Agriculture : l'abattis, un socle commun aux divers peuples de la Guyane

À Camopi, le Parc Amazonien de Guyane a organisé aujourd'hui la 3e édition de la Journée de l’abattis. Une pratique agricole essentielle pour la sécurité alimentaire des communes isolées du territoire. Elle génère aussi des revenus d'appoint et contribue à la transmission des savoirs traditionnels.

Igname, patate douce, manioc, ou dachine. Des légumes péyi souvent cultivés sur un abattis, la version guyanaise du traditionnel potager. Un savoir-faire souvent transmis par les femmes et qui assure la sécurité alimentaire de nombreuses familles, en particulier dans les communes isolées de l’intérieur, des vallées des fleuves Maroni et Oyapock éloignées des centres-villes et des commerces.

" J'ai commencé à cultiver sur un abattis avec ma maman. Depuis 5 ans, je fais mon propre abattis car dés que l'on a une famille, il faut faire son propre abattis. C'est la coutume. On prend ainsi le relais de nos aïeuls. " 

Maria MONTERA, salariée du chantier d'insertion KA'AGRICULTURE à Camopi


L'abattis est encore aujourd'hui la forme d’agriculture la plus pratiquée en Guyane : elle représente 3 exploitations agricoles sur 4 (c’est-à-dire 4 700 exploitations sur plus de 6 300 au total en 2014), mais seulement 15 000 ha environ sur une surface agricole utile totale de près de 34 000 ha selon les chiffres de 2019 de la Direction de l’environnement, de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (DEAAF) de Guyane.

A l'image du terrain de Maria Montera à Camopi, la taille moyenne d'un abattis est d'un hectare pour débuter. " Aprés, nous agrandissons l'abattis au fur et à mesure, pour avoir plus de choses à planter, en fonction des cultures que l'on veut faire", indique la jeune femme. Tout les deux ou trois jours, Maria se rend sur son terrain situé à proximité du village, souvent accompagnée par ses enfants et les autres membres de la famille venus pour l'aider.

Une répartition équitable des tâches entre les femmes et les hommes

Si les hommes assurent le défrichage, le brûlis et le cerclage, les femmes prennent le relais et assument ensuite la plantation, puis la récolte et parfois la transformation, par exemple pour le manioc en semoule de couac ou galettes. Elles sont ainsi les garantes de ce savoir transmis de façon empirique.

" Aprés le brûlis, on attend deux semaines que la terre refroidisse et après on plante en commençant par les ignames. Cela pousse bien après le brûlis. " 

Maria MONTERA, salariée du chantier d'insertion KA'AGRICULTURE à Camopi


Adaptée au climat tropical, la pratique de l'abattis repose sur l’association d’espèces végétales différentes, la limitation des pesticides et une jachère longue.

Le potentiel agronomique du sol est optimisé avec moins de risques de maladies et de parasites. Manioc, bananes, tubercules (dachines, patates douces, ignames), maïs, ananas sont les principales plantes cultivées. Depuis quelques années, des espèces maraîchères font leur apparition sur les parcelles : tomates, melons, concombres piquants, pastèques.

Une agriculture en pleine mutation

En Guyane, l’agriculture sur abattis-brulis représente surtout une activité domestique et culturelle pour plusieurs peuples autochtones (amérindiens, bushiningués, créoles..), mais elle assure aussi l’auto-subsistance des populations des territoires isolés. s

"C'est l'abattis qui me permets de vivre à Camopi, sinon nous n'aurions pas de fruits et de légumes. Avec ma production, je peux nourrir une trentaine de personnes. Je ne vends rien, c'est uniquement pour mes proches."

Maria MONTERA, salariée du chantier d'insertion KA'AGRICULTURE à Camopi


La production de l'abattis peut donc aussi être commercialisée et devenir une source de revenus complémentaires, voire une activité professionnelle à plein temps. Un premier pas vers  le métier d'agriculteur avec un besoin de se former, une diversification de la pratique agricole qui se mécanise.

Les salariés du chantier d'insertion de Camopi disposent d'engins agricoles mis à leur disposition.

A ce titre, l'association Liane Guyane a mis en place il y a deux ans, à Camopi un chantier d'insertion, KA'AGRICULTURE, qui compte aujourd'hui 14 salariés. 80 % de leur temps de travail est consacré à la culture de la parcelle en abattis et 20 % à des ateliers théoriques.

" Sur les parcelles en abattis , nous avons installé de l'irrigation alors que traditionnellement, il n'y en pas. De la même façon, nous avons des motoculteurs. Nous travaillons à la main mais nous utilisons les machines, en particulier pour faire des buttes."

Justin TARTAR, encadrant technique du chantier d'Insertion KA'AGRICULTURE


L'objectif est de former ces habitants et de les accompagner dans la réalisation de projets dans le domaine agricole, comme celui de Maria Montera, mais aussi dans des actions touristiques ou commerciales. 

"Nous apportons de l'emploi dans la commune et en plus nous les aidons à monter des projets, des entreprises ou à devenir "embauchages" à Camopi pour la mairie, le dispensaire de soins, l'école, le collège, le Parc... Il faut des profils un peu d'entrepreneurs qui demandent beaucoup de connaissances. Certains ont aussi des idées, des envies, des initiatives singulières comme ouvrir une boulangerie, un restaurant ou encore de devenir mécanicien."

Justin TARTAR, encadrant technique du chantier d'Insertion KA'AGRICULTURE


Une formation qui peut déboucher sur un emploi à l'exemple de Fernando Yakali, un ancien salarié en insertion aujourd'hui embauché en CDI en tant qu'assistant technique d'insertion. La parcelle d'abattis devenant lieu de vie, de sédentarisation et d'insertion.

Confortée par ces évolutions, la Journée de l’Abattis signe son grand retour à Camopi avec la troisième édition organisée aujourd'hui par le Parc Amazonien de Guyane. Une matinée rythmée par divers rendez-vous : la vente de produits agricoles et artisanaux, les visites des parcelles agricoles du chantier d'insertion avec les scolaires les scolaires et les habitants, des concours de land art et de la tenue traditionnelle.

Sources : Direction de l’environnement, de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (DEAAF) de Guyane