C’était le 21 septembre 1994. La ville de Sainte-Anne est en ébullition avec un déploiement de gendarmes sans précédent. Ils viennent saisir le matériel de TV Moun Matinik, petite chaîne locale qui émet depuis quatre mois sans autorisation du CSA mais avec la bénédiction du maire d’alors, Garcin Malsa.
TV Moun Matinik diffuse des programmes sur l’esclavage aux Antilles et l’apartheid en Afrique du Sud. On peut y voir également le film d'animation L’aube noire qui retrace la naissance d'Haïti, sous la forme d'un conte traditionnel réalisé à partir des œuvres aux couleurs éclatantes de treize peintres naïfs.
Expulsé par des gendarmes
Le 21 septembre 1994, Garcin Malsa et des dizaines de militants s’opposent à la saisie du matériel de TV Moun Matinik. Ils refusent la fermeture de la première télévision alternative de l’île. Le face à face avec les forces de l’ordre est tendu. Deux gendarmes empoignent le maire de Sainte-Anne et l’expulsent manu militari de leur périmètre d’intervention.
Le lendemain, les images de Garcin Malsa ceinturé et soulevé de terre sont abondamment commentées. Ses partisans accusent les représentants de "l’État colonialiste français" d’avoir porté "atteinte à l’intégrité physique" de l’élu. Ses détracteurs se gaussent en revanche de le voir apparaitre en si mauvaise posture.
Cet épisode agité résume parfaitement à lui seul le cas Malsa. C’est un homme de terrain qui n’hésite pas à mouiller sa chemise. C’est un homme opiniâtre qui n’a pas peur de déplaire et qui ne laisse d’ailleurs personne indifférent. C’est un homme d’une autre époque qui ne badine pas avec ses convictions.
À Sainte-Anne, où il naît le 1er juillet 1942, Garcin fait ses premiers pas sous un régime liberticide. L’île est administrée d’une main de maître par l'amiral Robert, le représentant du régime de Vichy. Après la guerre et des études à Paris, couronnées par une maîtrise de biochimie et un DEA de génétique et amélioration des plantes, Malsa revient en Martinique et devient professeur de biologie.
Écologiste incompris même dans son camp
Très vite, le jeune enseignant se singularise par son double militantisme : écologiste et indépendantiste. Dans les années 70, Garcin Malsa dirige le groupe "Zanma" puis constitue avec Alfred Marie-Jeanne l’alliance "La Parole au peuple" qui donnera naissance par la suite au Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM).
Partisan d’une réforme agraire et défenseur acharné de l’environnement, Garcin Malsa quitte finalement le MIM, après de profonds désaccords sur les questions d’écologie.
Je me retrouvais quelque peu isolé bien qu’en compagnie d’hommes et de femmes de conviction ainsi que de toute une jeunesse farouchement décidée à défendre l’écosystème des Salines. Les dirigeants du MIM ne se sentaient curieusement pas concernés par la disparition des mangroves et des zones humides. Il semblait en outre que le combat écologique, faisant trop désordre, n’attirait guère le MIM-La Parole au peuple, tout occupé à soigner son image de mouvement indépendantiste crédible, cherchant à ratisser large pour rassembler les masses.
Garcin Malsa
En 1981, Garcin Malsa s’allie avec un ex-militaire et ex-policier municipal, Pierre Davidas, pionnier de l’écologie sur l’île. Ensemble ils créent l’association pour la sauvegarde du patrimoine du sud (Assaupasu) qui deviendra plus tard l’association pour la sauvegarde de la protection du patrimoine martiniquais (Assaupamar).
En 1988, Garcin Malsa se lance en politique. Il est élu conseiller général de Sainte-Anne. En 1989, il remporte la mairie. En 1990, il entre au Conseil régional. En 1992, il fonde avec les écrivains Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant le mouvement des démocrates et écologistes pour une Martinique souveraine (MODEMAS).
À la tête de la mairie de Sainte-Anne, Garcin Malsa fait sa petite révolution en opérant des changements à la fois symboliques et significatifs. Les procès-verbaux et délibérations du conseil municipal sont désormais rédigés en créole, en plus du français. Du jamais vu en Martinique. Il fait en outre débaptiser les rues de la commune qui portent des noms d’esclavagistes.
En 1995, un an après les heurts qui ont émaillé la saisie du matériel de TV Moun Matinik, Garcin Malsa brave à nouveau les autorités françaises. Il appose le drapeau rouge, vert et noir au fronton de sa mairie. Une façon de rendre hommage notamment aux héros de l'insurrection du Sud, qui avaient brandi ces trois couleurs en 1870.
À la tête de la mairie de Sainte-Anne, Garcin Malsa met également en pratique sa foi en l’écologie. Il lance un Plan de développement durable et solidaire ainsi qu’un Agenda 21 local. C’est une première pour une commune en Martinique. L’initiative est distinguée au niveau national par "Les Rubans du développement durable".
"Sainte-Anne marche sur ses deux jambes", se plaît alors à répéter Garcin Malsa. Le maire de Sainte-Anne veut faire coexister tourisme et activités de production. Pour cela, les habitants sont consultés à travers des réunions de quartier.
Dans la pratique, nous avons lancé la révision du POS pour avoir une meilleure maîtrise politique de l'espace commun. En ciblant les zones sensibles à protéger et en déterminant les espaces naturels agricoles, nous avons dès lors affiché une volonté politique forte de protection de l'environnement. Dans le même temps, un coup d'arrêt a été donné à toute attaque des promoteurs qui voulaient utiliser les zones humides et le littoral pour implanter des constructions à vocations touristiques. Ainsi, la politique touristique dévoreuse de terres plates et d'espaces littoraux a été remplacée par une démarche d'acceptation du tourisme qui prend en compte le taux de remplissage des hôtels existants et les besoins de la population saintannaise.
Garcin Malsa
En 2001, Garcin Malsa fonde le Mouvement international pour les réparations (MIR) qui mène des actions en justice afin d’obtenir une compensation financière pour les descendants des victimes de la traite négrière et de l'esclavage. Il lance dans la foulée le Konvwa ba réparasyon, la grande marche annuelle qui part de Sainte-Anne et arrive au Prêcheur le 22 mai.
En 2009, Garcin Malsa prend une nouvelle initiative en matière d’écologie. Il organise un référendum d'initiative locale avec cette question essentielle posée aux habitants de sa commune : "Le projet de territoire de Sainte-Anne s'inscrivant dans le développement durable et solidaire est-il vital pour vous ? ". Le "Oui" l’emporte à 94,95 %.
En 2010, Garcin Malsa crée l'événement à nouveau en promouvant la carte d'identité nationale martiniquaise. De couleur verte et arborant le drapeau rouge-vert-noir, elle est rédigée en créole et distribuée symboliquement. Pour le maire de Sainte-Anne, c’est une façon d’affirmer que son identité première est martiniquaise et non française.
En 2013, Garcin Malsa se singularise encore. La ville de Sainte-Anne adopte une clause obligeant les entreprises candidates à des marchés publics à préciser si elles ont bénéficié autrefois d’avantages liés à un crime contre l’humanité, telle que la traite négrière et l’esclavage. C’est une première en France.
Pour nous, c’est davantage une démarche indicative et non pas discriminatoire, pour nous permettre de connaître toute la vérité sur la manière dont fonctionnent les entreprises. Cette démarche va dans la droite ligne de la loi Taubira qui dit qu’il faut absolument que toute la vérité soit connue sur cette page d’Histoire importante qu’est l’esclavage et la traite négrière.
Garcin Malsa
En 2014, le vent tourne pour l’atypique Garcin Malsa. Aux élections municipales de mars, il est battu au deuxième tour par Jean-Michel Gémieux (sans étiquette). Après vingt-cinq ans de règne, le maire écologiste et indépendantiste passe la main. Il restera deuxième vice-président du Conseil général jusqu’en 2015.
Pour Garcin Malsa, c’est une nouvelle vie qui commence. Il s’en accommode facilement en rappelant à qui veut l’entendre qu’il a été d’abord un militant de la cause martiniquaise avant d’être un élu. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il poursuit ses engagements pour l’écologie, pour l’identité, pour les réparations, etc.
L’homme a vieilli mais sa détermination est restée intacte derrière sa frêle silhouette et la large moustache qui barre son visage. L’homme a vieilli mais il porte beau. Des cheveux blancs couvrent les côtés d'une tête dont le sommet est dégarni. Il les recouvre parfois avec un chapeau orné d’un galon rouge-vert-noir.
C’est ainsi qu’on le voit arpenter les couloirs des tribunaux au gré des procès intentés par le MIR. C’est ainsi qu’on l’entend voler au secours des jeunes qui ont déboulonné les statues de Victor Schœlcher. C’est ainsi qu’il est perçu comme un infatigable militant indépendantiste et un fervent défenseur de l’écologie.