En exergue du livre de Viktor Lazlo, "Les passagers du siècle", l’avant-dernier des cinq romans qu’elle a écrit depuis 2010, cette phrase de Paul Celan, écrivain roumain d’expression allemande de l’après-guerre : "J’ai gravé la topologie de la douleur dans mon cœur en faisant le voyage à l’envers et au lieu de la douleur j’ai rencontré le pardon".
Pour mieux comprendre, lisons la première phrase du roman : "Je m’appelle Fleur Desvérieux Gaudrèche. J’aurai cent ans dans quelques mois. Personne ne devrait vivre aussi vieux. Surtout quand les souvenirs choisissent cet âge inutile pour refaire surface et parasiter le temps qui reste".
Et nous voilà plongés dans la mémoire longue de l’enfance de Fleur, nous amenant sur les traces de ses ascendants - tenez vous bien - en Centrafrique, à Cuba, en Pologne puis en Martinique. Et cela sur un siècle et demi, depuis 1860, date à laquelle la jeune princesse Yamissi a été capturée, mise en esclavage puis achetée à La Havane par un commerçant juif polonais, Ephraïm Sodorowski, qui deviendra son compagnon et avec lequel elle aura Josepha, alors que les deux amants ont trente ans et une civilisation d’écart.
Une fresque impressionniste et réaliste
Nous avons là une fresque dont la toile de fond est constituée par les histoires entremêlées de familles juives et africaines. Les personnages traversent leur époque soit en refoulant leur passé, soit en l’assumant totalement. Avec un point commun : leur souffrance portée comme un fardeau sur leurs épaules de descendants de transplantés et de déportés, d’Afrique ou d’Europe centrale.
Ils ne sont que des passagers du siècle, aux destins improbables. Juifs et Africains ont en commun, nous le savons, une souffrance mémorielle éternelle générée par la barbarie raciste. Une barbarie dont la vieille et soi-disant grande Europe a du mal à se débarrasser.
Josepha dit à un moment : "Nègres ou juifs, quelle importance, nous errons tous d'une étrange et languide manière", elle dont les parents n’auraient jamais dû se rencontrer. Vikto Lazlo, de mère grenadienne et de père martiniquais, aurait-elle transposé sa propre biographie dans ce roman ? A lire pour le savoir.