Cruciales discussions autour du prix de la canne pour les six prochaines campagnes sucrières

Mesure saccharimétrique d'un chariot de cannes-à-sucre au centre de transfert de Béron, à Sainte-Rose.
La filière canne-sucre est à un tournant décisif que les acteurs s’attèlent de négocier ensemble. Des négociations à plusieurs niveaux sont en cours. Il s'agit de déterminer le véritable prix de la tonne de canne-à-sucre au sein de l’Iguacanne. Cette interprofession discute aussi avec l’Etat, en vue de la mise en place de la nouvelle "Convention canne 2023-2028", qui fixe les subventions à venir.

A quel prix sera payée la canne vendue aux sucreries de Guadeloupe, lors des six prochaines campagnes ? C’est tout l’enjeu des négociations démarrées il y a plusieurs semaines. Ces discussions, débutées le 16 novembre 2022, sont menées sur deux fronts. D’une part, elles ont lieu entre l’Interprofession et l’Etat, pour élaborer la nouvelle "Convention canne 2023-2028" ; celle-ci va fixer le montant des aides publiques versées aux planteurs et aux industriels. Par ailleurs, elles ont cours au sein même de l’Iguacanne*, entre usiniers et producteurs, pour négocier le prix payé par les sucreries, dans le cadre de l’ "accord interprofessionnel". Tout cela dans un contexte d’inflation et d’augmentation des coûts de production, subie à tous les échelons de la filière.

Les aides publiques aux acteurs de la filière "canne-sucre"

Les cannes vendues aux sucreries sont rémunérées en grande partie par des subventions, à commencer par ce qu’on appelle l’ "aide à la garantie de prix" (AGP) ; l’Europe, mais surtout de l’Etat, mettent la main à la poche.

Selon la précédente "Convention canne" (2016-2022), le montant de cette AGP s’élevait à 30 € par tonne pour les cannes à 9% de richesse saccharine, jusqu’à 1 000 tonnes livrées (et 27 € pour les suivantes). Mais cette aide à la production est devenue insuffisante, ces dernières années où, justement, les coûts de production agricole (dont les engrais et les herbicides) ont explosé, sous l’effet notamment de la guerre en Ukraine.
L’Interprofession propose donc une revalorisation de 3 € par tonne. Et, cela, toujours sur l’enveloppe forfaitaire annuelle de 20,1 millions d’euros allouée à la Guadeloupe, qui sera maintenue, même si la production de canne a chuté à moins de 500.000 tonnes. 

A propos du délai de paiement, très longs, de cette AGP, la nouvelle convention devrait acter une avance globale d’au moins 60%, en début de campagne (après le démarrage de la récolte) ; le solde serait payé en septembre. Il serait donc question de deux versements, au lieu de sept à huit, comme jusqu’à présent. Les planteurs devraient ainsi disposer d’une trésorerie, en début de campagne.

Ces derniers vont aussi percevoir une nouvelle aide nationale, hors AGP, qui vise à compenser les surcoûts de production de la canne, par rapport à la betterave. Cette subvention a été acceptée en juillet dernier, par Bruxelles. Elle va figurer dans la nouvelle "Convention canne". L’enveloppe globale s’élève à 19 millions d’euros par an, jusqu’en 2028, pour les trois régions d’Outre-mer productrices de sucre, à savoir la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. 4,6 millions d’euros reviennent à la Guadeloupe. Il s’agit cette fois d’une aide, non pas au tonnage, mais à la surface, avec un montant plafonné à 447€ par hectare, calculé sur la base des quelques 10.300 hectares de canne cultivés en Guadeloupe, pour le sucre. Pour la campagne 2023, le versement de cette nouvelle aide ne devrait pas être effectif avant février 2024.

A noter que la Région Guadeloupe participe aux négociations entre l’Iguacanne et l’Etat ; la collectivité devrait être signataire de la nouvelle convention, vu son engagement financier pour soutenir la filière, en particulier à Marie-Galante.

Fixation du bon prix de la canne, au sein de l’interprofession

En parallèle, des rencontres entre les planteurs et les sucreries se tiennent donc aussi. Ces acteurs de la filière "canne-sucre" tentent de s’entendre sur le prix industriel de la canne.

Ce prix devrait être fixé pour six ans, lui aussi, à travers un accord interprofessionnel entre, d’un côté les deux sucreries (Gardel et la Sucrerie-Rhumerie de Marie-Galante) et, de l’autre, les planteurs, représentés par les syndicats agricoles et les SICA cannières, via le groupement d'intérêt économique, le GIE-canne.
Depuis le dernier accord, qui remonte à 2018, la tonne de canne à 9% de richesse est payée 32,34 € par les usines. 

Outre l’augmentation du prix, certains syndicats demandent une révision de la formule de calcul de la richesse saccharine, qui date des années 1970. Car les critères utilisés pour ce calcul n’ont pas suffisamment intégré les évolutions techniques des usines, notamment leur capacité d’extraction du sucre contenu dans les cannes. La formule actuelle est basée sur un taux d’extraction potentiel moyen de 84% (coefficient Km de 0,840). Or, selon l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe (UPG) et la Confédération syndicale agricole des exploitants familiaux (MODEF), Gardel, plus performante que la sucrerie de Grande-Anse, approcherait aujourd’hui les 100% d’extraction. L’usine du Moule vendrait ainsi près de 20 % de sucre de plus que celui acheté aux planteurs, selon les syndicats agricoles. Ces derniers mettent en avant le rapport de Thierry Berlizot, remis au ministère de l’Agriculture en 2017, qui invitait justement la filière à engager des discussions pour aboutir à une nouvelle formule de fixation du prix de la canne à sucre en Guadeloupe. Un rapport resté sans suite. Les usiniers vont présenter leurs chiffres et leurs propositions. 

Mais les producteurs ne sont pas les seuls à revendiquer. Parmi leurs coûts de production, il y a les frais de récolte. Et justement, les opérateurs de coupe, confrontés à la hausse des prix des carburants et des pièces détachées, réclament une révision des tarifs de leurs prestations, facturées aux planteurs. L’an dernier, après un mois de blocage en début de campagne, ces entreprises de travaux agricoles, qui demandaient une revalorisation de 3,60 € par tonne, avaient obtenu une hausse de 2,60 € (dont 1 € pris en charge par les planteurs, 1 € par les usines et 60 centimes par la Région). Mais cet accord n’était valable que pour la récolte 2022. L’élaboration d’une nouvelle grille tarifaire pour la coupe et le transport de la canne fait donc aussi partie des négociations en cours.  

Et voilà qu’entrent en jeu les transporteurs, sous-traitants des opérateurs de récolte, et qui estiment eux aussi perdre de l’argent. Les entreprises de transport du Nord Basse-Terre, qui acheminent les cannes des champs jusqu’au centre de transfert de Béron à Sainte-Rose, viennent de se constituer en groupement et veulent être reçus par l’Iguacanne. Ils veulent négocier directement une hausse de la partie transport de la grille et demandent aux opérateurs de leur reverser l’intégralité du tarif prévu pour cette prestation.

A travers les négociations sur le prix de la tonne de canne, chaque maillon de la filière tente donc de sauver ses revenus pour les six ans à venir. 

Pour aller plus loin/

  • ATCL et prime bagasse  

Parmi les autres composantes du revenu des planteurs de canne, qui vendent leur production aux sucreries, il y a l’aide à la tonne de canne livrée (ATCL). Il s’agit d’une aide européenne, destinée à compenser en partie les coûts de production liés aux handicaps structurels (topographie contraignante, coût des intrants et du transport…). Son montant va de 3,90 € à 5,98 € par tonne, selon la zone de production. Le versement, prévu l’année suivant la campagne en cours, n’intervient souvent qu’en juin. Afin d’accélérer l’instruction des dossiers et le paiement, la Direction de l’agriculture propose de simplifier le mode de calcul.
La "recette bagasse-énergie" concerne uniquement les planteurs de la Guadeloupe dite continentale, où ce co-produit de la canne est valorisé par une centrale thermique. Le prix de base est de 14,50 € par tonne de canne. Le dernier arrêté interministériel, qui régit cette subvention de l’Etat, prévoit un complément jusqu’à 3 € par tonne, si la bagasse livrée par le planteur atteint un taux de fibre moyen supérieur à la moyenne globale de référence du territoire. 

 

*Iguacanne (Interprofession guadeloupéenne pour la canne-à-sucre) : cette entité regroupe les producteurs (planteurs de canne) et les transformateurs (L’usine Gardel au Moule et la Sucrerie Rhumerie de Marie-Galante).