Accord de Guyane : Mikael Mancée, le visage de la révolte, fustige encore le système

Le 21 avril 2017, après trente jours de grève générale, un protocole de sortie de crise est signé en Préfecture. L’accord de Guyane « Pou Lagwiyan Dékolé » inscrit au journal officiel est encore, trois ans après, la feuille de route censée faire décoller le pays. 
 
Mikael Mancée a été l’un des leaders de cette période marquante de l’Histoire du pays. Il a été le porte-parole du collectif « 500 frères contre la délinquance », puis s’est très vite imposé comme personnage incontournable au sein du collectif « Pou Lagwiyan Dékolé ». Opposé au blocage total de la Guyane, il a décidé quelques semaines avant la fin de la grève, de claquer la porte du KPLD. Il a donc vécu de l’extérieur la fin du mouvement.
Mikael Mancée a accepté de répondre à nos questions :

Avez-vous observé des changements dans le territoire, trois ans après la signature de l’Accord de Guyane? Si oui lesquels ?
Pour moi il n’y a pas de réels changements, en tout cas dans le quotidien des Cayennais, des Guyanais, tout ce pourquoi on a milité en 2017 est encore d’actualité. S’il y a un changement, c’est plutôt dans le monde politique. Parce qu’on voit bien que ça a réveillé les consciences. De plus en plus de néophytes, de jeunes mais pas que, qui jusqu’alors ne s’étaient jamais engagés, ont pris la dimension politique de toutes les revendications. C’est selon moi le seul vrai changement initié par les mouvements sociaux de 2017. Le quotidien des Guyanais reste le même. On s’est battu contre l’insécurité, ça ne va pas mieux, l’orpaillage, l’économie, l’éducation etc… il n’y a pas de réels changements à ces niveaux-là.

Imaginiez-vous à l’époque l’ampleur de la lenteur administrative pouvant permettre de lancer les travaux des mesures actées ?
Bien sûr. Au-delà de la lenteur administrative, la plupart des revendications concernaient des infrastructures, tout cela ne sort pas de terre du jour au lendemain. Et c’est bien ce que j’avais dit en matière de sécurité, que l’on réclamait à l’époque : un tribunal, un commissariat digne de ce nom, une prison qui fonctionne avec des alternatives à l’incarcération etc. Toutes ces choses sont encore des infrastructures, et ça prend du temps à sortir de terre. Aucune solution n’a été proposée ni même pensée. Je le répétais là aussi à l’époque. Ce n’est pas en bloquant plus longtemps ou en punissant le peuple pour lequel on se bat, que cela va faire sortir de terre plus vite les infrastructures demandées. Aujourd’hui on nous parle beaucoup de chiffres, mais parmi les infrastructures actées, il n’y en a pas une sortie de terre. On a fait la pose d’une première pierre pour un établissement et puis après? Tous ces exemples mettent aussi la lumière sur les carences de nos politiques. Les solutions d’urgence ne sont pas réfléchies. La situation d’urgence de 2017 n’a pas changé et on ne se pose pas de questions pour pouvoir traiter le problème. J’avais pris l’exemple à l’époque de l’incendie. On nous propose une caserne mais entre temps, comment circonscrire le feu?

Gardez-vous une certaine rancœur ?
Une rancœur pas rapport à quoi ? Je ne pense pas avoir de la rancœur, mais je suis révolté de voir comment un mouvement populaire a pu être gangréné par des parasites. Qu’ils veulent l’entendre ou non, il y a des parasites qui se sont greffés à ce mouvement et qui ont fait en sorte que les choses finissent mal. Pour moi ce n’est pas la meilleure issue, ça aurait pu se terminer mieux que cela. Je ne pense pas que cela soit de la rancœur mais je suis révolté de voir que des Guyanais, qui se disent prêts à s’investir pour l’intérêt commun, veuillent briller au lieu de faire briller le pays. J’ai toujours gardé le même cap, avant même les mouvements sociaux, j’ai toujours été Mikael Mancée, je n’ai pas attendu les mouvements sociaux pour montrer ce que je suis et faire ce que je fais. Simplement j’ai pris la dimension de ce qu’il y a à faire, et je suis toujours motivé, autant en matière de sécurité, que dans les autres domaines que l’on a pu aborder. Ces mouvements sociaux ont permis de mettre en exergue l’ampleur des problèmes auxquels nous avons à faire face. Ceux qui veulent faire à leur sauce font à leur sauce. Moi je continue de faire ce que je pense être bon.

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21 avril 2017, 21 avril 2020, et après…


La justice a souhaité votre mise en examen dans une affaire de violences, conséquence de certains débordements ayant entrainé des faits de coups et blessures sur un fonctionnaire de la force publique devant la Préfecture. Où en est l’instruction et êtes-vous inquiet ?
Je n’ai pas été mise en examen, le procureur avait souhaité cela. J’ai en revanche été auditionné par le juge d’instruction, qui d’après les éléments en sa possession ne m’a pas mis en examen. Il poursuit son instruction, nous sommes dans l’attente de sa décision. Maintenant est-ce que je suis inquiet : pas du tout. Monsieur Le Procureur avait demandé ma mise en examen, mais il sait très bien que je n’ai rien à me reprocher et je ne suis pas l’auteur des faits que l’on me reproche. Il n’a aucun élément prouvant ce dont il m’accuse. Des vidéos l’attestent, je n’ai aucune raison d’être inquiet. Je vois simplement que lorsque la Justice a envie de se bouger, elle peut le faire. Comme je l’ai dit au juge d’instruction, ce qui ne lui a pas plu. Je pense qu’il y a beaucoup plus important à faire dans le pays que d’ouvrir une enquête contre moi alors que ce n’est pas moi le problème dans la société Guyanaise. C’est de l’hypocrisie à mon sens. J’attends sa décision, mais je ne suis aucunement inquiet.

Dénoncez-vous toujours une vendetta à votre encontre ?
Disons que certains préféreraient que je me taise à jamais (rires) je suis navré pour eux, ce n’est pas près d’arriver.

Vous dénonciez aussi à l’époque le rapport qu’entretenait l’Etat avec les territoires d’outre-mer, avez-vous observé une évolution ?
Pas du tout, les outre-mer restent toujours les outre-mer. Les derniers de la classe, ceux qui sont loin de l’hexagone. Là aussi, on prendra le temps d’exposer le pourquoi de cette situation, car là aussi on ne peut pas attendre de l’Etat qu’il sache mieux que nous ce qui est bon pour nous. Et c’est encore ce que je disais pendant les mouvements sociaux. Si la situation du pays est telle qu’elle est, c’est parce que nos élus ont aussi une part de responsabilité. On ne peut pas attendre que des hauts fonctionnaires venus de l’hexagone puissent nous dire ce qui ne va pas en Guyane. C’est le rôle de nos élus de les connecter à la réalité du territoire. Manifestement ça n’a pas été fait et ce jusqu’à maintenant. Il n’y a qu’à voir en matière de sécurité. C’était aux maires de faire les remontées inhérentes à leur territoire auprès du Préfet ou bien encore du directeur départemental de la sécurité publique. C’est ensuite le rôle des hauts fonctionnaires de mettre en place les mesures avec les moyens qu’ils ont. Les problèmes de Saint-Georges de l’Oyapock ne sont pas ceux de Cayenne. A un moment, il faut avoir le courage politique de dire ce qu’il y a et exiger des solutions. Avec les 500 Frères, durant les mouvements sociaux, nous sommes allés d’Est en Ouest, et dans chaque commune récupérer les revendications qui pouvaient être avancées. Quand les mêmes problèmes existent depuis 20 ans, depuis 30 ans et que jamais de solutions pérennes n’ont été apportées, c’est qu’il y a un problème au niveau des élus locaux. Mais on y reviendra très bientôt.

Tous les leaders des mouvements sociaux se sont lancés en politique, pour exemple vous étiez dans la course au fauteuil de maire dans la ville capitale. Est-ce la voie obligatoire pour faire bouger les choses ?
Clairement, nous sommes dans la République. Nous n’avons pas choisi mais c’est comme ça. Tous les problèmes liés au cadre de vie sont des problèmes qui ne peuvent trouver que des solutions politiques. En tout cas si on veut trouver des solutions légales et les moins violentes possibles. Je ne m’en suis jamais caché, quand je me suis engagé avec les 500 Frères, le messages était clair. C’est soit l’Etat trouve les solutions pour améliorer la sécurité des Guyanais, soit on trouvera des solutions autres que celles que propose la République. Il s’avère que les solutions les plus violentes ne sont pas les plus adéquates, les plus saines si on veut pouvoir construire le pays sans mettre le territoire à feu et à sang. Dans ce cas la seule solution qui s’offre à nous, c’est la solution politique. C’est d’avoir des élus qui ne soient pas des élus de la République comme ceux que nous avons connus depuis maintenant, mais des élus du peuple. Aucun élu, et ça on en débattra très bien, aucun d’entre eux n’a défendu les intérêts du peuple. Je le répète ici. C’est à l’élu de connecter les hauts fonctionnaires à ce qui se passe ici. On entend tout le temps que telle ou telle chose c’est du ressort du recteur, du préfet ou de tel service. Comment tous ces fonctionnaires de passage peuvent être au fait des problèmes que nous rencontrons et y apporter des solutions? Il aurait fallu que nos élus connectent ces personnes à leur population. Nos élus ne connaissent leur population que lorsqu’il s’agit de se faire élire. Comment peut-on accepter que depuis 20 ans à Cayenne, les mêmes personnes continuent de vendre de la drogue, au vu et au su de tous? C’est que l’élu n’est pas assez connecté pour le dire avec fermeté aux autorités qui doivent prendre leurs responsabilités. Pour apporter une précision à votre question, seulement certains leaders se sont lancés en politique. En ce qui me concerne, ce serait seulement un outil pour poursuivre ce qui a été commencé, qui n'est toujours pour l’heure qu’un commencement. On a couru dans tous les sens sans jamais faire un seul pas. Il faut que l’on en soit conscient. Il y a même des choses qui se sont dégradées. Les squats ont continué de proliférer avec tous les problèmes qu’ils engendrent, l’insécurité reste la même si on voulait nous parler de chiffres. Je l’avais dit aux ministres ainsi qu’aux hauts fonctionnaires venus en 2017 : la Guyane je la vis, vous, vous la fréquentez. Tout ce que vous pourrez me raconter en matière de chiffres ne me concerne pas et ne m’intéresse pas.
Pour l’heure, ces leaders de mars et avril ont tous perdu, y compris vous, ont perdu en leur nom, vous sentez-vous toujours légitime pour parler au nom de tous ?
Concernant les municipales, on a mené une campagne exclusivement 2.0. Nous n’avons par exemple pas fait de meetings, de rencontres, de porte à porte par rapport à la situation sanitaire du pays.  Nous avons presque exclusivement agi via les réseaux sociaux, si bien que quelques jours avant les élections, des personnes ne savaient même pas que nous y allions. C’est d’ailleurs en ce sens que nous avons déposé un recours. Pour parler élection, nous aurions aimé savoir ce que cela aurait donné de mener une vraie campagne : que l’on fasse passer nos idées, que l’on puisse les défendre et les présenter.
Ensuite est-ce que je me sens toujours légitime pour parler au nom de tous ? Je n’ai jamais cherché cette légitimité, j’ai toujours dit ce qui me semblait bon. D’ailleurs la plupart de ceux qui cherchent la légitimité pour parler au nom de tous, cherchent à plaire à tous. Ceux qui entendent mon discours tant mieux, ceux qui ne s’y reconnaissent pas, à nous de les convaincre. On sait que par rapport aux mouvements sociaux, mon geste de quitter le collectif n’a pas été bien perçu par certains, et pour d’autres, j’aurai beau leur dire que la mer est salée ils me diront non parce que c’est moi qui le dis. Si ces personnes n’arrivent pas à entendre ce que j’ai à dire je ne vais pas me battre avec elles. Plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui, cela ne m’intéresse pas.


Quelle image de ce mouvement social est encore gravée dans votre mémoire, trois ans après ?
Je dirais la marche du 28 mars, cela a quand même été impressionnant de voir des milliers de personnes réunies pour se faire entendre. Revoir les images d’un pan du cortège sur la place Léopold Héder alors que la fin de celui-ci était encore au boulevard Mandela : ça a vraiment été impressionnant. Voir également toutes les communautés réunies, car toutes avaient compris que ce qui était réclamé l'était pour tous, c’était la Guyane. C’est ce qui me marque encore à présent. L’esprit de ce mouvement s’est un peu éteint, l’union Guyanaise pour une cause commune s’est évaporée avec des communautés aujourd’hui pointées du doigt, c’est le point négatif. La plus belle chose durant ces mouvements c’est d’avoir réussi à réunir tous les Guyanais, peu importe leur origine, car ceux qui subissent les disfonctionnements ce sont tous les Guyanais, toutes origines confondues. J’espère que l’on arrivera un jour à raviver cette flamme. C’est ensemble que nous formons un peuple et non chacun de son coté en se montrant du doigt.


Qu’était devenu Mikael Mancée après mars et avril ?

Après sa sortie amère en 2017 du collectif « Pou Lagwiyan Décolé », Mikael Mancée avait un temps été en retrait de toute activité associative. En profond désaccord avec Olivier Goudet, l’actuel président de l’association « 500 frères contre la délinquance », il avait courant 2017 participé à la création d’une nouvelle association avec José Achille, autre leader des mouvements sociaux : l’association les « Grands frères », bien que très discrète aujourd’hui, est toujours propulsée par ce dernier.
Comme pour exorciser les non-dits, Mikael Mancée, amoureux de la chanson avait couché sur papier ses sentiments et harmonisé le tout en musique et en image. Regardez :
Cette période musicale était les prémices d’un tout autre engagement. Mikael Mancée a très vite affiché ses prétentions politiques en organisant notamment des conférences. Dans ces rassemblements il avait pour ambition de partager sa vision du développement du territoire.
La suite, on l'a connaît.