Mais où est passé le Code noir ?

Jean-François Niort
La révélation, c’est que la toute première édition du Code Noir n’existe pas aux Archives Nationales de France. Plusieurs versions ultérieures sont répertoriées, mais pas la première. Pourquoi ?
Jean-François Niort est historien du droit. Maître de conférences, il exerce à la faculté de Droit et d'économie de Fouillole et au Département Pluridisciplinaire de Lettres et Sciences Humaines de Saint-Claude. C’est donc tout naturellement, au fil de ses travaux, qu’il s’est intéressé au Code Noir, avec ses différentes éditions et qu’il s’est mis en quête de l’édition originale, la toute première, celle qui a déterminé le texte que nous connaissons peu ou prou aujourd’hui. Surprise ! Impossible de mettre la main sur l’édition première. Alors où est-elle ? Comment un fait comme celui-ci peut se produire ? Nous avons rencontré Jean-François Niort, qui nous a parlé de son tout dernier ouvrage : "Code noir", publié dans la collection "Tiré à part" de Dalloz. 


Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur le Code noir ?

 C’est un travail qui s’inscrit dans le cadre de mes recherches, puisque mon axe de recherches porte sur l’esclavage. En 2007, j’ai mis au jour l'original manuscrit de l’arrêté de Bonaparte du 16 juillet 1802 qui rétablit l’esclavage en Guadeloupe. Chemin faisant, je m’intéresse depuis des années au Code noir et à ses différentes versions.


Il y a déjà plusieurs publications du Code noir. Quel est l’intérêt de la vôtre ?

Le Code noir est l'appellation qui a été donnée à l'édit de mars 1685, mais qui n'a été édité, pour la première fois, qu'en 1718 sous le titre "Code noir".Dans cet ouvrage, je publie la toute première version enregistrée en Guadeloupe du Code noir, elle date de décembre 1685. Ce texte est annoté, commenté et comparé avec les autres versions qui sont parfois différentes.Tout le monde connaît le texte de Louis Sala-Molins, qui a contribué à la vulgarisation d’un certain Code noir. Mais, d'une part, il ne s'est appuyé que sur une des versions anciennes de l'Edit et, d'autre part, n'étant pas historien, ni juriste, mais philosophe, Sala-Molins en a livré une  vision "philosophique" qui est aujourd'hui dépassée. 


Si la première mouture de l’édit n’existe pas aux Archives nationales, où peut-elle bien être ?

Peut-être dans les papiers privés de la famille Colbert. Cela est probable puisque la rédaction de l’édit a été supervisée par Colbert père & fils. L'absence d'original est une anomalie, car un texte de cette importance aurait du être conservé aux Archives. 


Le Code noir est le texte qui régit la condition du Nègre. Il détermine sa place dans la société, dans le royaume de France. Quelle est votre vision là-dessus ?

Pour moi, s’il est horrible, le Code noir n’est pas le texte le plus ignoble. La législation coloniale du 18ème siècle, alors que nous sommes au moment des Lumières, est paradoxalement pire que le Code noir. Je m’explique : par exemple, en 1685, l’affranchissement de de l’esclave peut se faire aisément. Il suffit que le maitre le décide et l’inscrive sur un papier libre (art.55 du Code noir). Au début du 18ème siècle, pour affranchir un esclave, il faut payer une taxe à l’administration locale et il faut obtenir en plus, l’autorisation du Gouverneur ou de l’Intendant.
Autre exemple, quand un esclave est affranchi, il est considéré comme un sujet du Roi de France et il est (presque) à égalité avec les Blancs (art. 59 du Code noir).  Au 18ème siècle, ça change totalement : une législation impose aux affranchis et aux gens de couleurs libres, une discrimination et une ségrégation sociale et juridique. Les Noirs avaient par exemple interdiction d’être médecins, sage-femmes, avocats, juges... Il étaient maintenus dans une forme d’Apartheid.  
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Quelle sera votre prochaine publication ?

Il s’agit d’un grand projet global, une publication de tous les textes juridiques du 17ème siècle jusqu’à la loi Taubira, sur la traite et l’esclavage colonial. Autrement dit, tous les textes de référence depuis le début de la colonisation, jusqu’à nos jours.  C’est un ouvrage qui doit sortir aux PUF (Presses Universitaires de France), il comprendra 4 millions de signes et plus de 1500 pages.


Grâce à vos recherches, vous avez une vision générale du Code noir et de son application. Et justement, il y a des particularités, car le texte n’a jamais été appliqué de façon linéaire tout le temps ?

A la lecture des textes et notamment de la correspondance administrative, on découvre des choses passionnantes. Il y a, par exemple, des ministres de Louis XIV et de Louis XV qui ont essayé d’être plus humains que d’autres ; certains autres, ont, à l’inverse été cruels et laxistes. Les textes nous donnent des indications précieuses sur l'évolution de la politique jurique de l'esclavage et des colonies.


Travaillez-vous seul, dans le cadre de vos recherches ?

J’ai beaucoup travaillé avec deux jeunes chercheurs : Jérémy Richard, qui a soutenu en 2009 une thèse sur le discours politique et juridique des Lumières sur l’esclavage, il a codécouvert l'arrêté de Bonaparte avec moi, en 2007. Il y a aussi Frédéric Charlin, qui a soutenu sa thèse, également en 2009, sur la condition juridique de l'esclave en droit français.Tout deux m'ont aidé à "photonumériser" les textes, à les transcrire, à les classer. 

 
D'autres liens
Jean-François Niort est décidément un historien tourné vers le futur. Il anime pas moins de deux sites internet :
Voici son site principal et voici son autre site 
A l'Université des Antilles et de la Guyane, il travaille au CAGI -Centre d'Analyse Géopolitique et Internationale