Leo Puglisi, 17 ans, est particulièrement bien placé pour juger la nouvelle loi : il a fondé ce qui se présente comme la seule plateforme nationale de diffusion d'informations en continu gérée par des adolescents. Installé dans la chambre de ses parents à Melbourne, Leo Puglisi a commencé à télécharger des vidéos d'informations locales sur la chaîne YouTube 6 News en 2019. Cinq ans plus tard, la chaîne diffuse désormais des bulletins toutes les heures et compte 29 600 abonnés, auxquels s'ajoutent 40 700 abonnés sur X. Il dispose d'une équipe de dix reporters, dont l'âge varie de 15 ans à la fin de l'adolescence.
Fortes amendes
La législation, approuvée par le Parlement jeudi, ordonne aux plateformes de réseaux sociaux de prendre des "mesures raisonnables" pour empêcher les moins de 16 ans d'avoir des comptes. Cette loi, qui devrait entrer en vigueur dans un an, est une "très mauvaise idée", fait valoir Leo Puglisi. À l'heure actuelle, la législation n'offre aucun détail sur la manière dont elle sera appliquée, et les experts redoutent qu'elle ne soit en grande partie symbolique. Les plateformes de réseaux sociaux qui ne respectent pas l'interdiction sont passibles d'amendes pouvant aller jusqu'à 50 millions de dollars australiens (32,5 millions USD) en cas de "violations systémiques". De nombreux téléspectateurs de 6 News s'intéressent à la chaîne par le biais des réseaux sociaux, explique M. Puglisi, pour qui une interdiction pourrait rendre les choses "vraiment difficiles".
Leo Puglisi note qu'il est impossible de savoir quel serait l'impact de l'interdiction sur son équipe, dont certains membres ont moins de 16 ans et utilisent X pour communiquer et publier du contenu sur Facebook, TikTok et Instagram. Mais quoi qu'il arrive, "6 News ne bougera pas", assure-t-il. M. Puglisi se dit préoccupé par la rapidité avec laquelle la loi a été adoptée, par le peu d'informations sur les plateformes qui seront interdites et par un apparent "manque de compréhension des réseaux sociaux". Favorable à l'amélioration de la sécurité en ligne, M. Puglisi souligne néanmoins que les réseaux sociaux permettent aux jeunes d'"explorer leurs passions"."Si cette interdiction avait été en vigueur il y a quelques années, 6 News n'aurait jamais existé, ce que je trouve personnellement très dommage", a-t-il dit à l'AFP.
Pour ou contre
Des experts ont mis en garde contre le fait que l'interdiction pourrait pousser les jeunes vers des zones du web dangereuses et non réglementées. Susan Grantham, experte en réseaux sociaux à l'université Griffith, estime que le gouvernement a opté pour un "remède rapide"."Dès qu'ils atteignent l'âge de 16 ans, ils peuvent obtenir un compte sans éducation, sans directives, sans personne pour les aider à comprendre ce qui peut ou ne peut pas être une bonne décision sur ce type de plateformes", a-t-elle affirmé. Le gouvernement aurait pu opter pour une meilleure éducation ou un cadre réglementaire empêchant les enfants d'accéder à des contenus préjudiciables, selon l'experte. Les jeunes rejoignent des communautés en ligne pour suivre leurs intérêts et leurs passe-temps, souligne Mme Grantham, et leur retirer cela pourrait être "préjudiciable" à leur santé mentale.
Mais cet avis ne fait pas l'unanimité. Catherine Houlihan, spécialiste de l'image corporelle à l'université de Sunshine Coast, a dit que les années d'adolescence sont fondamentales pour "l'identité et le développement du cerveau". "L'interdiction des réseaux sociaux pour cette tranche d'âge et celle en-dessous est un pas important vers la protection de la santé mentale des jeunes", a-t-elle déclaré.