Deuil périnatal : « Ma fille vit toujours en moi »

Sabine : « Naevia, le nom d’une guerrière dans Spartacus, est aussi le prénom de ma guerrière à moi. Nous sommes passés de la joie d’une vie qui bouge à l’effroi d’un silence et d’un regard d’une infirmière qui m’annonce la nouvelle »
Dans les cimetières à cette période de l’année, plusieurs « mam’anges », comme on les appelle parfois, iront fleurir des tombes. Elles ont perdu un enfant, à la naissance, ou in utero. Pour leur rendre hommage et parler de leur expérience, une exposition, réalisée par la photographe, Anne-Sophie Bender, est visible jusqu’à mi-novembre au Centre hospitalier de Cayenne. Sabine, Lucie et Vanessa, toutes mamans de ces « bébés anges » se confient.

C’est une exposition photo inattendue en ce lieu. Nous sommes à l’entrée du Pôle femme enfant, au Centre hospitalier de Cayenne. Là, chaque jour, des mamans naissent, au moment où elles donnent la vie. Mais ce n’est pas ce qu’Anne-Sophie Bender a choisi de mettre en lumière à travers ces photos, dont les tirages ont été financés par le Réseau Périnat. Ici, la photographe montre à tous qu’en ce lieu aussi, parfois, des femmes perdaient leur enfant. « J’ai voulu, à travers cette exposition, lever le tabou sur le deuil périnatal, les grossesses arrêtées et les interruptions volontaires de grossesse. »

La démarche est inédite. Les clichés, saisissants par leur poésie, leur lumière, leur message tout simplement. Ici, une femme qui tient dans ses bras un bébé inexistant. Là, une autre dont la main semble avoir du mal à laisser s’envoler un ballon qui se détache sur le bleu du ciel.

« L’arrachement, l’isolement et le tabou des premières années ont laissé place à une douce mélancolie. Yaël continue à vivre en moi. Cette épreuve m’a amenée à davantage de sororité dans ma vie. »

Sabine, elle, pose au milieu du cimetière. « Pour moi, indique la jeune femme, c’est un lieu apaisant où je venais beaucoup me réfugier, surtout au début. Il n’y a pas de bruit, c’est calme. Tu es là, seule avec tes pensées. C’est le lieu de nos retrouvailles avec Naevia. » Sur la photo, la maman tient au creux de ses mains la boîte qui contenait le doudou qu’elle a posé au côté du corps de son bébé, il y a dix ans.

Cette séance photo, c’était notre cadeau à toutes les deux. Une manière de dire qu’on s’aime et qu’on s’aimera toujours

Sabine

« Quand tu perds un enfant comme ça, tu as tendance à te refermer et à ne pas en parler. Tu veux tenter de digérer l’histoire dans ton coin, sans en parler parce que ça embarrasse les gens de parler de la mort d’un enfant, comme ça. Poser pour cette photo était une manière de lui rendre hommage à elle, à ma fille. Parce que personne ne l'a connue et qu’elle a existé et qu’elle existe encore dans ma vie et dans mon cœur. Pour moi, cette séance photo, c’était notre cadeau à toutes les deux. Une manière de dire qu’on s’aime et qu’on s’aimera toujours. »

Anne-Sophie Bender : « J’ai voulu, à travers cette exposition, lever le tabou sur le deuil périnatal, les grossesses arrêtées et les interruptions volontaires de grossesse. »

L’idée de faire poser des femmes ayant dû faire face au deuil périnatal est née progressivement. Lorsqu’elle vit à Dijon, Anne-Sophie Bender découvre l’association Souvenange. Celle-ci propose aux parents de bébés décédés des photos de qualité, retouchées au besoin pour adoucir les stigmates de la mort et gommer l'environnement hospitalier. En s’installant par la suite à La Réunion, elle fait ses premiers clichés pour Souvenange et découvre le pouvoir thérapeutique des photos avec une association qui lutte contre l'endomériose. Arrivée en Guyane, elle décide de transposer cette démarche au deuil périnatal.

« Il y a huit ans, j’ai eu recours à l’avortement par aspiration. Parce que les raisons secrètes m’appartiennent, prisonnière de mon choix et seule face à ma souffrance depuis ce 14 juin 2012. Devenir Maman est le combat de mon existence puisque j’ai eu recours à l’interruption médical de grossesse suite à un œuf clair il y a cinq ans. Un traumatisme venu réveiller ma souffrance puis trois fausses couches ont suivi. Aujourd’hui, je vis pour MOI avant tout et ma fille qui fait de moi une maman comblée depuis quatre ans. Elle apaise mon cœur qui n’oublie pas. »

Cet aspect thérapeutique de la photo a été une surprise pour Sabine. « Cela fait dix ans. Je pensais que la douleur était partie, mais en réalité, il reste une petite pointe au cœur… Sur le coup ça a été difficile. J’ai pleuré pour ce que j’ai vécu, que je vis encore. J’étais contente aussi d'exprimer qu’elle vit toujours en moi, à travers mes autres enfants. On en parle très librement avec eux ».

Pour monter son exposition photo, Anne-Sophie Bender envoie un message sur plusieurs pages Facebook. Plusieurs mamans se font connaître. 41 clichés seront réalisés dont 32 sont présentées lors de l'exposition. Chaque femme apportant par ailleurs un témoignage écrit.

J’ai voulu que cette photo soit avec ma fille Zoé

Lucie

Comme Sabine, Lucie fait partie de ces mamans qui ont raconté leur histoire. «J’ai voulu faire ma photo à Loyola, en forêt, pour retrouver la nature et la force des arbres déracinés. J’ai voulu que cette photo soit avec ma fille Zoé. Il n’y a pas de tabous sur sa sœur, Inaya : on en parle ensemble. Pour elle aussi c’était important de faire cette photo en pensant à sa sœur. »

Lucie : « Ma vie a basculé après le décès de ma fille, Inaya, il y a 12 ans. Je suis redevenue maman il y a 5 ans et ma Zoé, qui veut dire "la vie", est venue l’illuminer. »

Afin d’aider les femmes, la maternité propose de coffrets de deuil où les parents peuvent réunir divers objets liés au bébé : photos, empreintes, livrets… « Cette exposition correspond à quelque chose que l’hôpital souhaitait faire depuis longtemps pour lever ce tabou sur la périnatalité, indique Vanessa Massol, sage-femme coordinatrice. Mais nous ne savions pas sous quelle forme le faire.»

Désormais, l’accompagnement ira plus loin : depuis octobre, une convention lie l’hôpital de Cayenne et l’association Souvenange qui pourra proposer ses services aux familles touchées par le deuil périnatal.

« Quand on parle du Pôle femme enfant, on pense aux naissances, pas aux décès, fait remarquer Vanessa Massol. Pourtant, beaucoup de femmes qui viennent ici y sont confrontées… » La professionnelle de santé ne sait que trop bien de quoi elle parle. Elle aussi a posé pour Anne-Sophie Bender et raconte ce rendez-vous pour une échographie du second trimestre alors qu'elle attendait son quatrième enfant.

J’ai vécu ma vie normalement pendant deux jours à la maison en me disant que mon utérus était peut-être un cercueil

Vanessa

« À ce moment-là, l’échographiste me dit : "Il n’y a pas de cœur”. Je descends de la table. J’appelle mon gynécologue qui me demande de venir rapidement. Ma collègue me fait les différents prélèvements et on me prescrit les médicaments. Je suis rentrée à la maison. Je suis allée à l’anniversaire du fils d’une copine. Ma journée s’est déroulée comme il fallait qu’elle se déroule. Faut garder le sourire. Faut garder la tête haute et continuer pour les enfants. J’ai vécu ma vie normalement pendant deux jours à la maison en me disant que mon utérus était peut-être un cercueil. Et j’ai accouché la nuit…Ça s’est fait rapidement. Je suis passée au bloc, je suis retournée dans ma chambre. Le lendemain matin, je suis rentrée à la maison aussi vite que je suis arrivée. Voilà…C’était fini. Et puis il fallait continuer pour les enfants, pour tout le monde. »

Pour le cliché visible dans l'exposition, Vanessa se tient debout avec, tout contre son ventre, un petit body. En lettres, noires, avec un cœur rouge éclatant, il indique : « Mum and Dad love me ».

Vanessa : « C’est une expérience dont je n’ai pas forcément parlé à tout le monde. C’est pour cela que le mot qui la caractérise le plus c’est "silence" »