Peut-on imposer aux usagers d’accomplir des démarches administratives en ligne ? La réponse du Conseil d’Etat, formulée le 3 juin dernier, est non, pas dans tous les cas.
Ainsi, la plus haute juridiction a retoqué le gouvernement, concernant les démarches exclusivement accessibles en ligne, en particulier pour les étrangers.
Elle exige de l’Etat qu’il prévoit une solution de substitution au tout numérique et de mieux accompagner les usagers dans leur demande de titres de séjours. Concrètement, cela revient à prévoir à nouveau un accès physique aux préfectures, pour certains cas.
Cette décision est synonyme de victoire, pour les associations d’aide aux étrangers, requérantes dans ce dossier.
Un an de tout numérique
C’est en mars 2021 que le Gouvernement a imposé aux personnes étrangères souhaitant obtenir un titre de séjour, en France, de déposer leur demande par Internet, via un téléservice.
La dématérialisation est généralement présentée comme un moyen de faciliter les démarches, voire de rapprocher les administrés des services publics.
Mais dans le cas des étrangers, cela est loin de coller à la réalité. A cause notamment de la barrière de la langue, de l’accès à un poste informatique, ou encore de la connaissance des outils numériques.
Or, s’il est possible de rendre obligatoire un téléservice, il faut des garanties, selon le Conseil d’Etat.
Il s’avère justement que l’accès à la plateforme dédiée au service public de demandes de titres de séjour est difficile, pour les usagers. Les droits de ceux-ci ne sont donc pas garantis. Dans ce cas, la dématérialisation se mue en "outil d’exclusion", selon la formule de Mathias Haurat, le président de la CIMADE Guadeloupe, qui rappelle à quel point le processus était un parcours du combattant, pour les étrangers :
La dématérialisation, c’était une manière de cacher la misère sous le tapis ! Mais, en fait, la situation s’était largement empirée, parce que ça a des conséquences humaines très fortes, en termes de respect des droits des personnes étrangères. Nous, on qualifie cela de maltraitance institutionnelle. Parfois, même quand elles réussissent à avoir un rendez-vous et qu’il manque éventuellement une pièce, on leur demande de reprendre rendez-vous sur Internet ; chose qu’elles n’arrivent pas à faire !...
Mathias Haurat, le président de la CIMADE Guadeloupe
C’est ainsi que certaines demandes sont en souffrance, en Guadeloupe, depuis plusieurs années, alors que les critères sont réunis depuis longtemps.
Mathias Haurat estime que le problème va bien au-delà d’un dysfonctionnement technique. Il parle d’un dispositif discriminatoire, puisque les services de l’Etat sont inaccessibles aux personnes étrangères, de très longue date.
C’est une volonté générale, de l’Etat français et, également de la préfecture de la Guadeloupe, de délivrer le moins de titres de séjour possible.
Mathias Haurat, le président de la CIMADE Guadeloupe
La décision du Conseil d’Etat
Pour certaines démarches particulièrement complexes et sensibles, le texte qui impose l’usage obligatoire d’un téléservice doit prévoir une solution de substitution : tel est le cas pour les demandes de titres de séjour.
Décision du Conseil d’Etat – 03/06/2022
Le Conseil d’État fixe deux conditions pour que l’obligation d’utiliser un téléservice, pour les demandes de titres de séjour, soit légale.
Tout d’abord, les usagers qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques, ou qui rencontrent des difficultés dans leur utilisation de l’outil, doivent pouvoir être accompagnés.
Ensuite, s’il apparaît que certains usagers sont dans l’impossibilité, malgré cet accompagnement, de recourir au téléservice, pour des raisons tenant à sa conception ou à son mode de fonctionnement, l’administration doit leur garantir une solution de substitution.
A l’heure actuelle, seule la première condition serait respectée par le gouvernement.
Maintenant que le Conseil d’Etat a tranché, c’est le soulagement du côté de la CIMADE, notamment à l’origine de la saisine.
Ses acteurs attendent de voir comment la préfecture de la Guadeloupe (et les autres de France) va se conformer à cette décision de l’Institution et mettre en œuvre un "réel accès aux services publics, pour les personnes étrangères".