Le Gwo Ka, patrimoine guadeloupéen, est en train de réussir sa conquête du monde.
Le mercredi 26 novembre 2014, l’UNESCO, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, a inscrit le Gwo Ka guadeloupéen sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Les fervents défenseurs du Gwo Ka ont exprimé leur satisfaction et leur fierté. Parmi eux, Max Diakok, danseur professionnel et chorégraphe de la compagnie Boukousou, interviewé par Laura Philippon, le jour de l’annonce de l’UNESCO :
Pour moi, c’est un hommage rendu aux ancêtres qui, malheureusement, n’ont pas été sous les feux des projecteurs et qui, pourtant, le méritaient. Ces ancêtres, qui ont œuvré pour le Gwo ka, qui ont permis son émergence et même sa survie, au moment où beaucoup dénigraient cette danse et cette musique. Pendant l’esclavage, le Gwo ka était interdit, jusque dans les années 60, il était méprisé. Certains parlaient de "Biten a nèg" (truc de voyous, de nègres, en créole). Alors, pour moi, cette inscription au patrimoine mondial c’est un hommage posthume à tous ces Maîtres Ka, qui ont continué à faire vivre le Gwo ka, à le jouer, à le danser, à y croire, malgré les obstacles. Mes pensées sont pour eux.
Max Diakok, danseur professionnel, chorégraphe de la compagnie Boukousou
Pour lire l’intégralité de l’interview de Max Diakok, cliquer ici.
Mais de quoi s'agit-il ?
Il est question d’expression culturelle et artistique ; de musique, de chants, de danses et de pratique culturelle représentatifs de l’identité guadeloupéenne.
Le Gwo Ka est donc pluriel.
Il rassemble et se partage, car il se vit en communauté : public, musiciens et chanteurs forment un cercle, au milieu duquel évoluent les danseurs, selon leur bon vouloir.
Dans cet ensemble, pour autant, chacun est invité à exprimer son individualité, via des séquences d’improvisation.
Au fil du temps...
Le Gwo Ka s’est extrait des exclusives soirées traditionnelles d’antan (les "léwòz") et des veillées mortuaires, pour se dévoiler aussi au grand jour, dans les rues, jusque sur les plus grandes scènes du monde, par l’intermédiaire de groupes locaux, mais aussi de formations extérieures à l’archipel, qui ont adopté ce mode d’expression.
Le Gwo Ka est enseigné dans plusieurs pays, qu’il s’agisse de la danse, ou encore du tambour (appelé Ka).
Des festivals lui sont consacrés, outre en Guadeloupe (celui de Sainte-Anne fêtait ses 33 ans, en juillet 2020), il en existe aussi à Paris, ou encore à Montauban (dans le Sud de la France hexagonale).
Le son du Ka a aussi résonné, à la Villette, à Paris, pour le dernier jour du Festival de Jazz, le dimanche 13 septembre 2020. Rien d’étonnant quand on sait que Jazz et Gwo Ka ont en commun l’improvisation et leurs origines africaines. Sur scène, cinq Guadeloupéens de grand talent : Sonny Troupé (Batterie, Ka), Arnaud Dolmen (Batterie, Ka), Christian Laviso (Guitare) , Jonathan Jurion (Clavier) et Olivier Juste (Ka). Ensemble, ils ont présenté leur "Gwo Ka Pwojè", où les percussions traditionnelles guadeloupéennes sont aux avant-postes du Jazz.
A (re)voir le reportage de Louis Otvas, Leïla Zéllouma et Daniel Quellier :
A écouter absolument : la playlist de Sonny Troupé des six morceaux essentiels du Gwo Ka et sa playlist spéciale « Gwo Ka Pwojè », présentée au Festival de Jazz 2020 de la Villette, à Paris, le 13 septembre 2020 : cliquer ici !
Quand l'identité guadeloupéenne s'ouvre au monde
A l’occasion de la reconnaissance du Gwo Ka, comme patrimoine de l’humanité, l’UNESCO permettait au monde de découvrir la Guadeloupe, en même temps que ce pan important de la culture locale, via cette présentation vidéo (© 2013 by REPRIZ) :
Avec Léna Blou, danseuse, chorégraphe, chercheuse et précieuse ambassadrice de la culture guadeloupéenne, le Gwo Ka s’est mué en Technika, qui s’appuie sur le concept du « Bigidi ». Il s’agit d’une philosophie qu’elle continue d’explorer dans toutes ses créations, selon laquelle l’être qui vacille ne tombe pas.
Une méthode que Léna Blou explore et inculque au plus grand nombre, à travers le globe, comme en témoigne ce reportage (janvier 2020) :
Et, donc, le monde s’est saisi de cette culture, comme par exemple, la chanteuse, danseuse et percussionniste, Ceïba, qui a magistralement repris le titre de Boulagyèl "Evariste Siyèd lon" du groupe Kan’Nida de Sainte-Anne (Guadeloupe). Cela, avec la complicité de Valérie Chane Tef (piano, chœurs), Franck Leymerégie (percussions, chœurs) et Jeremy Pagis (Contrebasse, chœurs) :
Gwo Ka et militantisme
Le Gwo Ka est hérité des Africains déportés aux Antilles, pour y être réduits en esclavage.
Il a résisté au déracinement de ces hommes et de ces femmes, à l’interdit, au dénigrement, aux divers traumatismes d’une population sans repère qui a dû se reconstruire, se recréer. Le Gwo Ka s’est finalement érigé en lien cimentant les êtres de Guadeloupe.
Une genèse qui en fait une musique de "Rézistans", un élément puissant de la lutte pour la justice, des descendants de ces personnes jadis asservies.
Ainsi, c’est au son du Ka, que le Mouvement international pour les réparations (MIR) Guadeloupe et le Mouvman Rézistans ont initié la manifestation "100 vwa pou di mèsi" (Traduction du créole guadeloupéen : 100 voix pour remercier). Ils ont communément rendu hommage aux ancêtres et à ceux qui, au fil des années, ont fait vivre la culture. C'était le dimanche 26 juillet 2020, sur le site du "Fondal Ka" de Petit-Canal, où trônent douze totems, en l’honneur de douze "Tambouyè" Guadeloupéens, que l’on appelle aussi des Maitres Ka.
Le MIR Guadeloupe, comme son nom l’indique, lutte pour obtenir, des Etats, des réparations, suite à la mise en esclavage d’êtres humains, à travers le monde et en Guadeloupe particulièrement. Mais le mouvement prône aussi ce qu’il appelle l’autoréparation, qui passe par une réappropriation de la culture.
Gwo Ka et politique
L’enseignante et figure du Gwo Ka, Marie-Héléna Laumuno, a mené un travail de recherche, dans le cadre d’un master en sciences humaines et sociales. Ainsi est né l’ouvrage "Gwo ka et politique en Guadeloupe – 1960/2003 : 40 ans de construction du pays", paru en 2019, aux éditions L’Harmattan.
L’auteur y met en évidence les textes des chansons Gwo Ka, qui racontent l’histoire politique du territoire.
En Guadeloupe, la chanson est un art de vivre qui véhicule les codes et les valeurs de la société. Elle est le miroir de la culture. Elle est même exutoire. Pas étonnant qu'elle se voit confier par quelques auteurs et compositeurs, entre les années 1960 et 2003, une mission politique. Les textes sont révélateurs de cette dimension. Ils renseignent sur le sentiment d'appartenance de la Guadeloupe à l'Etat, à savoir la France, et sur l'enracinement du lien qui crée la confiance des citoyens.
Marie-Héléna Laumuno, auteur de "Gwo ka et politique en Guadeloupe – 1960/2003 : 40 ans de construction du pays"
Christelle Martial a consacré un numéro de sa chronique radio "Papier d’Identité", à ce livre et à son auteure, le 15 septembre 2019 :
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Transmission et pérennisation du Gwo Ka, d'une génération à l'autre
Sans les ancêtres, la culture et le patrimoine ne seraient pas. C’est une certitude.
Mais alors que le Gwo Ka a longtemps été dénigré et considéré comme une affaire de "nègres" peu fréquentables, il a bien fallu aussi compter sur des militants contemporains, pour perpétuer cette tradition.
Les noms d’une poignée de Maître Ka sont régulièrement évoqués, notamment l’incontournable Marcel Lollia, dit "Vélo", Robert Loyson, Guy Konkèt surnommé "l’âme du Gwo Ka", Gaston Calixte dit "Chaben", ou encore Gérard Lockel, qui a ouvert la voie du GwoKa Moderne et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la musique Gwo Ka.
Par ailleurs, la relève est assurée.
Le Gwo Ka est enseigné dans nombreuses écoles. Les enfants le dansent et le jouent.
Et puis, certains jeunes le développent et le défendent. C’est le cas de Loïc Emboulé et des membres du groupe 7 Son a To.
Les bienfaits du Gwo Ka
Alors que la population guadeloupéenne vivait cloitrée à domicile, durant le confinement et en pleine épidémie de Covid-19, quelques fervents défenseurs de la culture locale, parmi lesquels le leader du groupe Kalbas Ka, Teddy Pélissier, ont lancé l'idée de faire résonner les Ka de l'archipel, à heure fixe, tous les soirs. Objectif de cette initiative : vivre un moment de communion, malgré la distance les uns des autres.
Un moment baptisé "Bay fos, pran fos" (traduction du créole guadeloupéen : "Donne de la force à autrui et reçois-en en retour")
Pour ajouter une touche de spiritualité à cette initiative, les participants allumaient une bougie, avant de commencer à jouer, pour demander aux ancêtres leur protection.
Une idée qui a vite remporté l'adhésion de nombreux "Tambouyés", toutes générations confondues, confirmés et débutants.
C'est ainsi qu'à 21h00, pendant 15 minutes, tous jouaient le même des sept rythmes du Gwo Ka.
La nuit du 22 mars 2020, c’est le rythme "kaladja" qui était à l’honneur :
A LIRE AUSSI : CONFINEMENT : "Bay fos, pran fos" au son du Ka, à 21h00, tous les soirs.
Le Gwo Ka a, donc, la faculté de réchauffer les cœurs et d’unir les êtres.
C’est aussi une méthode thérapeutique !
L’établissement de service d’aide par le travail (ESAT) "Alizé", de Baie-Mahault, l’a expérimenté, avec des travailleurs en situation de handicap : ces derniers ont été invités à jouer du Gwo Ka, pour s’épanouir individuellement et collectivement. Et cela a fonctionné, comme on peut le constater dans ce reportage tourné en avril 2019 :