées sans suite. 

Une campagne de sensibilisation à l'inceste lancée

En outre, la non-reconduction du mandat de la Ciivise serait en totale contradiction avec la campagne lancée par le gouvernement ce mois-ci pour sensibiliser à l'inceste, sur les préconisations de... la Ciivise.

"Ça fait une vingtaine d'années qu'une campagne de telle ampleur n'avait pas été mise en oeuvre. C'est important que toute une société se mobilise pour arrêter de faire silence. Il s'agit d'identifier les pédocriminels qui ont le visage de monsieur tout-le-monde", réagit Frédéric Rousset, le président du CEVIF Réunion (Collectif pour l'élimination des violences intra-familiales).

Un paradoxe 

Pour autant, il dénonce un réel paradoxe dans les décisions du gouvernement qui n'a pas encore reconduit les missions de la Ciivise. Ce qui nuirait même à la démarche, considère-t-il.

"Ca serait vraiment paradoxal et ça entacherait toute la sincérité de la démarche si par la même occasion on enterrait cet outil, qui est un levier pour que tous ensemble on passe du concept de droit à l'enfant à celui de droit de l'enfant"

Frédéric Rousset, président du CEVIF Réunion

Briser le silence 

Alors que 160 000 enfants sont victimes d'inceste chaque année en France, et qu'un enfant est agressé sexuellement toutes les trois minutes, cette campage choc vise à briser le tabou qui entoure ce fléau, pour mieux le combattre. 

"On a ouvert la porte" 

De l'avis du juge Olivier Durand, co-président de la Ciivise, qui souhaite une véritable politique de santé publique autour de ce sujet, "on a ouvert la porte, il s'agit de ne pas la refermer". Qu'elle disparaisse ou non, la Ciivise remettra un rapport au gouvernement en décembre. 

"On est redevables de la protection de tous ces adultes qui, enfants, ont été agressés et n'ont pas été protégés. On voit toute l'impulsion que ça a donné aux travaux législatifs. On a ouvert la porte, il s'agit de ne pas la refermer. C'est plus qu'une commission, c'est un vrai levier de réflexion, un outil"

Juge Olivier Durand, co-président de la Ciivise

Le long combat des victimes continue

Pendant ce temps, les victimes d'incestes poursuivent un vrai parcours du combattant pour se relever de ce qu'elles ont vécu. Denise Ledormeur, présidente de l'association Handicap Solidaire, évoque le cas d'une victime qui a porté plainte mais a vu son affaire classée sans suite. 

"Elle voulait se libérer à travers ce procès. Emotionnellement et psychologiquement c'est encore beaucoup plus lourd pour elle à porter" 

Denise Ledormeur, présidente de l'association Handicap Solidaire

Aujourd'hui, cette victime est si atteinte par la décision qu'elle est hospitalisée en psychiatrie, poursuit la présidente d'Handicap Solidaire.

Convaincre les victimes de se débarrasser du fardeau

Malgré tout, Denise Ledormeur a à coeur de "changer les regards et les mentalités" pour aider les victimes à se soulager de leur fardeau. 

"Il y a des victimes qui se disent à quoi bon en parler, puisque ça s'est passé il y a très très longtemps, que ça risque d'éclater les familles. Avec toutes les peurs on se tait, et on porte cette souffrance". 

Denise Ledormeur, présidente de l'association Handicap Solidaire

Lila, victime d'inceste pendant des années, témoigne

Lila (prénom d'emprunt), fait partie elle aussi de ces victimes qui ne veulent plus se taire. "J'ai été victime d'inceste à l'âge de 8 ans, jusqu'à mes 15 ans, dans le cercle familial. Je l'ai caché à toute ma famille", raconte-t-elle. 

Si elle a 50 ans aujourd'hui, ce n'est qu'à 45 ans qu'elle a réussi à mettre des mots sur ce mal qui la rongeait, violée pendant 7 ans par un proche de la famille. Car de son propre aveu, elle n'avait pas vraiment compris ce qu'il se passait à l'époque : "C'est avec ces années de recul et l'âge que j'ai vraiment réalisé ce que c'était l'inceste, car je ne pensais pas être victime de cela. Je trouvais ça plus ou moins normal". 

Confronter son agresseur 

Après avoir vécu en portant ce fardeau toutes ces années, elle souhaite se confronter à son agresseur, une démarche qu'elle estime nécessaire pour pouvoir se reconstruire.

"Aujourd'hui, je serais prête à témoigner, mais à ma façon. J'aimerais rencontrer cette personne et lui poser les questions : pourquoi vous m'avez fait ça ? Quelles étaient vos raisons ? Qu'est-ce qui s'est passé dans votre tête ? Voilà les réponses que moi je souhaiterais avoir avant tout" 

Lila (prénom d'emprunt), victime d'inceste pendant 7 ans

27 000 témoignages recueillis en deux ans 

Seulement 3% des coupables de viols d'enfants sont condamnés aujourd'hui. D'où la nécessité, disait-il, de consolider les enquêtes et de prendre davantage au sérieux la parole des enfants. Lors de son passage à La Réunion, le co-président de la Ciivise et juge des enfants Edouard Durand, avait rappelé ce chiffre alarmant : 73% des plaintes déposées pour des violences sexuelles sur des enfants sont classées sans suite.

Depuis la création de la Commission indépendantes sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants en 2021, environ 27 000 personnes ont pu témoigner partout en France. La Ciivise vient de publier ce jeudi 21 septembre une analyse de leurs récits, soulignant notamment le déni de la société sur le sujet de l’inceste.