Cette année, la récolte a bien failli ne pas débuter à cause d'un désaccord autour du prix de la tonne de canne, fixé tous les cinq ans par une convention signée par les industriels, les syndicats agricoles et l'État.
Un marché à la concurrence mondiale
Wilhem Monrose, érigé en porte-parole d'un collectif de planteurs de cannes de Nord Grande-Terre, a mené une grève à ce sujet juste avant le début de la campagne en avril.
Selon ce producteur, qui assure avoir "renoncé à couper sa canne cette année pour ne pas perdre d'argent", le prix de vente de la tonne ne tient pas compte de l'augmentation du coût de production due notamment au contexte géopolitique mondial.
Cette année, le prix a été fixé à 113 euros maximum la tonne, contre 84 euros l'année précédente. Mais "on estime nous, avec nos calculs, que le montant honnête du prix de la canne serait d'au moins 150 euros", dit M. Monrose à l'AFP.
Après quelques jours de blocage, les négociations ont repris à la mi-avril sous l'égide de l'État. "Il fallait s'accorder sur un prix de base pour sécuriser le démarrage de la campagne sucrière", rappelle le député Olivier Serva, désigné médiateur.
Le sucre de canne est un pilier de l'économie locale depuis la colonisation, au XVIIe siècle : pour cultiver la canne et satisfaire la demande internationale en sucre, les planteurs avaient alors fait venir des milliers d'esclaves aux Antilles. Depuis l'avènement du sucre de betterave au XIXe siècle, le produit est encore plus concurrencé sur les marchés mondiaux.
Vers un sucre bio ?
En Guadeloupe, depuis environ dix ans, on produit "45.000 à 50.000 tonnes de sucre sur l'usine Gardel" à Le Moule, au nord-est de Grande-Terre, selon Nicolas Philippot, patron de ce site industriel créé à la fin du XIXe siècle. S'y ajoutent quelque milliers de tonnes issues de l'usine de l'île de Marie-Galante.
À titre de comparaison, la Martinique produit 1.500 tonnes et La Réunion environ 150.000.
"De plus en plus, nous nous tournons vers les sucres spéciaux" (de consommation directe, par opposition au sucre en vrac destiné à être raffiné), souligne M. Philippot à l'AFP, précisant que la campagne de 2023 donnera lieu à près de 60 % de sucres spéciaux.
Malgré le prix plus élevé de ces sucres, c'est-à-dire, "700 à 800 euros la tonne contre 400 pour la tonne de vrac", selon M. Philippot, cette industrie n'est pas rentable, contrainte par les cours mondiaux du sucre.
La filière, y compris dans sa dimension industrielle, ne tient que par l'argent public, dont les taux de subvention "rapportés au chiffre d'affaires, oscillent entre 80 % et 205 % pour les sucreries de la Réunion et de Guadeloupe", selon un rapport gouvernemental sur les perspectives de la filière datant de 2021. La préfecture de Guadeloupe avait expliqué début avril que les soutiens directs de l'État et de l'Europe s'élèveraient annuellement "à 55,6 millions d'euros dont 27 millions pour les planteurs et 28,6 millions pour les industriels".
Tous les acteurs clament leur attachement à cette filière qui, bien que non rentable, occupe 12.400 hectares (selon le rapport annuel de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer), soit 39 % de la surface agricole utile de la Guadeloupe. "Elle fait vivre une grosse dizaine de milliers de familles en emplois directs", rappelle Ferdy Créantor, président d'une coopérative agricole à Marie-Galante. "Il ne faut pas s'y méprendre, la filière a un avenir", assure Olivier Serva.
Elle mise notamment sur le lancement d'un sucre bio en Guadeloupe, à l'horizon 2024. Nicolas Philippot étudie ainsi les meilleurs ajustements industriels pour cette production. Quant à une appellation d'origine, envisagée depuis des années, la réflexion est toujours en cours.