Le député sortant de l'archipel a-t-il toujours retrouvé son fauteuil dans l'hémicycle au lendemain d'une dissolution de l'Assemblée ?
Si ce scénario s'est confirmé à trois reprises en 1968, 1988 et 1997, les électeurs ont changé de représentant à cette occasion en 1962 et 1981.
S'il est impossible d'en tirer des conclusions tant les circonstances furent différentes dans l'histoire de la Ve République, il est néanmoins intéressant de revenir sur ces moments clés de la vie politique nationale qui ont toujours eu des incidences sur la vie politique locale de Saint-Pierre et Miquelon.
Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.
Article 12 de la constitution
Les dissolutions du Général (1962-1968)
Véritable arme pour les Présidents de la Ve République, l'article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958 a été pensé pour leur permettre de résoudre une crise ou un blocage institutionnel. Premier à en avoir fait l'usage, Charles de Gaulle s'en est aussi servi pour retrouver sa légitimité dans une époque particulièrement troublée.
Nous sommes au lendemain de l'indépendance de l'Algérie (5 juillet 1962), et le Général vient d'échapper de peu à un attentat au Petit Clamart (22 août 1962) lorsqu'il annonce à la télévision vouloir organiser un référendum pour modifier la Constitution afin d'y inscrire l'élection présidentielle au suffrage universel direct.
Opposée à cette réforme, la majorité des députés vote alors une motion de censure qui renverse le gouvernement Pompidou.
Le Président réplique en annonçant la dissolution de l'Assemblée. Les élections législatives anticipées lui donnent raison. Les candidats gaullistes en sortent gagnants avec une majorité absolue et 230 sièges. Le député de Saint-Pierre et Miquelon n'en fait pas partie.
L'élection du premier député originaire de Saint-Pierre et Miquelon
Le député de l'archipel sortant, Dominique-Antoine Laurelli, qui avait déjà été élu sous la IVe République (1946-51), se présente alors sous l'étiquette du Mouvement républicain populaire (MRP), soutenu par les gaullistes de l’Union pour la nouvelle république (UNR).
Mais il sera concurrencé par le commerçant saint-pierrais Albert Briand qui se présente sans étiquette, et qui reproche à Dominique-Antoine Laurelli d'être parachuté sur le territoire. Albert Briand le fait savoir sur les ondes de Radio Saint-Pierre. Originalité de cette élection, elle est organisée au scrutin majoritaire à un tour.
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Grâce au soutien de 962 électeurs (sur 2381 inscrits), Albert Briand est élu député avec 40% des suffrages exprimés, contre 33% pour le commerçant Auguste Maufroy qui était aussi candidat, et seulement 26% pour Dominique-Antoine Laurelli.
Fidèle à son parti pris d’indépendance, Albert Briand siège ensuite parmi les non-inscrits à l’Assemblée nationale. Il devient ainsi le premier député local de l'histoire à intégrer le palais Bourbon à Paris, avec comme suppléant Henry Le Besnerais.
L'après mai 68 ou le référendum déguisé
Six ans plus tard, le Président aura de nouveau recours à la dissolution de l'Assemblée dans un contexte national insurrectionnel, celui des événements de mai 1968.
Si son geste de 1962 visait à protéger le gouvernement de son Premier ministre Georges Pompidou, c'est ce dernier qui l'aurait convaincu de ressortir l'article 12 de la Constitution pour sortir de la crise qui embrasait le pays.
C'est un véritable coup de poker, alors que la gauche se rassemble au lendemain des accords de Grenelle, synonymes de victoire historique pour les syndicats de travailleurs, qui ont obtenu notamment l'augmentation de 35% du salaire minimum.
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Pour faire face aux socialistes et aux communistes, le général de Gaulle décide alors de former l’Union pour la défense de la République (UDR) qui va largement remporter ce scrutin permettant au pouvoir de se sauver, et même de compter sur une majorité absolue à l'Assemblée.
Saint-Pierre et Miquelon soutient le Général... et son neveu
À 4.200 km de Paris, les citoyens de Saint-Pierre et Miquelon repartent aux urnes un an tout juste après les précédentes législatives qui venaient de porter Jacques-Philippe Vendroux à l'Assemblée pour les représenter le 3 avril 1967.
Parachuté dans l'archipel sur les conseils de Jacques Foccart, le secrétaire général de l'Élysée aux affaires africaines et malgaches, le neveu du général de Gaulle avait su s'imposer, avec Georges Farvacque comme suppléant.
Ancien de la France Libre et de la 2e DB, Jacques-Philippe Vendroux avait su capitaliser sur la popularité de son oncle qui allait effectuer une visite triomphale sur le caillou à l'été 1967.
Cette année-là, Jacques-Philippe Vendroux remportait les élections face au conseiller général Albert Pen et face à Henry Le Besnerais qui avait succédé dans l'hémicycle à Albert Briand, après son décès survenu subitement lors d'une crise cardiaque en 1966.
Après la dissolution de l'Assemblée en 1968, aucun candidat ne se présente face au député sortant qui reste toujours auréolé du prestige de son oncle, le général de Gaulle, qui avait envoyé l'Amiral Muselier "libérer les îles de Saint-Pierre et Miquelon au nom de la France Libre" le 24 décembre 1941.
Mais Jacques-Philippe Vendroux a aussi convaincu localement en intervenant régulièrement dans l'hémicycle, notamment en novembre 1967, pour défendre aux flottilles étrangères l’entrée dans les eaux territoriales françaises.
Un seul candidat élu à 100%
Et pourtant, tout le monde n'a pas voté pour lui. Le 23 juin 1968, il est élu dès le premier tour avec 1 701 voix sur 2 205 votants. Autrement dit, si 77% des électeurs ont placé ce jour-là leurs bulletins dans l'urne, 23% optaient pour un vote blanc ou nul, qui n'était déjà pas pris en compte à l'époque.
Lors de son mandat, Jacques-Philippe Vendroux aura consacré la quasi-totalité de ses interventions à l’Assemblée à défendre Saint-Pierre-et-Miquelon : amélioration des infrastructures scolaires, aides à l'enseignement privé, introduction de la télévision, modernisation du secteur de la pêche avec des investissements publics destinés aux usines de transformation du poisson et à l’équipement de la flotte locale.
En 1973, il ne brigue pas le renouvellement de son mandat. C’est finalement un ancien préfet, Frédéric Gabriel-Sabatier, qui s’impose dès le premier tour des législatives face au Républicain indépendant Georges Poulet. Le siège de Saint-Pierre-et-Miquelon est perdu pour les gaullistes.
Les années Miterrand ou comment la dissolution permet de gouverner avec une majorité à l'Assemblée (1981-1988)
Après le départ du général de Gaulle en 1969, ni Georges Pompidou (1969-1974) ni Valéry Giscard D’Estaing (1974-1981) n'utiliseront l'arme de la dissolution.
Il faudra attendre 13 ans et l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 pour que soit de nouveau brandi l'article 12 de la Constitution.
Lorsque le candidat du Parti socialiste remporte pour la première fois l'élection présidentielle, il se retrouve en effet face à une Assemblée nationale dont la majorité lui est hostile.
Surfant sur la “vague rose”, la gauche va obtenir une majorité dans l'hémicycle qui lui permet de gouverner.
Du Sénat à l'Assemblée, un jeu de chaises musicales entre Albert Pen et Marc Plantegenest
Si dans l'archipel, c'est Valéry Giscard d'Estaing qui remporte à cette époque le scrutin présidentiel avec près de 70% des suffrages, le Parti socialiste compte néanmoins de solides soutiens à l'image de ses deux parlementaires locaux.
Député sortant socialiste depuis 1978, Marc Plantegenest n'est pourtant pas candidat à sa réélection.
Il laisse son aîné, le sénateur socialiste Albert Pen, prendre les commandes de la campagne de 1981 avec peut-être déjà le projet de prendre sa place au palais du Luxembourg, ce qu'il fait en septembre de la même année.
Un pari risqué dans un territoire qui vote encore à droite
Si Albert Pen n'en est pas à son coup d'essai sur la scène politique locale, la lutte ne s'annonce pas pour autant des plus aisées face aux quatre autres candidats déclarés.
Parmi eux, deux locaux qui feront carrière, Victor Reux et Gérard Grignon, mais également deux hommes parachutés par la droite, à savoir Jean-Jacques Blanco-Carlotti pour l'UDF-PR et le futur animateur télé Julien Lepers pour le RPR.
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Président du Conseil général, maire de Saint-Pierre et toujours sénateur de l'archipel, Albert Pen parvient tout de même à s'imposer en remportant l'élection au second tour avec près de 60% des voix face au candidat de la droite parisienne qui partageait son ticket avec l'infirmier Michel Dodeman. Il avait déjà terminé au second tour lors de la précédente campagne de 1978 aux côtés cette fois-ci de Roger Hélène, le père de l'actuel président du MEDEF à Saint-Pierre et Miquelon.
Deuxième mandat et deuxième dissolution pour François Mitterrand (1988)
Réélu en 1988, le Président Mitterrand active une fois de plus l'article 12 pour dissoudre une Assemblée nationale dans laquelle la droite détient la majorité absolue depuis les élections de 1986.
Si ce choix semble s'imposer d'un point de vue politique pour mettre fin à la première cohabitation pour mieux gouverner, il sera plus contesté tant le Président sortant avait fait campagne sur l'idée du rassemblement.
Contrairement aux législatives de 1981, celles de 1988 amenèrent une majorité relative au pouvoir dans l'hémicycle, laissant entrevoir des années difficiles pour le gouvernement qui aura massivement recours à l'article 49.3 de la constitution pour faire passer ses lois.
La fin des années 80 marque aussi un tournant dans la vie politique de l'archipel qui enverra désormais un député de centre droit siéger à Paris pendant plus de 20 ans.
Gérard Grignon s'assoit dans un fauteuil qu'il n'est pas prêt de lâcher
Lors des élections législatives de mars 1986, le député-maire socialiste Albert Pen est réélu devant Gérard Grignon, qu'il devance de 144 voix au second tour.
Mais quelques mois plus tard, surprise, Albert Pen est élu sénateur. Une élection partielle est donc organisée sur le territoire. Cette fois-ci, elle sera remportée par Gérard Grignon devant Marc Plantegenest.
Lors de la dissolution de 1988, dans un territoire qui avait placé Jacques Chirac devant François Mitterrand à la présidentielle, c'est donc ce nouveau député alors dans l'opposition qui remet son siège en jeu pour l'Union du Centre (UDC).
Fondateur du mouvement politique local Archipel demain (1985), Gérard Grignon se présente devant les électeurs face à deux candidats dont Jean-Pierre Bansard, qui se définit comme l'homme de la "majorité présidentielle à l'invitation du sénateur-maire Albert Pen". Il annoncera toutefois son retrait de la campagne avant le jour du vote. Pour l'anecdote, il récolte tout de même une voix ce jour-là.
L’autre candidat, Pierre Paturel, ne totalise lui que 9% des votes, ce qui permet à Gérard Grignon d'être élu dès le premier tour avec un "score soviétique” qui dépasse les 90%.
Cette réélection fait office de véritable tremplin pour Gérard Grignon qui conservera son siège dans l'hémicycle jusqu'en 2007, et ce malgré les aléas de la vie politique locale comme nationale.
La dissolution ratée de Jacques Chirac en 1997
Si Charles de Gaulle avait joué la carte du "référendum" en 1962 et en 1968 pour retrouver une certaine légitimité, si François Mitterrand cherchait lui à gouverner avec une majorité juste après avoir été élu en 1981 et 1988, la dissolution décidée par Jacques Chirac le 21 avril 1997 ne répond pas à la même logique et ne connaîtra surtout pas le même "succès".
On pourrait presque parler d'un coup de poker raté, qui restera dans les annales.
Au printemps 1997, Jacques Chirac dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée, mais les réformes entreprises depuis 1995 par le Premier ministre Alain Juppé ont altéré l'image du gouvernement dans un contexte économique qui s'annonce très compliqué avant l'installation programmée de la monnaie unique européenne.
Conseillé notamment par Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l'Elysée, le président décide de "redonner la parole" aux Français pour bénéficier d'un "nouvel élan" et ce à un an tout juste des législatives suivantes, en 1998.
Au lieu de renforcer sa majorité à droite, Jacques Chirac assiste à la large victoire de la gauche plurielle (PS, PCF, Radicaux de gauche, Verts et Mouvement des citoyens) qui obtient 319 sièges forçant ainsi le président à nommer le socialiste Lionel Jospin comme Premier ministre.
C'est le début d'une cohabitation qui durera 5 ans jusqu'en 2002, soit la plus longue de l'histoire de la Ve République.
Saint-Pierre et Miquelon à contre-courant
Dans l'archipel, les électeurs avaient choisi Lionel Jospin (60%) lors de l'élection présidentielle de 1995. L'électorat s'était rassemblé derrière la candidature socialiste après avoir positionné Jacques Chirac en première position lors du 1er tour (34%) devant Edouard Balladur (23%) et le candidat du PS (17%).
Mais sur ce territoire isolé à plus de 4200km de la capitale, il est toujours difficile de se calquer aux enjeux nationaux et à leurs conséquences. Ainsi, lors des législatives anticipées de 1997, le "Parti à la rose" n'a pas transformé l'essai localement.
Il faut dire que l'équilibre des forces est toujours plus compliqué à analyser tant les personnalités politiques locales influencent le choix des électeurs locaux au gré des scrutins
"Le combat des chefs" ou quand Gérard Grignon conforte sa position face à la gauche locale
Localement, Gérard Grignon se retrouvait alors face à ses meilleurs ennemis, Albert Pen (Pour la promotion et le développement de l'Archipel) et Marc Plantegenest (Défense des intérêts de l'Archipel), qui pour la première fois briguaient le même mandat. Pour l'anecdote, ce dernier s'était même déclaré avant la dissolution officielle de l'Assemblée nationale.
Cette année-là, les électeurs avaient ainsi le choix entre trois anciens députés pour les représenter. Si Gérard Grignon se situait sur la droite de l'échiquier politique local, les deux autres penchaient à gauche faisant courir le risque d'une dispersion des votes au premier tour.
Le député sortant, candidat RPR/UDF, avait ainsi terminé en tête (46%), tandis que seules deux voix séparaient ses deux adversaires (Albert Pen - 26,78% / Marc Plantegenest - 26,72%) provoquant de fait une triangulaire.
Mais arrivé en deuxième position, Albert Pen alors maire de Saint-Pierre allait se désister au profit de Marc Plantegenest. Le candidat de "la gauche plurielle" ne réussit toutefois pas à renverser le candidat de la "majorité présidentielle", prenant là aussi le contre-pied de la politique nationale.
Le 1er juin 1997, Gérard Grignon récoltait 52% des suffrages et était réélu député de Saint-Pierre et Miquelon.
L'inconnue de 2024
27 ans après la dernière dissolution (1997), les électeurs de Saint-Pierre et Miquelon sont de nouveau sollicités pour des élections législatives anticipées. Cette fois-ci, la situation est encore différente au niveau local comme au niveau national. C'est d'ailleurs la première fois qu'un scrutin européen a de telles conséquences sur la vie politique du pays.
Car c'est bien cette élection, remportée par le Rassemblement national dans l'archipel aussi avec 25% des suffrages, qui aurait provoqué, à l'entendre, la décision du chef de l'État de dissoudre l'Assemblée nationale. La sixième utilisation dans l'histoire de la Ve République de l'article 12 de la Constitution serait ainsi "un mouvement de clarification demandé par les Français", selon Emmanuel Macron.
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Les électeurs de l'archipel devront choisir lors de ces élections anticipées parmi cinq candidats, Stéphane Lenormand, Patrick Lebailly, Marion Letournel, Frédéric Beaumont et Patricia Chagnon, "parachutée" sur le territoire par le Rassemblement national.
La dernière fois qu'un candidat est arrivé de l'extérieur pour représenter un parti national, c'était en 2014 avec Pierre Magnin investi par le Parti pirate. Il avait récolté 2,37% des voix dans l'archipel. Une candidate d'extrême droite avait également été investie en 2002. Il s'agissait d'Annick Perrin-Jassy pour le Mouvement national républicain. Elle n'avait alors récolté que 14 voix localement (0,44%).
Reste à savoir si les électeurs de Saint-Pierre et Miquelon souhaiteront donner un écho national à ce vote ou s'inscrire dans une logique toujours locale à l'avantage d'une personnalité politique du territoire pour porter les dossiers de l'archipel.
Cinq candidats sont en lice. Un seul sera élu député. Réponse le 29 juin ou le 6 juillet en cas de second tour.