30e jour de confinement, en Martinique : les boulangers sont dans le pétrin !

Les éclairs au café, mousses au chocolat ou tartelettes aux pommes ne font plus recette dans les boulangeries. Le pain continue en revanche à se vendre mais la demande a lourdement chuté. Le point sur la situation d’une profession qui pâtit de la baisse de clientèle.
C’est son pain quotidien, celui dont il se nourrit intérieurement depuis de longues années. Chaque matin, au réveil, Emmanuel Rose, boulanger au quartier Ravine Touza à Schoelcher, commence sa journée en exprimant sa foi en Dieu. Il confesse en souriant.

Je me réveille à 2h ou 4h du matin. Ça dépend du travail qu’il y a à faire. Mais dès que je me lève, je mets mes deux genoux à terre et je prie. Je suis très croyant et, malgré tout ce qu’il se passe en ce moment, j’ai un moral de fer !

Emmanuel Rose, boulanger au quartier Ravine Touza à Schoelcher
Emmanuel Rose est un boulanger qui n’a pas de boulangerie. Son fournil se trouve en bas de sa maison. C’est là que sont fabriqués les pains au beurre, hamburgers (petits pains ronds), ou pains de mie, qu’il livre, trois fois par semaine, aux petits et grands magasins. Emmanuel Rose raconte.

Il n’y a que les stations-services qu’on ne fournit pas en ce moment. Mes deux produits qui partent le plus aujourd’hui sont les pains de mie en sachet de 12 tranches et les hamburgers en sachet de 6. Je vends 300 à 400 hamburgers par semaine, alors que j’en écoulais à peine la moitié avant le confinement. Mais pour le reste, la production est au ralenti. Mon chiffre d’affaire a baissé de 60%.

Les employés d'Emmanuel Rose masqués.
Le travail d’Emmanuel Rose varie selon les jours. Hier, à bord de sa camionnette blanche, il s’est chargé de la livraison entre 3h du matin et 11h. Aujourd’hui, il a prêté main forte à ses quatre employés qui travaillent au fournil, avec masques et gants. Le fournil est le laboratoire du boulanger, le lieu où il marie la farine, la levure, le sel, et l’eau, loin des bruits de la ville. Il y a comme une magie dans ce mot du XIIIe siècle, dérivé de l’ancien français forn (four), auquel s’est ajouté le suffixe locatif il (lieu où il y a). 

Le fournil est d’ailleurs aujourd’hui le marqueur de la profession, au point que des boulangeries en ont fait carrément leur enseigne. C’est le cas d’une boutique située dans la zone artisanale et commerciale du Marin. Avant le confinement, elle vendait du pain, des pâtisseries, des sandwichs, et proposait de la restauration. Mais depuis le 17 mars, l’activité a dégringolé. Le co-gérant, Stéphane Gris, souligne.
 

En mars, nous avons perdu 30% de notre chiffre d’affaire. Pour avril, on risque d’atteindre 80%. Nous avons quasiment arrêté les pâtisseries parce que ça ne marche plus. Nos deux vendeuses et l’apprenti ont été mis en chômage partiel.
 

Stéphane Gris et son associé Thierry Chapelle du Fournil au Marin.
La boulangerie ouvre un jour sur deux. Dès 2h du matin, Stéphane Gris s’enferme dans le fournil pour faire le pain. A 6h, son associé Thierry Chapelle arrive. Il est pâtissier mais, faute de clients pour ses viennoiseries, il a changé de casquette. C’est lui qui assure désormais la vente en magasin jusqu’à la fermeture à 13h. Stéphane Gris explique.
 

On limite les jours d’ouverture pour limiter les invendus et limiter les mouvements de personnes. On a également adapté notre production. On privilégie davantage les gros pains car ils se conservent plus longtemps.
 

Stéphane Gris et Thierry Chapelle se sont connus chez leur ancien employeur commun. En 2016, ils décident de le quitter et d’ouvrir ensemble une boulangerie en rachetant, avec leurs économies, un fonds de commerce à l’entrée du Marin. Trois ans plus tard, le coronavirus leur retire le pain de la bouche. Stéphane Gris s'explique.

On a la possibilité de s’en remettre parce que tout le monde a besoin de pain. Mais, pour nous, il faudra tout recommencer. Ça fait 3 ans qu’on travaille, mon associé et moi, 90h par semaine. On commençait tout juste à sortir la tête de l’eau et on songeait à faire des investissements. Bien sûr le gouvernement a promis des aides, mais ce sont des reports de charges qu’on devra rembourser tôt ou tard. Comment ferons-nous pour reprendre l’activité ? C’est toute la question !

Comme Stéphane Gris et Thierry Chapelle, de nombreux boulangers-pâtissiers travaillent en ce moment pour une bouchée de pain aux quatre coins de l’île.
Le confinement a fait baisser la clientèle. Difficile cependant de connaître les chiffres précis. Sur les 250 boulangeries que compte la Martinique, seule une quarantaine est affiliée à la Fédération des boulangeries et boulangers-pâtissiers de la Martinique (FBBPM). Ça représente une vingtaine d’adhérents, si l’on tient compte de ceux qui possèdent plusieurs boutiques.

Le président de la Fédération, Miguel Beaujolais, est en contact téléphonique permanent avec plusieurs boulangers, qu’ils soient adhérents ou non à la FBBPM. Aujourd’hui, au vu des remontées, il dresse un tableau plutôt sombre de la profession. 

Pour ce qui est de mes adhérents, la moitié a perdu entre 40 et 50% de son chiffre d’affaires. Trois d’entre eux sont à 70%. En revanche, deux boulangers ont augmenté leur chiffre d’affaire de 30%, parce qu’ils se trouvent dans des quartiers défavorisés et parce qu’ils possèdent un coin épicerie dans la boutique. Les livraisons de pains à domicile ont également augmenté.

Miguel Beaujolais, Président des boulangers-pâtissiers de la Martinique (FBBPM)
Au trentième jour de confinement, les boulangers gagnent difficilement leur pain. Ils se lèvent toujours aussi tôt mais produisent beaucoup moins. En attendant des jours meilleurs, ils savent que la seule façon de retrouver leurs clients, au complet, demain, c’est de les voir s’appliquer la formule qui pénalise pourtant leur profession : "Rété a kay zot".