Un policier jugé devant la cour criminelle pour avoir fait perdre un œil à un adolescent en 2014

La cour d'Assises de La Réunion.
A partir de ce jeudi, un policier doit répondre de faits de violences ayant entraîné une mutilation devant la cour criminelle de Saint-Denis. En février 2014, durant une nuit d'émeutes au Port, il avait tiré avec un LBD 40 sur un adolescent de 16 ans qui a perdu l'usage d'un œil.

Le procès qui s'ouvre ce jeudi 21 avril devant la cour criminelle de Saint-Denis est particulièrement sensible. Et pour cause, un policier, Philippe Payet, se retrouve à la barre pour avoir tiré sur le jeune Steve Chafi, un Portois âgé de 16 ans à l'époque, qui a perdu l'usage d'un œil à la suite des faits.

Revoir le reportage de Réunion La 1ère :

Procès : un tir de flashball criminel ou accidentel ?

Une nuit d'émeute

L'affaire remonte à la nuit du 1er au 2 de février 2014. Ce soir-là, le Port s'embrase à son tour, après le Chaudron, conduisant à des pillages de commerces et à des affrontements violents entre plusieurs groupes d'individus et des forces de l'ordre également mobilisées en nombre.

C'est dans ce contexte de violences urbaines qu'un équipage de la brigade anticriminalité intervient pour disperser un groupe de jeunes dans une petite rue se trouvant à proximité de l'avenue Rico-Carpaye. Et que l'un des quatre policiers de l'équipage fait usage de son LBD 40, un "lanceur de balle", dans des circonstances sur lesquelles les magistrats devraient longuement revenir au cours de ce procès.

Le jeune Steve a perdu un œil après avoir été pris pour cible par un policier armé d'un lanceur LBD 40, au Port, en février 2014

"Pas un tir accidentel", selon le procureur de l'époque

Face aux enquêteurs de l'IGPN, "la police des polices", Philippe Payet a expliqué avoir "tiré par réflexe" sur ce qu'il a décrit comme une "masse sombre" dans une rue mal éclairée. Mais ses explications n'avaient pas même convaincu Philippe Muller, le procureur de la République de Saint-Denis, à l'époque. Le magistrat affirmant que "ce n'était pas un tir accidentel ou un tir de dispersion".

"Est-ce que l'entendement est celui d'un tir réflexe ou d'une fuite en avant ?", s'interroge Me Jacques Hoarau, l'avocat de la partie civile.

Autre élément à charge : le tir a été porté alors que la tête de la victime se trouvait à moins d'un mètre du canon de l'arme. Une distance très insuffisante pour un tir réglementaire. Sans compter que le policier et ses collègues ont laissé laissé la victime blessée sur place, sans l'interpeller ni même appeler les secours.

Le policier soutenu par des collègues

"Les policiers ont fait comme ils pouvaient sur une nuit d'émeute avec beaucoup d'émeutiers. Ils ont géré ces évènements avec très peu d'effectifs et la BAC n'est pas une unité de maintien de l'ordre", répond l'avocat de la défense, Me Laurent-Franck Liénard.

"Il est vrai que sur le plan de la déontologie, il y a peut-être des choses à leur reprocher, mais sur le plan pénal c'est un autre débat", poursuit la robe noire parisienne.

Même ligne de défense de la part du syndicat Unité SGP Police FO et d'Edwige Guesneux, sa déléguée syndicale présente à l'audience : "Ca se passe dans un contexte très compliqué. Il y avait ce soir là des émeutiers avec des véhicules, des biens publics et privés brûlés ainsi que des jets de projectiles et nos collègues de la BAC du Port étaient en intervention pour assurer leur public".

Le témoignage attendu de la victime

Le jeune Steve est aujourd'hui présent à l'audience entouré de ses proches. Il sera amené également à témoigner et à répondre aux questions des magistrats et des avocats. Peu de temps après les faits, il avait accordé une interview à Réunion La 1ère.

"Ce soir là, j’ai mangé au fast-food. Au retour, avec un ami nous nous sommes arrêtés à proximité de la manifestation. Il y avait d’autres badauds. Quand les policiers ont tiré les lacrymogènes, tout le monde a couru, relatait-il. Je me suis engagé dans une ruelle. Je suis tombé, un policier est arrivé et m’a tiré dessus avec son flash-ball, puis m’a donné des coups de pieds, alors que j’étais blessé, allongé sur le sol".

Un jeune sans histoire

Très rapidement, l'entourage de l'adolescent, parmi lesquels les professeurs de son lycée, avait souligné qu'il s'agissait d'un élève sérieux et sans histoire de 1ère Scientifique, disposant d'ailleurs d'un casier judiciaire vierge. Pas le profil d'un délinquant, donc, a première vue.

Des quatre policiers de la BAC mis en examen dans cette affaire, il ne reste plus que le tireur, les trois autres fonctionnaires ayant finalement bénéficié d'un non-lieu au fil de la procédure. Philippe Payet encourt aujourd'hui une peine de 15 ans de prison.