Ce vendredi soir (22 mars 2024), l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe (UPLG) et plusieurs associations patriotiques vont commémorer les trois jours d’émeutes vécus à Basse-Terre.
Souvenez-vous : les 20, 21 et 22 mars 1967, la ville s’est embrasée suite à une agression. Le gérant du magasin de chaussures "Sans pareil", situé à l’époque sur le Cours Nolivos, a incité son chien à mordre un cordonnier de rue, installé devant sa boutique. Cet épisode a été le point de départ d’un soulèvement populaire (des milliers de personnes vont descendre dans les rues du chef-lieu de la Guadeloupe) et d’une vague de répression.
Un acte raciste qui met le feu aux poudres
Ce sera l’altercation de trop ! Le 20 mars 1967, pour la énième fois, le commerçant d’origine tchèque Vladimir Snarsky s’en prend verbalement à un cordonnier installé sur le trottoir. Il s’agit de Raphaël Balzinc, un homme en situation de handicap qui tente de gagner de quoi vivre en proposant un service de réparation de chaussures. Pour le gérant de l’enseigne "Sans pareil", Balzinc n’a rien à faire là et, cette fois-ci, pour bien le lui faire comprendre, il utilise son Berger allemand.
Il a lâché son chien sur Balzinc en lui disant : "Va dire bonjour au nègre". Bien entendu, le chien a mordu Balzinc, qui s’est mis à hurler et à appeler au secours.
Jean-Jacob Bicep, secrétaire général de l’UPLG [traduction du créole]
Les passants ayant observé la scène réagissent d’emblée. S’ensuivront plusieurs jours d’émeutes.
La population converge vers la ville, pour dénoncer cet acte raciste. La colère de la foule s’exprime de multiples manières. Les deux voitures du commerçant ont été incendiées, puis jetées à l’eau.
Le commerçant est exfiltré, par les forces de l’ordre, pour éviter un lynchage, habillé en femme pour ne pas être reconnu.
Ça dégénère parce que les gens sont en colère. La population de Basse-Terre n’admet pas cette forme de "pwofitasyon" de la part de Snarsky sur Balzinc. Du coup, les émeutes éclatent et les gens pillent le magasin « Sans pareil ». Les émeutes ont duré trois jours, dans toute la ville.
Jean-Jacob Bicep, secrétaire général de l’UPLG [traduction du créole]
Une crise sociale, sociétale et politique
Ces trois jours d’émeutes à Basse-Terre, en mars 1967, racontent bien plus qu’un litige entre deux hommes. Le peuple se soulève, sans doute face à cet acte de racisme décomplexé, mais aussi parce que la situation sociale du pays est calamiteuse. Une grande misère gangrène le peuple et la répression de l’Etat est implacable, notamment contre les mouvements indépendantistes.
Justement, des militants patriotiques, notamment du Groupe d'organisation nationale de la Guadeloupe (GONG), se rendront à Basse-Terre pour organiser la révolte, face à des forces de l’ordre bien décidées à étouffer ce soulèvement populaire.
Deux mois plus tard, la répression sera bien plus sanglante à Pointe-à-Pitre, contre des ouvriers du bâtiment entrés en grève le 26 mai 1967. Officiellement, on parle de 8 morts. Mais c’est un massacre qui ne veut pas dire son nom.
Ces deux évènements sont effectivement liés. On peut aussi dire qu’il y a toujours la même réponse, de la part de l’Etat : une répression violente, chaque fois qu’il y a une manifestation (...). Comme Frantz Fanon le disait : la violence coloniale qu’ils exercent, on la retrouve dans la violence de la société guadeloupéenne, à travers tous les actes de violence que nous déplorons.
Jean-Jacob Bicep, secrétaire général de l’UPLG [traduction du créole]
Selon le rapport de la commission d’enquête Benjamin Stora, certains militants nationalistes seront directement visés et tués, lors de ce que l’on appellera les évènements de Mai 67 en Guadeloupe.
Une commémoration plurielle
Ce vendredi soir, 57 ans après ces faits, un rassemblement est prévu face à l’ancien magasin "Sans Pareil" au Cours Nolivos, à Basse-Terre, dès 19h. Historiens, musiciens, poètes, conteurs, tambouyés... mettront en mots et en sonorités cette histoire.
Le devoir de mémoire, sur la résistance et les luttes menées pour la dignité du peuple de Guadeloupe, est essentiel, pour les acteurs de l’UPLG.