Entrée en vigueur du couvre-feu dans plusieurs quartiers de Pointe-à-Pitre et des Abymes : modalités, causes et doutes

Force de l'ordre en milieu urbain (illustration).
Dès ce lundi soir, dans plusieurs quartiers de Pointe-à-Pitre et des Abymes, les jeunes de moins de 18 ans n’ont pas le droit de circuler sans un parent ou un adulte exerçant l’autorité parentale. Tels sont les termes de l’arrêté préfectoral instaurant le couvre-feu pour les mineurs, durant un mois renouvelable. En cas d’infraction, les contrevenants s’exposent notamment à une amende de 750 euros.

Le couvre-feu pour les mineurs entre en vigueur ce lundi soir (22 avril 2024) en zone pointoise. Cette mesure est mise en œuvre pour un mois, dans un premier temps, selon la décision prise par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui était en visite officielle en Guadeloupe, la semaine dernière.
Alors qu’initialement il était uniquement question de Pointe-à-Pitre, des quartiers des Abymes sont également concernés par ce couvre-feu, malgré la non-adhésion du maire Eric Jalton à cette mesure.

Des sanctions prévues à l’encontre des contrevenants

Pour l’Etat, "compte tenu de l’enracinement de la délinquance juvénile constaté (...), qui présente un caractère durable et continu, seule la limitation des déplacements des mineurs (...) est de nature à faire cesser les troubles graves à l’ordre public". L’arrêté préfectoral du 20 avril 2024 instaurant le couvre-feu mentionne donc une mesure "nécessaire, adaptée et proportionnée".

Le fait est que la part des mineurs dans la délinquance s’établissait, sur la zone de responsabilité de la direction territoriale de la police nationale, à 5% en 2022 et 6% en 2023. Elle est de 10% au premier trimestre de l’année 2024 et connaît ainsi une progression constante ; de l’ordre de 35% entre le premier trimestre 2023 et la même période 2024.

Et, "40% des faits de délinquances sont commis entre 20h00 et 22h00", précise le préfet Xavier Lefort. Il s'agit majoritairement de vols à main armée.

Ainsi, dès ce lundi soir, de 20h00 à 5h00, les personnes de moins de 18 ans n’ont pas le droit de circuler sans un parent ou un adulte exerçant l’autorité parentale, dans le secteur défini par arrêté préfectoral.
En cas d’infraction, les contrevenants s’exposent à une amende de 750 euros ; ils pourront aussi faire l’objet d’une demande de mesures d’assistance éducatives.

La préfecture rappelle par ailleurs qu’en cas de carence des parents, si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur est en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physiques, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, la loi prévoit que l’autorité judiciaire puisse prononcer toutes les mesures d’assistance éducative.

Dès ce lundi soir, 35 policiers et 15 gendarmes seront mobilisés pour sillonner les artères du périmètre du couvre-feu, en plus des dispositifs de nuit habituels. L'effectif pourra évoluer, en fonction des observations faites au fil des semaines.

Le couvre-feu, un "cache-misère" ?

Outre la ville de Pointe-à-Pitre (excepté le quartier de Lauricisque), plusieurs secteurs des Abymes sont inclus dans le périmètre où le couvre-feu est instauré.
La zone définie comprend Grand-Camp (Les Abymes), Vieux-Bourg (Les Abymes), Massabielle (Pointe-à-Pitre), Raspail (Pointe-à-Pitre), Sous-préfecture (Pointe-à-Pitre), Victoire (Pointe-à-Pitre), Centre-ville (Pointe-à-Pitre), Assainissement (Les Abymes/ Pointe-à-Pitre), Boisneuf (Pointe-à-Pitre), Tour Frébault Henry IV (Pointe-à-Pitre).

En bleu, le périmètre concerné par les dispositions de l'arrêté instaurant le couvre-feu à Pointe-à-Pitre et aux Abymes - 20/04/2024.

Le fait est que "sur la ville des Abymes, la part des mineurs dans la délinquance s’établit à 5% en 2022, 7% en 2023 et 8% au premier trimestre de l’année 2024, et connaît ainsi une progression constante" est-il précisé dans l’arrêté préfectoral ; un nombre qui équivaut à une hausse de 50% de leur implication entre le 1er trimestre 2023 et la même période en 2024.

Quoi qu’il en soit, en fin de semaine dernière, le maire et président de la communauté d’agglomération Cap Excellence, Eric Jalton, avait fait savoir au sous-préfet de Pointe-à-Pitre que cette mesure ne lui seyait pas. Il craint le franchissement de la "ligne rouge des privations de liberté", "sous couvert de lutte légitime contre la délinquance et pour la sécurité" :

Sachez que je ne suis pas favorable à cette extension aux Abymes du couvre-feu dès 20 heures à Pointe-à-Pitre, pour les mineurs. Et si la surreprésentation des mineurs dans les statistiques de délinquance voire de criminalité est de plus en plus prégnante, en Guadeloupe comme au niveau national, nous ne devons pas pénaliser ni stigmatiser pour autant l'immense majorité des jeunes mineurs Guadeloupéens qui, à 20h00, s'adonnent à des activités saines hors de leur domicile. De la prévention tous azimuts, à la sanction et au redressement dans des centres dédiés fermés, le chemin est tracé pour sauver la jeunesse guadeloupéenne et sécuriser les biens et les personnes dans notre archipel (...). Une expérimentation sur quelques mois d'un couvre-feu dès 22h00 pour les mineurs de moins de 15 ans, non accompagnés d'un parent majeur, aurait été discutable (...). Les rares expériences tentées en la matière dans l'Hexagone ont été soit retoquées par la justice soit concernaient des mineurs de moins de 15 ans.

Eric Jalton, maire des Abymes, président de Cap Excellence

Un point de vue qui, même s’il n’a pas dissuadé les services de l’Etat, a le mérite d’avoir été formulé.

Quelques-uns estiment qu’un couvre-feu seul ne peut endiguer les maux qui ont conduit à une flambée de la délinquance localement.

L’arrêté préfectoral dit : "les communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre comptent à elles seules 26,4% des décrocheurs scolaires recensés en Guadeloupe et ce taux, en augmentation, trouve dans la circulation nocturne des mineurs une cause importante qui les expose à un risque pour leur éducation".
Laurence Maquiaba, porte-parole de l’Alyans Nasyonal Gwadloup (ANG), mouvement politique autonomiste et indépendantiste, s’interroge sur le réseau social X :

Donc le couvre-feu c’est pour régler le problème de décrochage scolaire pour lequel l’Education nationale fait le minimum ici ? On est déjà en avril, quel enfant va pouvoir changer ses habitudes en trois semaines ?

Laurence Maquiaba, porte-parole de l’ANG [Traduction du créole]

L’arrêté préfectoral évoque aussi les opérations "Place nette", synonymes d’opérations coup de poing, qui mobilisent plusieurs services de l'Etat, de loin en loin, dans les quartiers soupçonnés d’être des berceaux de la délinquance : "La mobilisation des forces de sécurité intérieure et les diverses interpellations réalisées, notamment à l’occasion des opérations « place nette », n’ont pas permis d’endiguer les phénomènes d’atteinte aux personnes et aux liens".
Une phrase relevée par le premier secrétaire de la Fédération du Parti Socialiste de Guadeloupe Olivier Nicolas qui, lui, considère que le couvre-feu est un cache-misère :

C’est bien écrit : "place nette" ne marche pas. Donc on opte pour une méthode qui coûte moins cher en fonctionnaires et qui coûtera beaucoup, beaucoup moins chère que lutter contre la pauvreté, ou améliorer l’éducation. Et là on aura du bleu dans les rues, pour faire respecter le couvre-feu.

Olivier Nicolas, 1er secrétaire de la Fédération du PS de Guadeloupe

Le bilan sera dressé dans un mois. Gérald Darmanin n’exclut pas la possibilité de prolonger la mesure. Le ministre de l’Intérieur a aussi annoncé son intention de revenir en Guadeloupe d’ici là.