L’échiquier politique guadeloupéen achève sa mutation

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L’analyse sur l’évolution politique en France permet de voir que cette progressive adaptation du discours politique aux réalités du monde a aussi connu sa traduction en Guadeloupe. Mais si les nouveaux repères nationaux trouvent leurs correspondances locales, loin d’être une simple duplication il s’agit bel et bien de deux évolutions parallèles.

Le schéma politique est là pour le rappeler, la Guadeloupe a toujours veillé à cultiver sa singularité. Certes, Paul Valentino aura personnifié la SFIO en Guadeloupe. Certes, c’est bien à un RPR chiraquien que Lucette Michaux-Chevry décidera d’adhérer quand elle se sera totalement éloignée de la Gauche. Mais l’un et l’autre à leurs époques respectives représentent les ultimes tentatives de la volonté d’être des relais locaux des partis français. Autour d’eux, le mouvement a toujours été de promouvoir la singularité.

le président Jacques Chirac et la présidente RPR du conseil régional de la Guadeloupe, Lucette Michaux-Chevry saluent la foule, le 09 mars 2000 à la mairie de Basse-Terre.

Ainsi, très tôt, les communistes guadeloupéens choisissent d’être un parti plutôt qu’une section du Parti Communiste Français. Ils s’estimeront comme étant des « partis frères » à égalité d’importance. Dans le même temps, René Toribio considère pour sa part que la Guadeloupe mérite son propre Parti Socialiste, avec ses propres caractéristiques et la Parti Socialiste Guadeloupéen gravitera de manière parallèle avec les représentants du socialisme français en Guadeloupe. Nationalisme et indépendantisme.

Pour autant, ce qui va toujours distinguer le panel politique guadeloupéen de celui de la France, c’est la présence de mouvements autonomistes ou indépendantistes qui vont progressivement se reconnaître dans le concept de « nationalisme ». Dans les prémices de leurs émergences, ces mouvements vont en premier lieu s’opposer à l’assimilation avant de revendiquer une souveraineté guadeloupéenne.

Pourtant, malgré les années d’activisme et les procès vécus par le camp des nationalistes, leur option politique ne recueille qu’un très faible écho dans la population guadeloupéenne. Jusqu’en 1992 où la liste conduite par Roland Thesauros de l’UPLG recueille plus de 6000 voix et obtient deux sièges au Conseil Régional présidé par Lucette Michaux-Chevry. Dans les années qui suivent, des nationalistes comme Jean Barfleur en 1995 et ce, pendant près de 20 ans et Jean-Marie Hubert depuis 2020, parviennent à conquérir et même à se maintenir à la tête de la mairie de Port-Louis. Peut-être à cause d’une implantation de longue date dans cette commune, Port-Louis permet aussi aux nationalistes d’avoir aussi une stature de gestionnaire.

  Le début des grandes mutations  

En la matière, 1990 est l’année charnière des évolutions politiques en Guadeloupe. En regardant les choses par le petit bout de la lorgnette, on se limiterait à avoir la mise en œuvre d’une association de volontés pour défaire les socialistes de la gestion de la Région. Il est vrai que la bataille politique qui va se jouer en 1992 dans un premier temps et surtout 1993, sera alors résumée par le mot de trahison, celle dont se seraient rendus coupables les membres du mouvement de Dominique Larifla contre les gardiens du temple socialiste que sont Frédéric Jalton et Félix Proto. Une trahison parce que certains membres du mouvement dissident de la Fédération Socialiste ont choisi de rejoindre pleinement celui de Lucette Michaux-Chevry.

Ary Chalus et Guy Losbar, à la cérémonie d'investiture.

Mais avec le temps, quand on voit les successeurs de Larifla et de Michaux-Chevry diriger ensemble la Région Guadeloupe et même être reconduits pour un second mandat, on comprend dès lors que les mutations des années 1990 étaient en fait les prémices du rapprochement entre une gauche socialiste qui se détache de la Maison mère parisienne et une droite qui s’affranchit localement de la tutelle chiraquienne. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir que c’est cette mouvance recomposée qui sera le soutien local d’Emmanuel Macron. D’ailleurs, entre temps, l’ancien Objectif Guadeloupe s’est mêlé au Guadeloupe Uni Socialisme et Réalité pour ne retenir que ce qu’ils ont en commun : Guadeloupe Unie Solidaire et Responsable, l’ultime fruit de la vieille grappe divergente du socialisme qu’en stratège méticuleux, Dominique Larifla a mené personnellement ou par personne interposée, jusqu’à son achèvement actuel.

Pourtant, s’il faut s’interroger aujourd’hui sur ce qui différencie le GUSR et les derniers représentants du Parti Socialiste en Guadeloupe, on ne verra pas grand-chose si ce n’est les intérêts personnels et les querelles de personne. Ainsi, quand les socialistes appellent à voter pour Emmanuel Macron, ils gardent un œil sur la manière dont ils seront perçus par les électeurs lors des échéances électorales suivantes.

Parce que le premier objectif de tout homme ou femme politique c’est d’être élu. Or, plus les idées politiques sont convergentes, plus l’image du candidat prédomine sur son éventuel programme. En l’occurrence, la dernière élection régionale est riche en enseignement mais en même temps, elle finalise la lente évolution de l’échiquier politique guadeloupéen.  

Une gauche nationaliste, un centre pluriel, et un courant souverainiste  

La configuration actuelle de l’échiquier politique guadeloupéen est encore assez compliquée. Elle présente des partis qui, malgré leur collaboration systématique et même leur référence commune sur le plan national, ne diffèrent en rien dans leur proposition politique. Les majorités municipales, départementales et régionales se font et se défont en fonction des intérêts individuels. Ainsi, depuis plusieurs années, la fédération socialiste a eu pour allié naturel le PPDG. Rien ne les différencie sur le fond mais leurs histoires respectives et leurs bastions municipaux motivent le maintien des deux formations politiques. Il en est d’ailleurs de même pour le PSG de José Toribio dont le rayonnement ne dépasse pas les frontières du Lamentin où il a en face de lui un adversaire politique proche de la Fédération Socialiste, l’actuel maire Jocelyn Sapotille. Enfin, si l’on oublie les arguments antagonistes du fait de leur personnalité, il sera, là aussi, difficile de distinguer la philosophie politique de Victorin LUREL et celle du duo Ary Chalus-Guy Losbar. Ils sont en quelque sorte la survivance de la rupture de 1992-1993 mais défendent une même orientation politique. D’où la facilité pour eux de s’entendre dans les actes dits « des élus guadeloupéens » dans le conflit socio-sanitaire de 2021-2022.

Elus et syndicats à la table des négociations, le 2 décembre 2021.

Comme sur le plan national, ce qui reste de l’ancienne droite guadeloupéenne s’est progressivement dissout dans les alliances politiques à la Région, au Département ou dans les conseils municipaux. Il ne reste guère plus que Sonia Pétro à revendiquer appartenance aux Républicains. Un choix qui à l’époque, lui permettait de s’opposer directement à Lucette Michaux-Chevry et Marie-Luce Penchard pour ses intérêts municipaux à Basse-Terre mais qui ne se traduit nullement à l’échelon du Département ou de la Région. Elle s’est d’ailleurs rapprochée du socialiste André Atallah dans la conquête de la mairie de Basse-Terre. Elle aussi suivra son parti dans le vote prôné en faveur d’Emmanuel Macron.

Cette droite là aurait d’ailleurs du mal à s’entendre avec la nouvelle droite montante, la droite souverainiste. Longtemps symbolisée par Jean-Marie Le Pen connu pour ses prises de position controversées, ce courant n’aura pas eu le droit de cité en Guadeloupe et son porteur se sera vu interdire son entrée en décembre 1987.  

Conférence de presse des organisations nationalistes suite à la visite de Marine Le Pen en Guadeloupe

35 ans plus tard, l’intervention des partis nationalistes durant un entretien télévisé n’aura pas empêché Marine Le Pen d’atterrir en Guadeloupe et d’y poursuivre sa visite. Pire, cet acte tout aussi symbolique a probablement aidé la candidate du Rassemblement National en la faisant passer pour victime des nationalistes guadeloupéens. Et surtout, sa seconde position dans les résultats du premier tour de l’élection présidentielle souligne surtout l’inadéquation entre les positions des partis nationalistes et le positionnement d’une partie de l’électorat guadeloupéen. Il faut, pour comprendre ce vote, s’intéresser à ceux vers lesquels le Rassemblement National s’est rapproché en Guadeloupe durant la campagne des élections européennes : les agriculteurs et les pêcheurs.

Marine le Pen, candidate à la présidentielle, s'est rendue Guadeloupe.

Ces deux filières sont opposées aux directives européennes. En effet, elles ne bénéficient plus du privilège de la nation favorisée en matière d’agriculture, ce qui les prive de perspectives pour la banane en concurrence avec les productions des pays ACP mais aussi pour la canne puisque le sucre des Antilles est lui aussi concurrencé. Quant aux pêcheurs, les limitations de production et périmètre restreignent tous leurs souhaits de développement. Une politique qui a fait le lit d’un sentiment anti-européen et apporté à Marine Le Pen des soutiens indéfectibles en Guadeloupe alors même que les autres partis sont souvent muets sur ce qui concerne ces filières professionnelles.

Un vote décomplexé

Mais aujourd’hui, ils ne sont pas les seuls. Le vote en faveur du Rassemblement National regroupe tous ceux que l’idée nationaliste effraie autant que les orientations européennes. Et comme les composantes du centre pluriel parlent aujourd’hui de « domiciliation du pouvoir », sans toujours s’expliquer sur ce qu’elles souhaitent vraiment, elles contribuent de fait à augmenter le réservoir de voix de Marine Le PEN en Guadeloupe qui devient dès lors le recours naturel d’une population qui a toujours eu en son sein des tenants du souverainisme français, ceux qui savaient pourquoi ils souhaitaient l’assimilation.

Une assimilation, on l’a vu, qui a été le premier catalyseur des mouvements qui évolueront ensuite vers le nationalisme. L’élection régionale de 2021 aura comporté à plus d’un titre de nombreux enseignements pour comprendre la nouvelle carte politique de la Guadeloupe et le conflit sanitaire et social en aura été le point d’exclamation.

Les militants de l'ANG proclamant l'hymne patriotique pendant leur congrès fondateur du 30 janvier 2022

Si elle a contribué à accentuer la redéfinition du centre pluriel, elle a aussi été l’occasion de l’émergence d’une nouvelle  orientation politique. Née d’une formation déjà existante, l’Alliance Nationale Guadeloupe s’illustre par une nouvelle manière de prôner le nationalisme en Guadeloupe. Formation jeune avec des militants à peine marqués politiquement, l’ANG représente un renouveau politique en Guadeloupe. Leur volonté de mettre l’accent sur l’aspect pédagogique va plaire à de nombreux jeunes. Et l’action menée par des artistes au Centre des Arts a contribué à galvaniser l’aura du mouvement. De fait, les anciens mouvements et partis nationalistes ont très vite appris à composer avec cette nouvelle formation qui capte plus facilement les jeunes alors qu’eux ont du mal à élargir leur assise.

La montée de l’ANG à l’occasion des élections régionales n’aura d’ailleurs pas été une bonne nouvelle pour l’UGTG. L’organisation syndicale qui a inscrit dans sa charte l’aboutissement à l’autodétermination par tous les moyens, y compris de manière insurrectionnelle, n’avait probablement pas prévu de composer avec cette nouvelle orientation politique. Le conflit sanitaire et social oblige les deux tendances à s’entendre diplomatiquement. Mais la percée de l’ANG aux Régionale lui a donné une crédibilité que toute la famille nationaliste doit désormais prendre en compte. Surtout en raison de sa force d’attractivité. 

Elle a d’ailleurs contribué à la mobilisation autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Ses jeunes adhérents et électeurs ayant dans leur ADN le désir du changement et le rejet total des thèses du Rassemblement National sont par essence même opposés aux partis du centre pluriel accusés d’être la cause de l’immobilisme dans lequel ils estiment que la Guadeloupe se trouve. Bien plus nombreux que les membres réels de La France Insoumise en Guadeloupe, ils auront été pour leur leader une vraie force d’appoint. Et il ne faudrait pas être surpris de les voir choisir de ne pas voter au deuxième tour plutôt que de devoir choisir entre le centre et la droite.

De fait, l’ANG concrétise l’idée que  la Guadeloupe comme la France a rebattu ses cartes politiques pour aboutir à l’identification de trois grandes tendances politiques : La gauche radicale, le centre pluriel et la droite souverainiste. Mais en Guadeloupe, c’est l’idée nationaliste qui fédère la nouvelle gauche. Enfin, comme sur le plan national, la guerre des individualités peut encore masquer cette refonte du paysage politique, jusqu’au moment où ces individus auront eux-mêmes quitté la scène politique, et que leurs successeurs fassent preuve de réalisme politique et s’inscrivent eux aussi dans l’histoire.  

(VOIR : 2022 , l'aboutissement d'une longue évolution politique en France)