Géolocalisation des enfants : le difficile équilibre entre la surveillance sécuritaire et le flicage de ses enfants

Des enfants aussi connectés que surveillés
On le sait, la géolocalisation par GPS est un système de suivi qui permet de localiser un objet (voiture, personne, animal, téléphone…) en lui attachant un dispositif GPS. Un système qui peut s'actionner à partir et depuis un téléphone portable. Une option choisie par certains parents pour ne plus perdre leur enfant de vue. Un dispositif plus ou moins bien accepté par les enfants, selon leur âge et selon l'état de la relation avec leurs parents.

C'est devenu un phénomène de société qui ne passe plus inaperçu. Possible depuis bientôt 10 ans, la géolocalisation des enfants explose en ce moment, en raison du nombre de plus en plus important de parents qui y ont recours.
Yann Bruna est maître de conférences en sociologie, à l'université Paris-Nanterre. Il a aussi écrit dans la revue en ligne "The conversation" un article sur la géolocalisation des enfants  

Nous sommes passés d’un usage détourné des options de géolocalisation de nos smartphones en 2013 à la mise à disposition d’objets de contrôle parental incluant automatiquement la surveillance géographique

Yann Bruna, maître de conférences en sociologie

En effet, au départ, il s'agit souvent d'un moyen de sécurité pour s'assurer du lieu où se trouve l'enfant quand il n'est pas avec ses parents. D'ailleurs, pour certains parents, la motivation première aura été la peur de l'enlèvement ou de toute autre agression éventuellement perpétrée contre l'enfant. 

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Et pour cela, les parents ne manquent pas d'option. Si les montres connectées et les applications ad hoc des smartphones sont très prisées, il faut aussi compter avec les porte-clés géolocalisés tel que l' AirTag de Apple. A l'origine, ils avaient été une solution pratique proposée notamment pour la géolocalisation des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou plus simplement pour repérer sa voiture ou son animal en cas de vol, mais désormais, l'utilisation s'est généralisée et peut aussi permettre de géolocaliser ses enfants.

Mais cette vision des choses n'est pas partagé par tous. En Belgique par exemple, pour Child Focus, la Fondation pour Enfants Disparus et Sexuellement Exploités, l'utilisation de ces systèmes connectés doit être limitée. 

Dans certains cas, pour les enfants handicapés qui ne peuvent pas prendre soin d'eux-mêmes, cette technologie peut aider les parents. Pour les autres enfants, ce système de surveillance contraignant est déconseillé. Tout d'abord, d'un point de vue pédagogique. Grandir, c'est faire des choix en liberté, être responsable. Avec ce système, l'enfant n'est plus libre et ne peut pas décider d'être responsable car il est enfermé dans une cage virtuelle où il se sent espionné. En utilisant ces appareils, l'adulte est en train de nourrir une angoisse et de dire implicitement à son enfant qu'il en est danger tout le temps"

Dirk Depover, porte-parole de Child Focus.

Et même l'aspect sécuritaire ne trouve pas grâce aux yeux de Dirk Depover, le porte-parole de Child Focus.

Cette technologie ne peut pas éviter un kidnapping avec violence. Si le criminel découvre que l'enfant possède un traceur, il le détruira tout simplement", continue-t-il. Bien entendu, "il y a évidemment des risques mais il ne faut pas exagérer. Il faut apprendre aux enfants à vivre avec des risques et ne pas constamment lui dire qu'il est en danger. À partir d'un certain âge, les enfants peuvent être responsables. Ils n'ont pas besoin de ce système pour respecter un accord passé avec leurs parents

Dirk Depover, le porte-parole de Child Focus.

Lorsque l'adolescence paraît...

C'est que le schéma est loin d'être le même lorsque l'enfant grandit. Devenu adolescent, à l'âge où il veut commencer à faire ses preuves dans la vie, l'âge aussi où il va souhaiter avoir la confiance de ses parents pour tous ou déplorer le fait de ne pas l'avoir, la géolocalisation devient alors le signe d'un manque de confiance de la part des parents et peut être très mal vécue par l'enfant. 

Une perspective évaluée ainsi  par Yann Bruna :

On met en avant le fait que les enfants peuvent joindre leurs parents quand ils veulent avec le smartphone ou la montre connectée, mais c’est surtout l’inverse qui se passe. L’adolescent doit pouvoir rester joignable à tout moment. Dans ce cadre, la géolocalisation devient une réponse quand les jeunes se montrent indisponibles.

Yann Bruna, maître de conférences en sociologie

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Bien sûr, le tableau n'est pas tout noir. Certains parents choisissent d'associer leur enfant à la décision de mettre en place un système de géolocalisation entre eux et lui. Il y en a même qui, face à leur adolescents, veillent à s'entendre avec eux sur la manière de se défaire du système pour se sentir aussi libres que possibles.

Si je devais mettre un tel système sur le portable de ma fille, je ne le ferais pas sans le lui dire. J'en parlerais avec elle et c'est ensemble qu'on prendrait la décision, forcément pour des raisons de sécurité.

Nadine, mère d'une fille de 10 ans

Et puis, le contexte d'insécurité décrié un peu partout incite même certains adolescents à suggérer ce système de géolocalisation à leurs parents.

C’est souvent le cas chez les jeunes filles qui ont intériorisé un besoin de sécurité et de réassurance dans un espace urbain possiblement dangereux... Avec la géolocalisation, les enfants comme les parents ont l’illusion de pouvoir se soustraire à ce potentiel danger. D’autres adolescents que j’ai interrogés voient aussi cette surveillance comme une pratique infantilisante, voire un échec de la parentalité. Certains ados m’expliquaient qu’ils ne feraient pas ça avec leur propre enfant.

Yann Bruna, maître de conférences en sociologie

Voir aussi : Smartphone : doit-on, sous couvert de protection des enfants, tout contrôler

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En réalité, dans toutes ces décisions, il faut toujours se souvenir de l'importance que peut et doit avoir la relation de confiance entre les parents et leurs enfants. Même dans l'utilisation de ces systèmes de surveillance, ce principe de confiance doit continuer de prévaloir. Quand il devient un moyen de preuve contre l'enfant et non un élément de plus pour sa protection, c'est peut-être déjà le signe que quelque chose ne fonctionne pas dans la famille et doit se soigner autrement.

C'est sur ce fragile équilibre que se différencie la protection sécuritaire et le flicage des enfants