Elle date du 5 août 2021. La loi obligeant l’ensemble du personnel soignant en France, et plus généralement toute personne travaillant en milieu hospitalier, à se faire vacciner contre la Covid 19 pour pouvoir continuer à exercer leur profession, avait provoqué de nombreuses tensions sur le territoire national.
Des tensions exacerbées en Outremer, notamment aux Antilles et en Guyane où l’on ne compte plus les carences dans le secteur de la santé. Syndicats, associations, collectifs mais aussi de simples anonymes étaient d’ailleurs descendus dans les rues à cette époque pour manifester leur colère contre cette mesure qu’ils estimaient comme étant particulièrement injuste.
En Guyane, beaucoup s’étaient rassemblés sous la bannière de la Caravane de la liberté pour demander l’abrogation, entre autres, de cette loi.
Un an et demi plus tard, le sujet revient sur la table avec cette annonce de la Haute Autorité de Santé. Ce lundi 20 février 2023, l’instance a publié un projet d’avis dans lequel elle indique :
« Dans le contexte actuel, l’obligation vaccinale contre la Covid-19 pourrait être levée pour tous les professionnels visés par la loi du 5 août 2021 », avant de nuancer « Cette vaccination devrait toutefois rester fortement recommandée, en particulier pour les professions pour lesquelles une recommandation de vaccination est actuellement en vigueur pour la grippe, dont les étudiants et professionnels des secteurs sanitaire et médicosocial (exerçant en établissements ou libéraux) et les étudiants et professionnels en contact étroit et répété avec de jeunes enfants. »
Si cet avis était suivi par le gouvernement, il pourrait amener vers une réintégration des soignants suspendus.
Une bonne nouvelle pour la présidente de l’URPS Infirmiers Libéraux, Mylène Mathieu, qui a longtemps réclamé, aux côtés d'autres leaders syndicaux et associatifs, cette mesure.
La France est je crois, le dernier pays en Europe à avoir encore une telle loi en vigueur et à ne pas avoir réintégré ses soignants alors que l’on connait ses besoins en personnels, surtout en Guyane. Il était temps.
Un avis encore incertain et qui reste soumis à l'évolution de la situation sanitaire
Pour établir son projet de recommandation, la HAS a pris en compte plusieurs éléments comme les recommandations et obligations vaccinales à l'étranger, les caractéristiques de la maladie, la couverture vaccinale ou encore les données de sécurité des vaccins.
Mais si elle penche dans une certaine direction, l’instance ne remet pas en cause pour autant ses avis passés, ni l'efficacité de la vaccination contre la Covid 19. Elle ne repousse pas non plus l’éventualité d’un rétropédalage.
La HAS précise que cette levée de l’obligation ne constitue en rien une remise en question de l'efficacité, de la pertinence et de la légitimité de ses précédents avis et recommandations rendus dans un contexte sanitaire différent. Elle précise que cette préconisation de levée de l’obligation vaccinale ne signe aucunement la fin de l’épidémie, qui est toujours en cours et précise qu’elle pourra être revue en cas de modification défavorable de l’épidémiologie.
Haute Autorité de Santé
Elle insiste par ailleurs : « La levée d'une obligation vaccinale en milieu professionnel ne doit pas être considérée comme une remise en question de l'intérêt de cette vaccination que ce soit en milieu professionnel ou en population générale » et rappelle également que « le maintien des gestes barrières, et en particulier le port correct du masque restent des mesures indispensables pour limiter la transmission, indépendamment de la vaccination».
Pour autant, il ne s'agit pas d'un avis définitif. La HAS réserve effectivement son avis final pour la fin mars. Au regard de « l'importance sociétale » du sujet, l'institution va mener pendant un mois une consultation publique.
"Le mal est fait"
Malgré tout, Mylène Mathieu ne cache pas son amertume.
Découragés, dégoûtés, beaucoup de soignants ont dû quitté leur profession pour faire autre chose. Ils ont eu l’impression d’être jetés comme des kleenex. Je pense aussi à ces nombreux étudiants des métiers de la santé qui ont arrêté leur parcours de formation à cause de cette loi. Et puis il y a aussi ceux qui se sont fait vaccinés alors qu’ils ne le voulaient pas et qui se disent tout ça pour ça. C’est vraiment du gâchis. On va prendre du temps pour s’en remettre, pour convaincre des gens de se lancer à nouveau dans des métiers en lien avec la santé.
Mylène Mathieu - présidente de l'URPS Infirmiers Libéraux
Amère également car celle qui a été l'une des figures de proue du mouvement anti-vaccination obligatoire des soignants, a chèrement payé ses prises de position.
Mylène Mathieu aurait en effet fait l'objet d'une plainte portée par l'ARS Guyane et écopé d'un blâme de l’Ordre des Infirmiers.
Malgré tout, elle voit plus loin : « Nous avons toujours su que le temps nous donnerait raison. Désormais il faut commencer à penser à deux choses très importantes : l’indemnisation des soignants suspendus et leur réhabilitation ».
Un sujet débattu sur le plan politique
Plusieurs forces d'opposition - à gauche, la France insoumise (LFI), à l'extrême droite, le Rassemblement national (RN) - réclament la réintégration des soignants non vaccinés. Le gouvernement, ainsi que de nombreux professionnels de santé, y sont opposés pour des raisons médicales et déontologiques.
L'exécutif a toutefois décidé de s'en remettre à la HAS qu'il a plus globalement saisie sur l'ensemble des vaccins obligatoires chez les soignants. Ils comprennent aussi ceux contre l'hépatite B, ainsi que la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite (réunis dans le vaccin DTP).
Pour le vaccin DTP, la HAS penche pour lever l'obligation à l'exception des soignants de Mayotte, très exposée à la diphtérie. Pour l'hépatite B, elle se prononce pour un maintien partiel de l'obligation, ciblée sur les soignants exposés à un risque élevé de contamination. C'est notamment le cas des médecins exposés au sang, comme les chirurgiens.
La HAS compte par ailleurs se prononcer ultérieurement sur un autre volet : les vaccins qui ne sont que recommandés aux soignants, comme la grippe ou la rougeole.
Ses travaux sont menés en parallèle de ceux du Conseil consultatif national d’Ethique (CCNE) qui doit également se prononcer, à la demande du gouvernement, sur la situation des soignants suspendus.