Dans ce carnet de route, nous faisons un point historique et actuel sur Cap Haïtien, cette ville au nord d'Haiti. L'occasion de parler notamment du roi Christophe que l'illustre Aimé Césaire a évoqué dans sa pièce et de ce qu'est devenu son ex royaume.
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Dans le véhicule qui promène le visiteur de passage dans les rues de Cap haïtien, ça klaxonne à tout va. Ici, pour se frayer un chemin, il faut s'imposer, se faufiler, hurler aussi parfois, vitre baissée, contre les deux-roues qui prennent toute la place.
D'ailleurs on ne voit qu'eux : les motos taxis pétaradent en tous sens. Ils emportent, sur leur siège, des cabris, des chaises et bien évidemment des passagers, jusqu'à cinq pour certains, serrés, sans casque, les uns contre les autres. Les accidents sont, dit-on, fréquents et les blessés transportés le plus souvent à l'hôpital à… moto.
Drôle d'atmosphère que dégage cette ville, située au nord d’Haïti, autrefois florissante et désormais bruyante du matin au soir. À l’époque de Saint-Domingue, le Cap français, comme on l’appelait alors, est la capitale de la colonie où tout se passe et tout se décide. En novembre 1803, Jean-Jacques Dessalines écrase l’armée française lors de la bataille de Vertières et proclame l’indépendance du pays le 1er janvier suivant. Le Cap Français est renommé Cap Haïtien, puis Cap Henri, à l’avènement du président Henri Christophe qui se fera couronner en 1811. "Je demande trop aux hommes mais pas assez aux nègres", s’exclame le monarque dans la célèbre pièce que lui a consacré Aimé Césaire.
Sauf que la tragédie du roi Christophe est avant tout celle de ses sujets, taillables et corvéables à merci. À marche forcée, il leur fait construire un palais de 365 portes et une forteresse équipée de 200 canons en haut d’une montagne quasi inaccessible. Christophe craint le retour des Français et veut se donner les moyens de les repousser en cas d’invasion. Mais à quel prix ? Des milliers d’hommes sont réquisitionnés pour monter les énormes blocs de pierre au sommet. Beaucoup mourront sous les coups. Christophe connaîtra une fin tragique. Diminué par un accident vasculaire cérébral et contesté par son armée, il se suicide en 1820. Le Cap Henri redevient Cap Haïtien. Ses habitants peuvent à nouveau vaquer librement à leurs occupations.
Mais le 7 mai 1842, c’est le drame : la ville est détruite par un séisme. "Elle est totalement en ruine et ce qui n’a pas été brûlé est pillé. En effet, dès le premier jour, apparurent des bandits de l’intérieur du pays qui dérobèrent tout ce qu’ils purent trouver, puisque l’ordre militaire avait disparu", raconte le négociant allemand Peter Gottlieb.
La moitié des 9.000 habitants périt dans la catastrophe. Les rescapés fuient vers les localités voisines. Mais un an plus tard, bravant leur peur, beaucoup d’entre eux reviennent. Le Cap est reconstruit. Le commerce reprend. Les échanges avec l’Europe et l’Amérique du Nord repartent à la hausse. En 1886, les navires, qui se succèdent dans le port, apportent de la farine, du savon, des chaussures, des vêtements, des draps, de la quincaillerie, et des vins. Ils repartent chargés de café, de cacao, de bois, de coton, de sucre, d’écailles de tortue, et de racines de vétiver, une plante qui produit une essence recherchée dans la fabrication des parfums.
Un siècle plus tard, Cap haïtien n'est plus que l'ombre de son glorieux passé. Des enfants mendient aux abords de l'aéroport et des restaurants. Les rues sont obstruées de monticules de détritus laissés au beau milieu, faute de service de voirie régulier. Les constructions sont anarchiques, avec ici et là des cases en tôles rouillées et des bidonvilles. "L'Etat a démissionné", se désole un passant. "Bay Ayiti yon chans", lui fait écho un tag, inscrit en grosses lettres rouges sur le mur derrière lui, à l'intention des dirigeants du pays. En ligne de mire, le président haïtien. "Aba Jovenel volé", lit-on justement sur deux murs, plus loin, en plus gros caractères encore.
Les auteurs de ces tags accusent Jovenel Moïse d'avoir trempé dans le scandale PetroCaribe. Une de ses entreprises vient d’ailleurs d'être épinglée dans un rapport de la Cour des comptes haïtienne qui souligne que deux milliards de dollars, prêtés par le Venezuela entre 2008 et 2016, ont été, au mieux mal gérés et au pire détournés. Au Cap, la misère n'a rien enlevé à la capacité de révolte de la population ni bridée sa joie de vivre, illustrée par le compas qui résonne aux quatre coins de la ville et par les marchandes qui rient aux éclats devant des étals bien garnis : œufs vendus au détail, noix de coco, bananes...
Un commerçant a fait inscrire sur le fronton de son "dépôt de colas en gros et détail" ces quelques mots : "la foi en Christ". Il n'est pas le seul dans cette ville de plus de 250.000 à afficher sur leurs boutiques ou sur leurs cars des slogans du genre "le sang de Jésus" ou "merci Seigneur".
En vérité, entre religion, mémoire, grogne et impatience, les habitants de Cap haïtien ne désespèrent pas de voir un jour leur ville retrouver sa grandeur passée, un peu comme une résurrection qui ferait de ce joli coin de paradis pour touristes, bordé par une mer bleu turquoise, un joli coin de paradis pour eux aussi.
Drôle d'atmosphère que dégage cette ville, située au nord d’Haïti, autrefois florissante et désormais bruyante du matin au soir. À l’époque de Saint-Domingue, le Cap français, comme on l’appelait alors, est la capitale de la colonie où tout se passe et tout se décide. En novembre 1803, Jean-Jacques Dessalines écrase l’armée française lors de la bataille de Vertières et proclame l’indépendance du pays le 1er janvier suivant. Le Cap Français est renommé Cap Haïtien, puis Cap Henri, à l’avènement du président Henri Christophe qui se fera couronner en 1811. "Je demande trop aux hommes mais pas assez aux nègres", s’exclame le monarque dans la célèbre pièce que lui a consacré Aimé Césaire.
Sauf que la tragédie du roi Christophe est avant tout celle de ses sujets, taillables et corvéables à merci. À marche forcée, il leur fait construire un palais de 365 portes et une forteresse équipée de 200 canons en haut d’une montagne quasi inaccessible. Christophe craint le retour des Français et veut se donner les moyens de les repousser en cas d’invasion. Mais à quel prix ? Des milliers d’hommes sont réquisitionnés pour monter les énormes blocs de pierre au sommet. Beaucoup mourront sous les coups. Christophe connaîtra une fin tragique. Diminué par un accident vasculaire cérébral et contesté par son armée, il se suicide en 1820. Le Cap Henri redevient Cap Haïtien. Ses habitants peuvent à nouveau vaquer librement à leurs occupations.
Le Cap est détruit puis reconstruit avant de sombrer encore...
Mais le 7 mai 1842, c’est le drame : la ville est détruite par un séisme. "Elle est totalement en ruine et ce qui n’a pas été brûlé est pillé. En effet, dès le premier jour, apparurent des bandits de l’intérieur du pays qui dérobèrent tout ce qu’ils purent trouver, puisque l’ordre militaire avait disparu", raconte le négociant allemand Peter Gottlieb.
La moitié des 9.000 habitants périt dans la catastrophe. Les rescapés fuient vers les localités voisines. Mais un an plus tard, bravant leur peur, beaucoup d’entre eux reviennent. Le Cap est reconstruit. Le commerce reprend. Les échanges avec l’Europe et l’Amérique du Nord repartent à la hausse. En 1886, les navires, qui se succèdent dans le port, apportent de la farine, du savon, des chaussures, des vêtements, des draps, de la quincaillerie, et des vins. Ils repartent chargés de café, de cacao, de bois, de coton, de sucre, d’écailles de tortue, et de racines de vétiver, une plante qui produit une essence recherchée dans la fabrication des parfums.
Un siècle plus tard, Cap haïtien n'est plus que l'ombre de son glorieux passé. Des enfants mendient aux abords de l'aéroport et des restaurants. Les rues sont obstruées de monticules de détritus laissés au beau milieu, faute de service de voirie régulier. Les constructions sont anarchiques, avec ici et là des cases en tôles rouillées et des bidonvilles. "L'Etat a démissionné", se désole un passant. "Bay Ayiti yon chans", lui fait écho un tag, inscrit en grosses lettres rouges sur le mur derrière lui, à l'intention des dirigeants du pays. En ligne de mire, le président haïtien. "Aba Jovenel volé", lit-on justement sur deux murs, plus loin, en plus gros caractères encore.
Les auteurs de ces tags accusent Jovenel Moïse d'avoir trempé dans le scandale PetroCaribe. Une de ses entreprises vient d’ailleurs d'être épinglée dans un rapport de la Cour des comptes haïtienne qui souligne que deux milliards de dollars, prêtés par le Venezuela entre 2008 et 2016, ont été, au mieux mal gérés et au pire détournés. Au Cap, la misère n'a rien enlevé à la capacité de révolte de la population ni bridée sa joie de vivre, illustrée par le compas qui résonne aux quatre coins de la ville et par les marchandes qui rient aux éclats devant des étals bien garnis : œufs vendus au détail, noix de coco, bananes...
Un commerçant a fait inscrire sur le fronton de son "dépôt de colas en gros et détail" ces quelques mots : "la foi en Christ". Il n'est pas le seul dans cette ville de plus de 250.000 à afficher sur leurs boutiques ou sur leurs cars des slogans du genre "le sang de Jésus" ou "merci Seigneur".
En vérité, entre religion, mémoire, grogne et impatience, les habitants de Cap haïtien ne désespèrent pas de voir un jour leur ville retrouver sa grandeur passée, un peu comme une résurrection qui ferait de ce joli coin de paradis pour touristes, bordé par une mer bleu turquoise, un joli coin de paradis pour eux aussi.