Entre pénuries et interdictions de consommer l’eau, les Guadeloupéens trinquent

L'achat de packs d'eau est un incontournable pour de nombreux Guadeloupéens, alors que la ressource distribuée n'est pas fiable.
Un cycle sans fin. Il y a toujours pléthore d’interdictions de consommer l’eau du robinet et de perturbations (casses de canalisation, travaux, pénuries...) en Guadeloupe. Les usagers n’ont d’autre choix que de se débrouiller ; mais à quel prix ? Acheter de l’eau potable, obtenir de quoi se laver, cuisiner, faire son ménage ou encore laver son linge, dans la réalité, cela n’est pas à la portée de tous.

Quand j’étais petite, à la maison, on remplissait chaque jour des bouteilles en verre d’eau du robinet, que l’on mettait au réfrigérateur. C’est la seule eau que nous consommions, dans notre foyer. Aujourd’hui, chaque semaine, je dois acheter des packs d’eau, pour boire une ressource fiable. Nous n’avons plus confiance en celle qui est distribuée au robinet, trop souvent impropre à la consommation... quand il y en a.

Une Guadeloupéenne quadragénaire

Voilà à quel régime sont soumis les Guadeloupéens depuis plusieurs années. Ils sont appelés à payer leurs factures d’eau, dont les montants ont considérablement augmenté, ces dernières décennies ; ce, qu’il y ait de l’eau, ou pas et malgré les récurrentes interdictions de consommer l’eau, à cause de contaminations bactériologiques d’origines diverses.

Ainsi, les années se succèdent, sans une résolution des nombreux problèmes connus, sur le réseau et quant à la gestion de ce liquide indispensable. La fin du calvaire n’interviendra pas à courte échéance.

L’eau, un mot qui rime avec casse-tête

L’indisponibilité de l’eau, ou encore sa non-potabilité et les restrictions qui en découlent ont des répercussions, qui peuvent être dramatiques pour les personnes les plus vulnérables. Beaucoup d’entre elles sont dans l’incapacité de s’approvisionner en packs d’eau, faute de budget ou parce qu’elles dépendent des transports en commun.
Autres conséquences, en cas de coupure d’eau, notamment : les parents d’élèves sont régulièrement face à un casse-tête, quand il s’agit de faire garder leurs enfants, parce que les établissements scolaires sont dans l’incapacité de les accueillir.
Des élèves qui, chaque jour, doivent avoir une bouteille d’eau dans leur sac d’école, pour avoir une eau saine à boire, tout au long de la journée ; une difficulté supplémentaire pour les familles, surtout quand il y a plusieurs enfants à la maison.

Un exemple parmi tant d’autres : actuellement, depuis le 6 octobre dernier, l’eau n’est pas potable dans trois communes, à savoir les Abymes, Morne-à-l’Eau, Pointe-à-Pitre.
Mais une résidente d’un quartier concerné par l’alerte de l’Agence régionale de santé (ARS) nous a fait une glaçante confidence :

Pour tout vous dire, je consomme l’eau du robinet quand même. Je ne sais pas ce que ça va donner pour ma santé, parce qu’elle est quand même fragilisée. Et, pour les enfants, comme ils sont collégiens et lycéens et que les établissements du second degré ne sont pas fermés, il faut les munir d’une bouteille d’eau chaque jour.

Julienne, habitante de la résidence Calebassier à Pointe d’Or (Les Abymes)

Tous ceux qui sont confrontés à ces problèmes sont lassés d’une telle situation :

Je trouve que c’est aberrant, en Guadeloupe, qu’on se retrouve, en ce siècle, à n’avoir pas d’eau potable à boire chez nous, dans nos robinets ! Et on paie l’eau pourtant !

Francine, habitante de la résidence Calebassier à Pointe d’Or (Les Abymes)

Les mairies des Abymes et de Pointe-à-Pitre ont procédé à des distributions de bouteilles d’eau, dans certains quartiers, où les populations sont majoritairement âgées et dépendantes.
Pascal Pétrine est allé sur place. Voici son reportage :

La goutte d’eau a déjà débordé le vase

Parmi les lanceurs d’alerte, citons l’association Vivre, qui monte au créneau cette semaine, pour dénoncer l’impéritie des instances dont c’est la compétence de gérer l’eau.
Ses membres parlent de "risques systémiques d’effondrement de la gestion de l’eau en Guadeloupe", alors que selon eux, sur près de 400.000 habitants, plus de 100.000 usagers sont affectés par une pénurie d’eau potable et/ou une énième pollution par des matières diverses (microbiologiques, alluvionnaires, fécales…), des toxiques notoires comme le Chlordécone, voire par des métaux lourds.

Ce sont des choses qui sont inacceptables ! Nous avons touché le fond de l’inacceptable ! Nous sommes, de toute manière, dans une situation d’effondrement.

Patricia Chatenay-Rivauday, vice-présidente de l’association VIVRE

       

Point de vue quant à la source du problème ?

De plus en plus, des voix s’élèvent pour dénoncer les problèmes de pénurie, de contamination et même de mauvaise gestion de l’eau, dans l’archipel ; des maires notamment pointent du doigt le Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de la Guadeloupe (SMGEAG).

Dernier en date à donner son point de vue : Eric Jalton, maire des Abymes et président de la communauté d’agglomération Cap Excellence. L’élu ne mâche pas ses mots, à propos du SMGEAG. La faute de tous ces déboires revient à un transfert de compétences, mal préparé, selon lui, alors que le fonctionnement des régies communales était plus performant.

On a créé un Titanic. Il a du mal à fonctionner, il est même en train de couler ! Nous déplorons tout cela, on ne nous a pas écoutés, on a fait une loi dessaisissant les collectivités locales qui avaient la compétence eau (...).

Eric Jalton, maire des Abymes, président de Cap Excellence

Et sur les raisons de l’incapacité du nouveau syndicat d’assurer la distribution de l’eau potable en quantité et en qualité, dans les foyers guadeloupéens, Eric Jalton évoque trois hypothèses.

Je ne suis pas sûr que lors de cette fusion on ait mis les bonnes personnes aux bonnes places (...). Nous avons un problème aussi de moyens, pour aller plus vite (...). Quand on fait des travaux, il faut couper l’eau, donc on a parfois des coupures qui ne sont pas de bon aloi, mais qui sont parfois nécessaires.

Eric Jalton, maire des Abymes, président de Cap Excellence

Au final, au fil du temps, la vie des Guadeloupéens est impactée, tant sur le plan financier, que d’un point de vue sanitaire, ou encore quant à leur bien-être. Les pénuries répétitives affectent considérablement le quotidien de tous.