Sur la scène, en pleine lumière, elle déballe l’histoire de son enfance abîmée. Son maloya porte ses douleurs. La voix est douce, mais les mots sont durs. Ann O’Aro est une des nouvelles voix de La Réunion. A 28 ans, elle sort son premier album. Dans cette œuvre en créole, la jeune femme exorcise les souffrances de son enfance : l’inceste et un père qui finit par se suicider.
Fuir l’enfer
Après avoir fui un enfer et quitté la Réunion pendant quatre ans, Ann O’Aro est revenue s’installer à Tan Rouge, le village de son enfance. "C'est la seule photo que j'aime bien de moi petite, j’avais 6 ou 7 ans, raconte Ann. Un peu chipèk mais j'étais sage". A pieds, marchant dans la canne en direction de Saint-Paul, la chanteuse ouvre les portes de son passé.
Regardez le reportage "Un jour avec..." de Jean-Marc Collienne et David Laporte :
Avant elle, d’autres femmes ont chanté leur drame. Avec l’Aigle Noir, Barbara parle de l’inceste mais sans jamais le nommer. Anne, elle, voulait que ça soit clair. "Je fais de la poésie aussi, je tourne autour, mais des fois il me semble important de dire les choses avec les mots assez crûment, estime la chanteuse. Mi anploy le mo kan mi shant "out larme i zigil mon gozié" ".
I vien, lé zimaj lé là, mi parl de l'inceste, de ce rapport au père, et de la famille qui était refermée sur elle-même.
L’inceste, un sujet tabou
Pour Ann O’Aro, l’inceste est encore un sujet tabou à La Réunion. "La famille protège beaucoup, tout le monde est très collé les uns avec les autres et il y a une surprotection de celui qui a fait du mal, remarque la jeune femme. Et un enfant ne peut pas avoir raison (...) Ce n'est pas simple".
Regardez ci-dessous le clip de la chanson "Kap Kap" :
Que ça serve aux autres
Avec ce premier album, la Réunionnaise a séduit la presse nationale. De Télérama aux Inrockuptibles, les médias écrivent désormais sur l’intimité de sa vie.
C’est ma vie, mais je me dis autant que ça serve à d'autres, que certains puissent se retrouver là-dedans. Ma vie est déjà explosée depuis si longtemps, on s'en fout. De toutes façon, ça ne se répare pas comme ça.
Depuis l'affaire Harvey Weinstein, le mouvement #MeToo a permis à plusieurs femmes du monde entier de se libérer en dénonçant les agressions sexuelles et le harcèlement dont elles étaient victimes. "Je sens qu’il y a quelque chose qui est peut-être prêt, remarque la jeune Réunionnaise. Cette parole casse tout et ce n’est pas l'histoire d'une personne, mais de milliers de personnes et il faut qu'on en fasse quelque chose".
Regardez ci-dessous Ann O'Aro sur scène :
Faire réfléchir
Pour Ann O’Aro, "en parler, le chanter, en faire de la musique, c’est apprendre à réfléchir". Parfois, la chanteuse va à la rencontre des jeunes. Ce jour-là, elle a rendez-vous avec les élèves du lycée Moulin Joli. Avant son arrivée, ils ont travaillé sur la chanson “Kap Kap”.
"Zot na késtion ? De koi y parl ? kosa ou resan ?", interroge Ann face à des lycéens intimidés. Cette fois encore, Ann O’Aro décide de dire les choses crûment, quitte à les bousculer un peu. "I chap mon douce, kosa i ve dir ?" Eclats de rire dans l’assistance. "An fransé koman y di ? Ejaculer".
Le viol des enfants, la pédophilie, la figure paternelle, l’autorité : pour parler de l’inceste, Ann décortique chaque parole de ses textes. "Il faut dénoncer un viol, c'est un crime", rappelle-t-elle. Ce message, elle le reprend quelques heures plus tard sur scène. Après une dernière répétition à Saint-Paul dans les loges de Lespas, avec le trombonniste Teddy Doris et Bino Waro, la Réunionnaise remontera sur scène pour chanter son enfance déchirée.
Le plus du web
Retrouvez en bonus les coulisses du tournage avec Ann’ O’Aro. Malgré la dureté du sujet évoqué, la jeune femme garde sourire et humour en toutes circonstances :