Ma mère est née à Londres. Mon grand-père vient de Saint-Kitts et Nevis, d’où ce nom anglophone.
David Walters est musicien et l’auteur de trois albums majeurs. Il a déjà aussi vécu trois vies en une.
Sa trajectoire est déjà celle d’un vieux briscard. Un vieux loup de mer qui a écumé tous les océans ou plutôt toutes les scènes musicales du globe.
Assis dans un bar parisien en ce début d’automne, l’homme aux locks hérissées irradie sous les derniers rayons de soleil d’un été finissant. Sa vie, il vous la livre par bribes. À vous de reconstituer toutes les pièces du puzzle d’une existence qui n’est jamais qu’un condensé des Antilles, ce fameux Tout-monde d’Édouard Glissant qu’il convoque pour vous expliquer son art.
Sa vie est placée sous le signe du voyage bien avant sa naissance. Une mère Martiniquaise née en Angleterre. Lui naît à Paris puis s’installe à Marseille, il y a une vingtaine d’années. Entretemps, il a découvert les Antilles.
Enfant, ses premiers contacts avec la Martinique sont placés sous le signe de l’incompréhension, lors de vacances au pays.
Petit, j’ai souffert non pas de racisme mais, de xénophobie. Le seul endroit où j’ai connu cela, c’était aux Antilles parce que j’ai grandi un France, j’étais un métro.
Doué pour le sport
Visiblement, j’avais des qualités puisqu’un an après mes débuts, j’étais troisième performance française en saut en hauteur. J’en ai fait deux ans avant de me diriger vers le 100 mètres et le saut en longueur puisque je courais vite. J’ai réussi 7,50 mètres, tout proche des minimas pour les Championnats d’Europe.
Le petit garçon se construit alors loin de son île d’origine…sur les stades d’athlétisme. C’est sa première vie, celle d’un adolescent doué pour le sport.
Ce touche-à-tout qui a tâté du rugby, du football, du tennis, est repéré par un entraîneur lors d’un cross qu’il termine au bord du vomissement du côté de Toulouse. Il a 13 ans. L’aventure durera jusqu’à ses 21 ans.
Les premiers résultats arrivent dès qu’il découvre les stades. Un champion est né. Comme dit la chanson, la vi atis’ rèd (la vie d’artiste est difficile), mais la vie de champion l’est tout autant.
Puisque j’étais en sports-études et que je n’avais pas beaucoup d’argent, je travaillais dans les bars le soir pour mon argent de poche. Je rentrais à 2 heures et demi et ensuite, j’enchaînais les cours à 8 heures et à la fin, ton organisme ne tient pas.
Avec cinq entraînements par semaine, j’ai subi des fractures de fatigue. Je ne m’en suis jamais remis. Alors, j’ai décidé d’entrer dans la vie active. J’ai commencé à découvrir le milieu de la nuit, de la fête parce que quand tu es sportif de haut niveau, tu ne sors pas.
Je me suis pris de passion pour cet univers et je me suis dit que j’avais envie d’être DJ. J’ai commencé à produire de la musique, faire du beat-making*. C’était l’époque du hip-hop.
Doué pour la musique
Sa deuxième vie est celle d’un musicien qui se forme sur le tas.
À 21 ans, je n’avais jamais fait de la musique, j’ai débuté après l’athlé. J’ai commencé réellement à 25-26 ans.
J’étais à Marseille, j’ai passé le concours du conservatoire en candidat libre. J’ai été pris. Je n’avais que cinq heures de cours par semaine. J’ai arrêté au bout de trois mois. J’ai préféré travailler par mes propres moyens.
J’invitais chez moi des musiciens Indiens, Cubains, Brésiliens, d’Afrique de l’Ouest. On faisait des jams * et c’est là que j’ai commencé à apprendre les clés de certaines musiques traditionnelles.
Je faisais des démos pour les musiciens africains. Ils m’ont envoyé dans leurs familles. C’est comme ça que j’ai appris.
C’est mon voyage au Togo qui a fait que je me suis mis réellement à la musique, la percussion et je me suis mis à la guitare avec l’envie de travailler des instruments harmoniques. C’est avec la guitare que je compose, sur scène, je joue guitare, clavier et percussions.
La "consécration arrive en 2006" avec son premier album "Awa". Ce stakhanoviste se dépeint en travailleur acharné.
J’ai le complexe de l’autodidacte et je me dis que je dois travailler beaucoup. J’apprends tous les jours. Encore récemment avec Roger Raspail, le percussionniste guadeloupéen, il m’a enseigné certaines choses. La musique, c’est comme la cuisine.
Doué pour la télévision
J’ai bossé pour Canal+ pendant 5-6 ans. Ils cherchaient un animateur qui parlait plusieurs langues, facile en communication. C’était une belle expérience. Je suis parti aux États-Unis, en Afrique du Sud, Colombie, Corée du Sud, Cuba. Tu pars faire le tour du monde pour découvrir la musique en Afrique du Sud et là-bas, la musique fait partie de tous les combats.
En 2011, il élargit la palette de ses talents. Il est sélectionné par Canal Plus à la recherche d’un animateur-musicien. Devenu présentateur de l’émission "Les nouveaux explorateurs", il sillonne le globe, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud en quête d’artistes ayant placé la musique au centre de leur existence.
Petit à petit, la reconnaissance arrive tout doucement; mais je ne la demande pas. Si j’avais été accroché au regard de l’autre, je serais toujours au même endroit. Le travail, ça prime et rien ne résiste au travail, j’essaie juste d’être en lien avec mon public. La vérité, elle est là.
Je suis ancien sportif de haut niveau. La musique, je l’aborde comme ça. Au travail, rien ne résiste. Je suis dans un tempo, toujours en train de faire de l’athlétisme quand je fais de la musique. Je ne suis pas en compétition sauf lorsque je faisais du sport.
Par contre, je bosse. Mes instruments, mes lives sur scène.
Doué pour la vie
J’ai commencé à travailler mon créole comme on travaille son espagnol, comme on travaille son anglais. Ma grand-mère m’a acheté des livres.
Sport, voyages, rencontres, Mixez tout ! Cela vous donne une musique Tout-monde matinée d’électro.
On me classe dans l’électro parce que je suis beat-maker. J’aime les samples. J’aime la culture hip hop parce que c’est la culture de la rue, de la démerde. Les mecs n’avaient peut-être pas les moyens d’acheter 10 vinyles, ils en achetaient un. Par contre, ils le dépouillaient.
Tu prends un petit son de violon, de caisse claire. Je viens de là. J’ai toujours ce petit côté collage, patchwork dans ma musique. Elle n’est pas 100% caribéenne, pas 100% afro, pas 100% française. Elle est ce que je suis. C’est-à-dire un mec qui a grandi ici mais qui a beaucoup voyagé en Afrique, aux Antilles.
Ma musique, c’est ça. Peut-être une musique Tout-monde. La musique d’un exilé mais pourtant j’ai l’impression d’être enraciné, pas d’être flottant.
David Walters ancre le son créole dans une certaine modernité. Ses textes, il les chante indifféremment en créole ou en anglais.
Il se nourrit de ses diverses expériences. Elles lui ont permis de se découvrir en tant qu’homme et en tant que musicien. Son album Soleil kréyol sorti en 2020 est celui de la maturité. Des chansons interprétées en créole.
J’ai toujours eu le créole dans la famille. La première chanson que j’ai appris à chanter, c’est "mèci bondyé" ! C’est ma grand-mère qui me l’a apprise. Comme tous les enfants, il y a un moment donné où tu te retournes vers l’histoire de ta famille.
Musicien inclassable, il a connu les joies et les peines de la vie. En quatre ans, j’ai perdu ma grand-mère et ma maman. C’était le potomitan* de la famille. Tout peut s’arrêter en une seconde"!
Réconcilié avec son île, David Walters se voit bien finir ses jours au Morne-Rouge, le berceau de sa famille. "Je préfère les petits mondes, ce qui est important, c’est la famille, les amis très proches".
Cette philosophie, il l’a mise en application dans son morceau Mama où l’on perçoit la voix enregistrée de sa grand-mère qui lui recommande de ne jamais oublier qui il est.
*Un (beatmaker) est un compositeur de morceaux instrumentaux pour le rap,, le hip-hop ou le RnB
*(Jam) Session d’improvisation entre musiciens
*Pièce maîtresse