Julien Morazé, un Saint-Pierrais au destin hors du commun

Julien dans son avion
Disparu le 11 octobre dernier à l’âge de 95 ans, l'histoire de Julien Morazé est relativement méconnue à Saint-Pierre et Miquelon. Il fut pourtant l’un des premiers pilotes de ligne originaire de l’archipel.

Il y a des destinées peu communes pour des personnalités hors du commun. Julien Morazé faisait assurément partie de cette classe-là. Disparu le 11 octobre dernier à Montréal à l’âge de 95 ans, il fut l'un des premiers pilotes de ligne originaire de Saint-Pierre et Miquelon.

Fils du célèbre bootlegger Henri Mozaré, Julien Morazé a connu une vie peu banale entre l'archipel et le Québec. Sa petite-fille Karina Morazé a accepté de se confier sur quelques recits contés par son grand-père au fil des ans.

Une enfance dans l’actuel musée Héritage

Enfant, Julien grandit dans la maison familiale situé dans l’actuel musée Héritage. "Son père était plutôt dur", sourit Karina. L’exigence, c’est le terme adéquat pour parler de la jeunesse du futur pilote de ligne. Pour ne pas parler de pression. "En fait, il devait être excellent à l'école. S'il n'était pas dans les trois premiers de sa classe, ça bardait à la maison."

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C'est sûrement ce qui l'a forgé. La discipline de son père et la rigueur d'un foyer où l'on ne badinait pas avec la réussite ont rendu Julien ambitieux. C'est ainsi que l'idée de devenir pilote de ligne fait son chemin dans la tête du jeune homme. Avec les discours de son père jamais bien loin. "Devenir pilote de ligne était une idée de son père dans un premier lieu. Pour lui, c'était le métier le plus prestigieux. Mon grand-père Julien a donc suivi cette idée."

Julien (à droite) avec sa soeur Mariette et son frère Robert.

Entre les jardiniers et les domestiques travaillant pour le foyer Morazé, et entouré de ses quatre frères et sœurs, Julien a une enfance relativement heureuse. Mais un évènement tragique va foncièrement toucher le jeune homme. À 13 ans, il perd son petit frère cadet Robert qui se noie dans l'étang de Savoyard. "Robert est décédé alors qu'il avait douze ans. Julien s'en est toujours voulu. En fait, il m'expliquait que son frère faisait toujours la blague de se noyer et qu'il ne l'avait pas cru..."

L'un des premiers pilotes d'avion de l'archipel

C'est donc la rage au cœur que Julien va traverser son adolescence avant de rejoindre le Québec à 18 ans. Il trouvera du soulagement dans l'exercice de son métier de pilote de ligne, conscient qu'il marque l'histoire de son territoire en devenant l'un des premiers originaire de l'archipel. Pendant douze ans, entre Québecair et son poste de pilote privé, il écume les trajets en Amérique du Nord. Avec quelques moments suspendus, comme la naissance de son fils qu'il apprend en plein vol. "Il s'était marié avec ma grand-mère qu'il a rencontrée en 1959 à Rimouski. Puis, il a appris la naissance de mon papa dans les airs. C'est le trafic aérien qui l'a prévenu."

En haut Julien dans son avion pour Quebecair. En bas dans son avion privé.

Mais aussi avec quelques frayeurs. Dont une en particulier. Alors pilote au service d'un homme politique québécois, ce dernier souhaite décoller malgré les réticences de Julien liées aux conditions météorologiques. Alors que les deux hommes survolent la petite municipalité de Nomingue, ils se retrouvent en pleine tempête de neige.

Ils se sont crashés dans la neige. L'avion s'est coupé en deux, mais il n'y a eu aucun mort, ni de blessé. Juste beaucoup de peur.

Karina Morazé

Suite à cet incident, plus rien ne sera jamais comme avant pour le Saint-Pierrais. Julien décide d'arrêter de piloter. Il ne touchera plus jamais les commandes d'un avion suite à cela selon sa petite fille Karina.

Une installation à Montréal

Après douze ans de pilotage, Julien cherche donc à se réinventer. Il trouvera son salut à Montréal. D'abord en travaillant au port, puis dans les bureaux du gouvernement canadien. "Il a pris des cours du soir à l'université de Montréal, il a beaucoup étudié." S'en suit alors une carrière de plus de 35 ans jusqu'à devenir directeur de l'emploi au sein de l'agence Immigration Canada. Pour Karina, c'est clair, il doit son ascension à l'exigence de son enfance et à l'environnement dans lequel il a grandi. "Avec son père, il avait des relations un peu conflictuelles certes, mais il lui a appris la rigueur et la discipline. Il a gardé ça jusqu'à la fin de sa vie, et il était reconnu au travail pour ces valeurs-là."

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Aussi et surtout, Karina garde de son grand-père, un charme particulier. Celui des gens qui parlait beaucoup en ne disant rien. Celui des gens qui ont vécu. Avec toujours une petite pensée pour l'archipel. "Il aimait vraiment Saint-Pierre et Miquelon. Il en gardait des souvenirs chaleureux, d'autres un peu plus douloureux, comme la mort de son petit frère. Mais il aura eu une belle vie, remplie."