Les jeux sont-ils faits ? Une petite musique prétend que les résultats réels du scrutin seront conformes aux intentions de vote exprimées dans les enquêtes d’opinion. En quelque sorte, les sondages font l’élection présidentielle. Une théorie d’autant plus surprenante qu’elle va à l’inverse de l’esprit des sondages et des logiques sociologiques à l’oeuvre dans l’espace politique.
Selon les promoteurs de cette thèse, les innombrables études d’opinion publiées depuis septembre 2021 donneraient un avant-goût des résultats qui seront enregistrés le 10 avril 2022. C’est oublier un peu vite qu’il reste une dizaine de jours de campagne d’ici là. Un temps durant lequel l’opinion publique peut connaître des tendances contradictoires ou des éléments imprévisibles que ne peuvent pas prendre en compte un sondage.
La photographie n’est pas le paysage
Certains ne permettent pas de mesurer la complexité de la société. D’autres comportent des biais méthodologiques occultant partiellement la réalité. D’où la nécessité de se fier en priorité à des enquêtes bâties sur un échantillon réellement représentatif des catégories et sous-catégories de citoyens. Par exemple, celle commandée par la Fondation Jean Jaurès à l’institut Ipsos et réalisée avec la collaboration de chercheurs de Sciences Po Paris et publiée par le journal Le Monde.
La septième vague de cette vaste enquête commencée en avril 2021, a été rendue publique ce 15 mars 2022. Son échantillon de plus de 16 000 personnes permet d’approcher au plus près les tendances électorales visibles et sous-jacentes.
Tout d’abord, cette enquête mesure l’intérêt des électeurs potentiels pour la campagne présidentielle : 74% des personnes interrogées disent s’y intéresser et 26% déclarent un intérêt moyen ou nul. Tout pronostic définitif est donc hasardeux.
L’institut évalue aussi la probabilité de l’abstention : 67% des électeurs potentiels se déclarent certains d’aller voter, 11% le sont presque et 22% disent vouloir s’abstenir. Ces proportions n’avaient pas encore été atteintes pour une campagne présidentielle.
Les choix des électeurs pour tel ou tel candidat doivent être analysés à la lumière de ces deux données majeures révélées par Ipsos : un cinquième des citoyens se déclare abstentionniste et les trois-quarts des 78% votants potentiels portent un réel intérêt au débat public.
Nul n’est obligé de donner son opinion réelle
En outre, une proportion significative des électeurs potentiels peut encore changer d’avis quant à son bulletin de vote. L’électorat reste fortement dispersé entre les douze candidats, même si les cinq premiers classés en termes d’intention de vote agrègent les trois-quarts de celles-ci. Ce qui est illustré par les reports théoriques de voix des candidats ou des forces politiques présentes en 2017.
Le président sortant, la candidate du Rassemblement national et le chef de la France insoumise cristallisent leur électorat d’il y a cinq ans, mais tous les citoyens n’ont pas encore effectué leur choix définitif. C’est ce qui ressort des avis des 16 000 personnes interrogées.
Lesquelles ne sont pas tenues de révéler leur opinion réelle ni de dévoiler leur comportement électoral. Des incertitudes difficilement quantifiables et susceptibles de donner des résultats trompeurs quant aux intentions de vote.
En conclusion, si les sondages font l’élection, alors laissons les instituts d’études élire le chef de l’Etat à notre place. Les choses seront ainsi plus simples, n’est-ce pas ?