Dans l'entrée de son bureau, le croissant est à peine entamé, le verre de jus d'orange tout juste siroté. Absorbé devant son écran diffusant les fréquences radio, Jean-Christophe Lebon en a oublié son petit déjeuner : "Costa Rica... Ah non Puerto Rico ! Je ne l'ai pas eu encore lui", clame-t-il en tournant la molette de son poste radio : " 172 good-luck, QSL", lance-t-il en anglais dans son micro activé via son pied. Les mains doivent être libres pour remplir le tableau des contacts établis avec les collègues radioamateurs du monde entier. "QSL ça signifie, "j'ai bien compris" dans notre jargon". Un jargon de lettres et de numéros que seuls les passionnés de radio peuvent comprendre.
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Pendant 48h, Jean-Christophe Lebon alias FP5AC "FOXTROT PAPA 5 ALPHA CHARLIE", dans son nom de radioamateur, capte sur une fréquence, des milliers de personnes du monde entier. Il participe à un concours mondial organisé par la ARRL "American Radio Relay League".
L'objectif ? Faire un maximum de contact en 48h. Russes, Yougoslaves, Polonais, Indiens; soixante, soixante-dix, quatre-vingt, le nombre d'échanges augmente au fil des minutes qui passent.
Il y a deux techniques, soit je me promène sur la fréquence pour trouver les contacts, soit je reste sur une et j'attends que les gens tombent sur moi.
Jean-Christophe Lebon, radioamateur
Une première participation pour cette édition américaine mais cet ancien professeur de technologie au lycée n'en est pas à son coup d'essai : "En 2003 j'ai gagné un concours et j'ai été champion de France".
Jean-Christophe est passionné. Il a même créé en 1982, la toute première radio privée de l'archipel, Radio Atlantique. Dans son jardin les antennes sont reines, dans son bureau la carte météo des ondes trône en maîtresse de classe, sur les murs, ce sont les cartes QSL du monde entier qui témoignent de riches échanges. Des cartes que s'échangent entre eux la radioamateurs.
À 11h du matin, le retraité avait déjà échangé avec plus de soixante-dix personnes. Loin de son record, trois milles contacts dans le week-end. Un compte qu'il espère atteindre d'ici dimanche soir.
À Saint-Pierre et Miquelon ils ne sont plus que deux licenciés de radioamateur d'après Jean-Christophe : "J'essaie de motiver les jeunes car c'est quand même une drôle d'activité mais ce n’est pas facile d'avoir la licence". Car si l'activité de notre Saint-Pierrais semble être proche du jeu, il y a de nombreux paramètres sérieux à prendre en compte. Le spectre radio est vaste, les radioamateurs trouvent leur place dans de nombreuses bandes mais doivent respecter les fréquences qui leur sont réservées.
Si les participants aux concours ont une fréquence dédiée comme la bande de dix mètres, pour celui de ce week-end, un radioamateur doit tout de même maîtriser les codes et la technique : " Hier soir il y a une radio ukrainienne qui s'est mise à diffuser sur notre fréquence. Normalement ça ne doit pas arriver mais parfois des choses peuvent interférer", explique ce passionné de radio depuis ses plus tendres années : "C'est ce que j'aime en radioamateur, on ne sait jamais sur qui on va tomber ".
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La majorité des échanges se passent en anglais mais dès que l'aficionado capte des Français, les échanges sont cordiaux : "On les reconnaît direct les Français, ils ne parlent pas très bien anglais".
Au micro, les voix d'hommes s'enchaînent. Chiffres et noms de codes plus recherchés les uns que les autres tels que Echo Delta Deux Rate ou encore Charlie Romeo Six Kilos : "Il y a beaucoup d'hommes mais peu de femmes". Sur les fréquences, les femmes peuvent être directement identifiées, là aussi encore grâce à leur code YL "Young lady" en anglais "jeune femme" en français.
En une heure, Jean-Christophe a déjà inscrit plus d'une vingtaine de nouveaux noms dans son logiciel de comptabilisation des échanges. "Les Américains commencent à se connecter, j'essaie d'avoir tous les états des Etats-Unis" raconte tout sourire le retraité. Des petits défis de chaque heure pour pimenter un concours où participe le monde entier.
En Europe, les Italiens sont fanas de radioamateurs. Puis viennent les Brésiliens et les Américains
Jean-Christophe Lebon, radioamateur
En France, d'après les chiffres de 2021 de l'ANFR (agence nationale des fréquences), le nombre de radioamateurs licenciés était de 14 317 personnes. Dans le monde ce chiffre passe à trois millions de passionnés dont une majorité au Japon.
Jean-Christophe fait partie du REF, réseau amateur français et a rejoint depuis quelques années, le réseau de Terre-Neuve : "Tous les soirs à 19h30 je vérifie une fréquence pour voir si ça marche bien car je suis affilié au réseau canadien de sécurité civile". En cas de catastrophe naturelle, la radio reste un des garde-fous pour communiquer avec le reste du monde.
Dimanche soir, Jean-Christophe pourra couper son poste, le concours sera terminé, mais rien ne semble présager que l'une de ses vingt stations radios restera éteinte très longtemps. La passion est dévorante chez le Saint-Pierrais et le goût de l'échange addictif.